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248. Télégramme de l’Ambassade au Maroc au Département d’État
Rabat, 31 octobre 1979, 17:05Z
Objet : (U) Entretien du Secrétaire d’État adjoint Christopher avec le Roi le 30 octobre.
(S) – Texte intégral.
Résumé : Au cours d’une session de deux heures et demie avec le Roi Hassan et ses principaux conseillers, le Secrétaire d’État adjoint Christopher a discuté de la récente décision du Président concernant l’assistance militaire au Maroc. Hassan a exposé ses réactions, ses besoins militaires et ses réflexions sur les perspectives d’une solution pacifique au problème du Sahara occidental. Fin du résumé.
Le Roi Hassan a reçu le Secrétaire d’État adjoint Christopher, le Secrétaire d’État adjoint Constable, le Secrétaire adjoint à la Défense Murray, M. Trattner du personnel du Secrétaire d’État adjoint, et le Chargé d’affaires Moffat pour une discussion générale de deux heures et demie dans la matinée du 30 octobre. Étaient aux côtés du Roi son Premier ministre, son ministre des Affaires étrangères, ses trois conseillers royaux et l’ambassadeur du Maroc à Washington, Bengelloun.
M. Christopher a commencé par exprimer sa gratitude au Roi de l’avoir reçu à court préavis pendant une semaine de congé chargée. Il avait été mandaté par le Président pour venir au Maroc dès que possible afin de parler à Sa Majesté. M. Christopher a développé la grande estime du Président pour le rôle et la position du Roi, ainsi que pour le soutien de Hassan aux politiques des États-Unis dans divers domaines. Le Secrétaire adjoint a déclaré que le Président lui avait demandé de parler très directement au Roi de la décision du Président de fournir des équipements militaires supplémentaires au Maroc. Christopher a souligné la détermination du Président à soutenir ses amis et à aider le Maroc à rechercher une solution pacifique à partir d’une position de force.
M. Christopher a détaillé le type d’équipement envisagé dans la décision du Président et les raisons qui la sous-tendent. Il a mis l’accent particulièrement sur les OV–10 et les Cobras équipés de missiles TOW, indiquant que nous n’étions pas sûrs de l’intérêt du Maroc pour les Cobras, car cela faisait longtemps que nous n’avions pas eu de nouvelles du GOM à ce sujet. Si le GOM préférait un autre type d’hélicoptère armé, tel que le Hughes 500, nous essayerions d’accommoder leur préférence. (Lors de la réunion de l’après-midi avec le ministre des Affaires étrangères et le personnel militaire, le colonel Kabbaj de l’armée de l’air marocaine a indiqué à M. Murray qu’une discussion avec le Roi après la réunion du matin de M. Christopher avait abouti à une décision d’abandonner complètement le Cobra et de choisir à la place le Hughes MD500, qu’il a décrit comme moins coûteux, moins sophistiqué et beaucoup mieux adapté au Maroc. Le colonel Kabbaj a indiqué qu’il faisait une demande formelle sur instruction du Roi).
M. Christopher a expliqué qu’il était accompagné de M. Murray du Département de la Défense, qui était prêt à discuter des besoins en équipement du Maroc en détail, si cela était souhaité. Il a noté que M. Murray revenait tout juste d’Arabie Saoudite. Étant donné l’ampleur des ventes envisagées, celles-ci devraient être présentées au Congrès. Il était important de commencer ce processus dès que possible, car le Président était impatient de mener à bien ce projet.
M. Christopher a ensuite donné son analyse du climat au sein du Congrès et a souligné combien il était important que le Maroc nous aide avec le Congrès. Nous aurions un problème insurmontable à moins que le Congrès ne soit convaincu que Sa Majesté désirait sincèrement des négociations significatives.
Bien que les États-Unis n’aient pas de plans précis pour résoudre le conflit au Sahara occidental et ne souhaitent pas être ni arbitres ni médiateurs, nous estimons que le moment est venu pour le Roi de prendre l’initiative de négociations. Nos discussions avec le gouvernement algérien nous ont amenés à croire que le gouvernement du Président Bendjedid en Algérie ne souhaite pas voir un changement dans le gouvernement marocain et, au contraire, considère que la continuité du régime de Hassan est importante pour la stabilité de la région. Nous espérons que le Roi démontrera maintenant l’esprit d’État dont il a fait preuve tout au long de sa vie en entrant dans une nouvelle phase de négociations, reflétant la force renouvelée de son pays.
