Première rencontre secrète entre des responsables américains et un représentant du Polisario (avril 1980)

Une victoire du Polisario au Sahara occidental signifierait déstabilisation régionale et risque de renversement du roi Hassan II du Maroc (PHOTO : Des armes américaines récupérées par les combattants sahraouis)

253. Télégramme du Département d’État aux ambassades au Maroc, en Algérie et en Mauritanie1

Washington, 5 avril 1980, 2327Z

89873. Objet : Rencontre avec un représentant du Polisario.

1. (C) Texte intégral.

2. Résumé : Le directeur NEA/AFN, Coon, et le directeur adjoint, Smith, ont rencontré le représentant du Polisario, Majid Abdullah*, au domicile de Coon le 3 avril. Abdullah a adopté la position standard du Polisario et n’a montré aucune flexibilité à son niveau. Il a souligné que le Polisario ne revendiquait aucune partie de ce que le gouvernement américain considère comme le Maroc proprement dit. Coon a expliqué la politique américaine et l’intérêt primordial des États-Unis à encourager toutes les parties à progresser vers une solution de compromis pacifique au conflit du Sahara occidental. Il a exprimé la préoccupation du gouvernement américain concernant les attaques au Maroc même et a déclaré que tout contact futur serait difficile dans le contexte de telles attaques. Fin du résumé.

3. La réunion, qui était le premier échange complet entre les représentants du Département et le Polisario, a commencé par l’expression de la satisfaction des deux parties quant à l’établissement enfin de ce contact. Majid a noté l’importance que le Polisario accordait à la position du gouvernement américain et a espéré que cette réunion serait suivie d’autres contacts. Il a reconnu qu’il n’était pas en mesure d’aller au-delà de la politique standard de son organisation et a suggéré qu’il serait utile que les futurs contacts incluent des représentants du Polisario de plus haut niveau. Coon n’a pas réagi spécifiquement à cela, mais est revenu sur le sujet plus tard, notant la difficulté de futurs contacts lorsque le Polisario attaquait au Maroc même (voir ci-dessous).

4. Majid a présenté le Polisario comme un mouvement de libération nationale. Il a souligné la base territoriale, par opposition à la base tribale, de l’organisation. Elle perdait ses jeunes hommes dans les combats, mais était disposée à poursuivre la lutte. Le Maroc, selon lui, était l’agresseur et l’objectif du Polisario était de l’empêcher de gagner. Il n’était pas opposé au régime marocain et ne revendiquait aucune partie du Maroc même. Il a reconnu la nécessité de « sauver la face » du roi Hassan. Cependant, il avait adopté une ligne plus dure après la décision des États-Unis de fournir des armes. Le Maroc n’était plus disposé à rencontrer le Polisario, bien qu’une telle réunion ait eu lieu il y a un an à Bamako, où le général Dlimi et les conseillers royaux Reda Guedira et Bensouda avaient représenté le Maroc.

5. Coon a souligné le point de vue du gouvernement américain selon lequel une solution de compromis serait nécessaire. Le but de notre décision de fournir des armes était d’encourager [Page 621] les progrès vers une telle solution. La politique antérieure n’avait pas visiblement contribué à améliorer la situation et, de plus, avait nui aux intérêts américains au Maroc et à notre capacité de communiquer avec le plus haut niveau du gouvernement marocain. Nous avions donc changé de position afin de rétablir notre capacité à faire connaître nos points de vue au Maroc. Nous avions également décidé de nous rendre au Sahara occidental et d’avoir des contacts officiels avec le Polisario. Nous n’avions cependant pas changé de position sur le fond du problème. Nous restions neutres quant au statut final du territoire. Nous ne reconnaissions pas la souveraineté marocaine. De même, nous ne reconnaissions pas les revendications du Polisario sur le territoire (et la rencontre avec Majid n’indiquait pas la reconnaissance de ces revendications).

6. Coon a poursuivi en notant que nous pensions qu’aucune des deux parties ne pouvait remporter une victoire militaire. Il a attiré l’attention de Majid sur le témoignage du secrétaire adjoint Saunders devant le Congrès le 24 janvier2, auquel Majid avait assisté. Les États-Unis ne pensaient pas que le Maroc pouvait remporter une victoire militaire. D’autre part, nous ne pensions pas non plus que le Polisario pouvait gagner, compte tenu de la population et des ressources beaucoup plus importantes du Maroc. De plus, une victoire du Polisario aurait un effet déstabilisateur dans la région, ce qui ne servirait les intérêts de personne, y compris le Polisario. Cela pourrait conduire au renversement du roi Hassan, ce qui entraînerait probablement un régime marocain militaire et plus belliciste. (Majid a contesté ce point, arguant que le Polisario estimait que l’armée marocaine était plus réaliste quant à la situation que ne l’était le roi.)

