Face au Maroc, une victoire amère

Face au harcèlement judiciaire du Maroc, un journaliste peut se protéger psychologiquement. Le soutien du PSOE au Makhzen fait mal.

Face au harcèlement judiciaire du Royaume alaouite, un journaliste peut se protéger psychologiquement. Mais face au soutien apporté à Rabat par les gouvernements espagnols, notamment celui du PSOE, cela devient impossible. Ils sapent la défense du journaliste. Leur comportement fait mal.

Il était presque minuit, ce jeudi 19 décembre. Depuis déjà 12 heures, mon avocat, Javier Sánchez Moro, m’avait annoncé la grande nouvelle : le Royaume du Maroc ne ferait pas appel devant la Cour suprême de la décision rendue par la Cour provinciale de Madrid, qui rejetait sa plainte contre moi pour « action de vantardise », suite à mes accusations selon lesquelles il serait responsable de l’espionnage de téléphones portables via le logiciel espion Pegasus.

Depuis 12 heures, j’avais partagé cette nouvelle via des listes de diffusion et des réseaux sociaux. Elle mettait fin à deux ans et demi de persécution judiciaire, qui avaient été précédés par huit autres années où le gouvernement marocain avait réussi à me faire inculper à l’Audience nationale pour apologie du terrorisme. Cette plainte avait finalement été classée sans qu’il y ait de procès.

Dès midi, ce jeudi 19, j’ai reçu des centaines de messages de félicitations pour ce dénouement. Des collègues journalistes, des associations de presse, des hauts responsables d’institutions publiques, des politiciens de tous bords parlementaires, des amis ou des lecteurs anonymes m’ont adressé leurs messages, en privé ou sur les réseaux sociaux. Parmi eux, il y avait même quelques membres du PSOE, ce parti dont le secrétaire général, Pedro Sánchez, s’est aligné, en mars 2022, sur la solution préconisée par le Maroc pour résoudre le conflit au Sahara occidental.

Il était presque minuit ce jeudi-là, et je ne pouvais plus contenir ma frustration : aucun membre du gouvernement espagnol ne m’avait félicité. Ce n’est pas que je connaisse beaucoup de ministres, mais quelques-uns avec qui j’ai partagé des moments avant leur arrivée au gouvernement. Avec l’un d’eux, j’ai même donné une conférence conjointe organisée par le Parlement européen.

Cette nuit-là, je n’ai plus pu attendre. J’ai envoyé un court message privé à ceux figurant dans mon carnet d’adresses. Je leur ai dit que, dans un moment comme celui-ci, j’aurais apprécié recevoir une félicitation de la part d’un membre du gouvernement espagnol. Ils ont vu le message — comme l’indiquent les deux coches sur WhatsApp — mais tous, sauf une, sont restés silencieux. Celle qui m’a répondu immédiatement s’est excusée pour sa journée chargée et m’a adressé une félicitation sincère. Je lui suis très reconnaissant, mais cela ne compense pas l’amertume causée par le silence de ses collègues.

Ce mutisme gâche ma victoire, la quatrième en dix ans, contre le Maroc, son gouvernement, ses espions, et désormais contre le Royaume alaouite lui-même. Après une décennie de harcèlement judiciaire, j’ai développé une résistance psychologique face à leurs attaques. Mais je ne me suis jamais habitué à ce que mes propres compatriotes, en particulier les sociaux-démocrates auxquels je m’identifie, soutiennent les autorités du pays voisin dans leur harcèlement.

Les premiers signes de soutien à Rabat contre le journaliste espagnol sont apparus sous le gouvernement du Parti Populaire. Depuis la première investiture de Pedro Sánchez, cela s’est accentué. Je donnerai quelques exemples parmi une longue liste. Le 19 janvier 2023, les eurodéputés socialistes espagnols — contrairement au reste de leur groupe — ont voté contre une résolution du Parlement européen demandant aux autorités marocaines de cesser le harcèlement judiciaire que je subissais. Ils n’ont jamais expliqué leur vote, qui coïncidait avec celui de l’extrême droite française.

L’an dernier, un commissaire européen que je connais a suggéré à Nasser Bourita, ministre marocain des Affaires étrangères, que ce serait souhaitable que Rabat retire sa plainte contre moi. Bourita a refusé, étonné que le commissaire s’intéresse à mon cas alors que les ministres espagnols avec qui il s’était entretenu ne l’avaient pas fait.

Il était naïf de ma part d’espérer qu’Albares intervienne en ma faveur. Le gouvernement espagnol a accepté de se réconcilier avec le Maroc en mars 2022, sans exiger le retrait des plaintes, inspirées par Rabat, contre l’ex-ministre des Affaires étrangères Arancha González Laya et son chef de cabinet, pour avoir organisé l’accueil en Espagne de Brahim Ghali, le leader du Front Polisario.

Tout ce qui touche au ministère espagnol des Affaires étrangères m’est interdit. Jamais je n’ai été invité à leurs briefings, ni même à présenter mon livre La España en Alá. Même mon premier avocat a été écarté.

Le Département de sécurité nationale de Moncloa a offert des arguments aux avocats marocains en 2023, en omettant de mentionner le Maroc dans un rapport sur les menaces étrangères, tout en dénonçant la Russie et la Chine.

Certains disent que je suis « antimarocain ». Je tiens à le dire haut et fort : je ne suis pas anti-marocain, tout comme les antifranquistes n’étaient pas anti-espagnols.

Je passe beaucoup de temps à échanger avec des Marocains, certains devenus des amis, qui m’ont aidé dans mon travail. Mais analyser le comportement de Rabat est désormais perçu comme dérangeant, pour les deux parties.

Ignacio Cembrero

Source : El Confidencial, 29/12/2024

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