Nous avons suivi de près les évolutions de la situation et croyons que les négociations ne pourraient réussir que si toutes les parties intéressées y participaient. Nous sommes conscients de la situation difficile concernant le Polisario et ne prescrivons aucune formule, mais espérons que le Roi trouvera un moyen d’inclure le Polisario dans la recherche d’une solution pacifique.
M. Christopher a exprimé sa gratitude à Sa Majesté de l’avoir écouté et son intérêt pour entendre les points de vue de Sa Majesté sur la manière dont le processus de négociation pourrait être lancé, sur la forme qu’une solution pourrait prendre, ainsi que sur l’évaluation de Sa Majesté de la manière dont la réunion de Tunis et la prochaine visite du Président Tolbert pourraient être utilisées pour progresser sur le front des négociations.
Sa Majesté a répondu qu’il parlerait en toute franchise, car il pensait que la clarté était la meilleure forme de diplomatie. Il commencerait par les derniers commentaires de M. Christopher. Il aurait préféré que cette séance de travail conjointe entre des alliés et des amis de longue date soit consacrée à des moyens de développer les ressources du Maroc dans les domaines de l’énergie et de la production plutôt qu’à parler de guerre. Son ambassadeur à Washington pourrait expliquer en détail que l’état actuel de belligérance n’avait été ni prévu ni souhaité par le Maroc. Serait-il logique de rechercher la paix entre Israël et les Arabes et de ne pas vouloir la paix entre le Maroc et l’Algérie ? La paix était une préoccupation majeure de Sa Majesté pour le bien de son pays et de sa propre carrière.
Sa Majesté était ravi que ses amis américains reconnaissent qu’un Maroc plus fort serait en meilleure position pour engager des négociations. Il voulait que le Président soit assuré que le problème du Sahara n’était pas un problème territorial. La nature du conflit résidait dans l’incompatibilité entre un régime totalitaire et un régime démocratique, qui ne pouvaient coexister dans la région. L’expansionnisme de Moscou était rejeté par les peuples de la région, qui ne voulaient pas être colonisés par Moscou. Des négociations étaient nécessaires, mais elles ne seraient pas faciles.
Sa Majesté avait en tête un plan politique qu’il partagerait avec le Président Carter en temps voulu. Il le communiquerait personnellement au Président. L’année 1980 serait favorable à la paix et aux négociations, mais le Maroc devait bénéficier de l’assistance de tous ses amis aux États-Unis et dans le monde arabe.
Le Roi affirmait que le Congrès ne pourrait être si aveugle qu’il refuse d’aider le Président, si le Congrès comprenait que le Maroc était indispensable à la survie d’Israël (parce que si le Maroc était perdu, les Détroits de Gibraltar ne seraient pas libres, et Israël ne pourrait pas être réapprovisionné, pas plus que la Grèce et la Turquie). Sûrement cet argument pourrait convaincre les membres hésitants du Congrès.
Sa Majesté déclarait que la Libye était à l’origine de tous les problèmes de la région, mais que Khadafi n’était pas le cerveau, les décisions étaient prises au Kremlin.
Hassan a ensuite abordé la discussion sur l’équipement militaire, soulignant que l’OV-10 était une arme indispensable pour le type de guerre désertique qui lui était imposée. Cet appareil resterait utile pendant des années et il pensait qu’il serait peut-être judicieux d’envisager de réactiver la chaîne de production. (Lors des discussions de l’après-midi, rapportées séparément, l’ambassadeur Bengelloun a indiqué qu’ils avaient déjà abordé ce sujet de manière informelle avec des dirigeants de Rockwell à plusieurs reprises et qu’il ne prévoyait pas de problème).
Le Roi estimait qu’il devrait y avoir une approche conjointe maroco-saoudienne envers Rockwell si les États-Unis étaient d’accord. Le Roi soutenait que les OV-10 seraient très utiles dans la péninsule arabique pour contrer des rébellions de type guérilla, comme celle du Dhofar. Le ravitaillement en vol était également un besoin vital à satisfaire. (Lors des discussions ultérieures, les Marocains ont indiqué qu’ils avaient choisi le KC-135 à cette fin et pourraient également adapter certains de leurs C-130 à cet usage).
Le Roi a insisté sur le fait que l’équipement dont il avait besoin devait être conventionnel, robuste, meurtrier et fiable. Il a décrit certaines des difficultés rencontrées par l’équipement dans des conditions de guerre désertique et souligné que le plan des forces armées de 1974 n’avait prévu aucune provision pour une guerre dans le désert.