7. Le gouvernement américain, a expliqué Coon, n’affirmait pas avoir plus d’expertise sur le sujet que les parties elles-mêmes, et c’était à elles de définir les modalités des négociations et d’une solution de compromis. Nous estimions qu’un véritable compromis était nécessaire, mais nous n’offririons aucune suggestion sur la manière dont cela pourrait être réalisé. Des négociations pourraient être possibles avec le Polisario en tant que membre de la délégation algérienne, mais il appartenait en fait aux parties de définir la « forme de la table ». Nous voulions faire ce que nous pouvions pour encourager les parties, mais nous ne servirions pas de médiateurs. Le différend n’était pas de notre fait ; nous souhaitions nous concentrer sur la coopération avec tous les peuples et gouvernements de la région en vue d’objectifs communs de développement économique et social.

8. La position du gouvernement américain à l’avenir serait influencée par le degré de flexibilité dont font preuve les parties au conflit.

[Page 622]

9. Coon a ensuite souligné qu’une deuxième raison de notre révision de politique l’année dernière3 avait été les attaques du Polisario au Maroc même. Le Polisario devait comprendre que les attaques au Maroc même changeaient considérablement la situation, mettant en jeu l’amitié et le soutien historiques des États-Unis au Maroc. Le Polisario devait être conscient de l’étendue de cette opinion aux États-Unis.

10. En particulier, a poursuivi Coon, toute la question de sa rencontre avec Majid avait été remise en question par les combats très importants qui ont eu lieu récemment dans le sud du Maroc. Les contacts futurs ne seraient pas automatiques et n’étaient pas garantis. Ils seraient difficiles dans le contexte de telles attaques.

11. Majid a répondu en réitérant que le Polisario ne revendiquait pas de territoire dans ce que le gouvernement américain considère comme le Maroc même, mais qu’il considérait qu’il existait une justification militaire pour y mener des attaques. Le Polisario estimait qu’il était préférable de ne pas modifier les frontières coloniales et il ne revendiquait pas la province de Tarfaya, qui était devenue une partie du Maroc en 1959. Cependant, le Maroc possédait d’importantes bases au Maroc même qui étaient utilisées pour des opérations militaires dans le sud. Il a notamment cité Tan Tan, Zaag, Ngueb, Zagora, Agadir et Goulimime. De plus, le Maroc ne reconnaissait aucune distinction entre le Maroc même et le Sahara occidental. Par conséquent, le Polisario se sentait pleinement justifié d’attaquer dans la partie sud du Maroc même. Il a ajouté que, dans le cas des derniers combats, le Maroc avait pris l’initiative, et non le Polisario.

12. La réunion s’est conclue à l’amiable, mais avec la claire compréhension que, en ce qui concerne les États-Unis, les futures réunions n’étaient pas garanties.

13. Pour Rabat : Bien que nous n’ayons pris aucun engagement en ce sens, nous pensons que nous devrions informer les Marocains que le contact a eu lieu. Nous suggérons que cela se fasse par l’intermédiaire de l’ambassadeur Bengelloun, qui se trouve actuellement à Rabat et qui était le canal que nous avions utilisé initialement pour dire au Maroc que nous allions parler au Polisario. Compte tenu de notre désir de ne pas nous impliquer, nous devrions seulement dire à Bengelloun que Majid a répété la position standard du Polisario.

Vance

Source : Archives nationales, RG 59, Fichier central de politique étrangère, D800171–0648. Confidentiel ; Immédiat. Envoyé pour information immédiate à Paris, Madrid et USUN. Rédigé par Smith ; approuvé par NEA et AF/W ; approuvé par Newsom.↩

Pour le texte de la déclaration et du témoignage de Saunders, voir Proposed Arms Sale to Morocco : Hearings Before the Subcommittees on International Security and Scientific Affairs and on Africa of the Committee on Foreign Affairs, House of Representatives, Ninety-Sixth Congress, Second Session, January 24 and 29, 1980, pp. 2–28. (Washington : Government Printing Office, 1980)↩

Voir les documents 41, 42 et 46–49.↩

Source : Department of State

*Bachir Ould Sgheyer

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