Cependant, le Maroc savait désormais que l’OV-10 était définitivement le type d’avion dont il avait besoin. Le Cobra répondait également aux exigences marocaines. Mais six de chaque modèle ne donneraient pas au Maroc la position de force nécessaire pour négocier ; en fait, cela créerait davantage de dangers pour le Maroc, car cela éveillerait l’ennemi sans offrir au Maroc la force nécessaire. Si six de chaque modèle étaient tout ce qu’il pouvait obtenir, il préférait les refuser, car cela ne l’aiderait pas. Le Roi a réitéré la nécessité de réactiver la chaîne de production de l’OV-10 pour répondre aux besoins de plusieurs pays de la région qui auraient besoin de ce type d’appareil défensif. Les États-Unis, selon lui, devraient réfléchir en termes d’armes dont leurs alliés non membres de l’OTAN avaient besoin.
Le Roi a souligné l’importance d’obtenir davantage de F-5E et a indiqué que, dans 10 ou 15 ans, le Maroc disposerait de la force aérienne la plus crédible d’Afrique, ce qui servirait tous les amis du Maroc. À l’heure actuelle, le nombre d’appareils favorisait l’Algérie.
Si l’Algérie cessait de soutenir le Polisario, alors la Libye prendrait complètement le relais, ce qui créerait un danger pour l’Algérie elle-même. Le Roi estimait qu’à un moment donné, l’Algérie et le Maroc deviendraient des alliés objectifs contre la menace des actions du Polisario. La situation économique de l’Algérie était très précaire et son agriculture avait totalement sombré. Le Président Bendjedid voulait renoncer aux expérimentations de Boumédiène et espérait une ouverture plus large vers l’Occident. Cependant, la Libye et Moscou ne lui permettraient pas d’agir librement.
L’Algérie et le Maroc pourraient s’infliger de lourds dommages dans une guerre. Ce serait un crime pour l’un ou l’autre de lancer les hostilités, et il faudrait plusieurs générations pour s’en remettre. Le Roi voulait que le Président soit convaincu qu’il ne déclencherait pas de guerre contre l’Algérie et qu’il ne dépasserait pas ses frontières. Il avait seulement besoin des moyens pour marquer quelques points sur le terrain. Ensuite, il pourrait s’attaquer aux véritables problèmes du Maroc : une croissance démographique annuelle de 3,5 %, le besoin d’écoles, d’enseignants et de nourriture pour cette population en augmentation.
Le problème du Maroc était aggravé par sa position géographique et l’absence de bons voisins. Il décrivait la Mauritanie comme étant en plein désarroi et l’Espagne comme devant réapprendre à vivre dans la communauté internationale après 40 ans d’isolement. Si le Maroc était perdu, la Sixième Flotte pourrait être mise en cale sèche. En conclusion, le Roi voulait que le Président soit assuré qu’il avait toujours été loyal avec ses partenaires, même avec ses ennemis. Il y avait d’autant plus de raison d’être loyal en traitant avec un ami comme les États-Unis et le Président Carter.
Si on lui donnait les moyens de marquer sur le terrain, il pensait que 1980 pourrait apporter la paix à la région. Il avait un plan qu’il communiquerait oralement au Président en temps voulu. Plus tôt il pourrait marquer des points, plus vite ce moment viendrait. Il a résumé les besoins en équipement en décrivant les Cobras, OV-10 et F-5E comme trois maillons indispensables d’une chaîne continue et a souligné à nouveau l’insuffisance des quantités proposées, car pour avoir un avion en vol, il fallait en avoir un autre en maintenance.
M. Christopher a répondu avec une brève discussion technique sur les Cobras, les F-5E et les OV-10 ainsi que sur leur disponibilité. Il a expliqué que les six Cobras proposés pour une livraison rapide proviendraient de nos propres forces. Nous étions prêts à offrir des Cobras supplémentaires, mais ils proviendraient de la production, avec un délai de livraison conséquent. Nous avions besoin d’une indication de Sa Majesté pour pouvoir nous adresser au Congrès et entamer le processus de consultation.
À la demande de M. Christopher, M. Murray a expliqué que notre équipement était soit utilisé par nos propres troupes, soit en cours de production. Nous avions pris une décision importante de retirer des OV-10 et des Cobras de nos inventaires pour permettre un début de livraison rapide avec un impact à la fois politique et militaire. M. Christopher a discuté des 20 F-5E que les Marocains pensaient disponibles en raison de l’annulation de la vente à l’Égypte. M. Murray a souligné que les appareils étaient sans moteurs ni systèmes de soutien au sol et qu’ils avaient été proposés à d’autres gouvernements pour un éventuel achat. M. Murray n’était pas sûr des autres avions disponibles comme alternative au F-5E. M. Christopher a indiqué qu’il était prêt à tenir des discussions supplémentaires au niveau des experts l’après-midi, comme suggéré par Sa Majesté.
En abordant les efforts de médiation de l’OUA et la visite du Président Tolbert, M. Christopher a demandé au Roi une évaluation. Le Roi a répondu que le Président Tolbert arriverait ici [illisible – peut-être « samedi prochain »?] et qu’il parlerait du rôle de l’OUA dans le Sahara. Le problème était que le Président Tolbert changeait souvent d’avis. Les palabres à l’africaine prenaient du temps. Le Roi, bien qu’Africain, était aussi Européen par éducation. La procédure qu’il avait en tête serait beaucoup plus rapide et plus efficace ; le Roi a indiqué qu’il ne pouvait pas en dire plus à ce stade.
Le Roi a apprécié l’importance de la décision du Président. Elle indiquait que les États-Unis ne tergiverseraient pas entre leurs amis et ceux qui ne le sont pas. C’était une décision internationale importante qui serait bien accueillie en Afrique pour redonner du courage à certains qui commençaient à s’inquiéter. Si le Roi voulait que la guerre se prolonge, il ne demanderait que de petites quantités d’équipement, mais il ne voulait pas que la guerre continue. Il voulait être capable d’agir rapidement. Il a réitéré qu’il voulait que le Président soit assuré qu’il ne violerait pas le territoire ni l’espace aérien algérien. Le processus qui mènerait à la paix à partir d’une position de force prenait forme dans son esprit. Il chercherait un accord international à ce sujet, pas seulement un soutien africain, car il voulait que le Maroc se débarrasse du problème une fois pour toutes. Il ne voulait pas en dire plus à ce stade mais partagerait son plan avec le Président en temps voulu.
M. Christopher a exprimé sa gratitude pour le temps consacré par le Roi et pour la franchise des discussions. Le Président avait pris une décision importante et difficile, reflétant notre soutien à un ami de longue date. Le Roi constaterait que la mise en œuvre de cette décision refléterait notre détermination à rester aux côtés de nos amis.
M. Christopher a ensuite demandé à voir le Roi en privé pendant quelques minutes. Il lui a remis la lettre du Président, soulignant l’importance que le Président attache à sa correspondance privée avec Sa Majesté.4 Le Roi a répondu qu’il la traiterait également avec la plus grande confidentialité. M. Christopher a discuté de ses prochains commentaires à la presse. Une brève discussion sur le sommet de Tunis a conduit à l’affirmation du Roi qu’il estimait que sa présence était requise et qu’il y assisterait. Le Roi a déclaré qu’après Bagdad, le moment était venu de rétablir une atmosphère calme. Le Roi a exprimé son espoir pour une arrivée rapide de l’Ambassadeur, et M. Christopher a confirmé que cela aurait lieu vers le 1er décembre. En partant, le Roi a demandé à M. Christopher de transmettre ses salutations personnelles au Président, à Mme Carter et à « son amie » Miss Lillian.
[Page 610]
- Ce qui précède n’a pas été approuvé par M. Christopher.5 Le ministère peut souhaiter répéter à Alger à l’attention de M. Brzezinski.
Moffat
Source : Archives nationales, RG 59, Central Foreign Policy File : Archives nationales, RG 59, Central Foreign Policy File, P840131-2003. Secret ; Niact Immédiat ; Nodis.
Dans le télégramme 285147 adressé à Rabat, Alger et Jidda, le 1er novembre, le ministère fournit un compte rendu de la réunion de l’après-midi. (Archives nationales, RG 59, Central Foreign Policy File, D790503-0552)
Le sommet de la Ligue arabe s’est tenu à Tunis du 20 au 22 novembre.
Voir le document 179.
Dans le télégramme 7712 de Rabat, le 30 octobre, Christopher résume la réunion avec Hassan pour Vance et Brzezinski. (Bibliothèque Carter, National Security Affairs, Brzezinski Material, Country File, Box 3, Algeria : 1/77-11/80)
Source : Département d’Etat
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