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Le journaliste avait été poursuivi pour « action de jactance ». Le tribunal de Madrid s’appuie dans son jugement sur les déclarations de juges espagnols remettant en cause « la possibilité actuelle d’une condamnation au silence » du journaliste.
Par El Confidencial, 19/11/2024
La Cour Provinciale de Madrid a rejeté la plainte pour « action de jactance » déposée par le Royaume du Maroc contre le journaliste Ignacio Cembrero, qui avait accusé les services secrets marocains d’être responsables du piratage de nombreux téléphones portables, y compris le sien, via le logiciel espion Pegasus, fabriqué en Israël.
Le tribunal, composé de trois magistrats, a confirmé un précédent jugement du Tribunal de Première Instance 72, rendu en mars 2023, contre lequel Ernesto Díaz-Bastien, avocat du Royaume du Maroc, avait fait appel.
La Cour Provinciale estime que ce jugement était « parfaitement motivé », selon une notification rendue publique lundi dernier. Ignacio Cembrero a été défendu par l’avocat Javier Sánchez, décédé subitement en août 2023, puis par son fils, Javier Sánchez Moro, qui a repris le dossier.
La 25ᵉ chambre de la Cour Provinciale rappelle dans son jugement de 12 pages les arguments d’autres tribunaux espagnols, y compris la Cour suprême, qui considèrent que « la validité de l’action de jactance est remise en question », qu’elle est « obsolète » et qu’ils doutent même « de la possibilité actuelle d’une condamnation au silence » du défendeur, comme le demandait le Royaume du Maroc.
Le tribunal affirme qu’invoquer l’action de jactance pour défendre le droit à l’honneur, comme l’a tenté le Maroc, est « pratiquement impossible ». Le mécanisme adéquat est la loi organique sur la protection civile du droit à l’honneur, mais les autorités marocaines ne peuvent pas y recourir. « Les entités de nature juridique publique », telles que le Royaume du Maroc, « ne sont pas titulaires du droit à l’honneur » en Espagne ni ailleurs en Europe.
Le jugement situe les déclarations de Cembrero, pointant le Maroc, dans le cadre de « l’affaire de l’espionnage via les téléphones portables réalisé avec le logiciel malveillant Pegasus », dont les victimes incluent des journalistes. L’un d’entre eux, le défendeur, figurait « dans la liste publiée par le consortium Forbidden Stories, composé de 17 journaux prestigieux dans le monde ». Cette révélation avait suscité des réactions de « l’Union européenne, de gouvernements étrangers, d’éditoriaux, de médias, etc. », rappelle le tribunal.
Forbidden Stories avait publié, le 18 juillet 2021, les noms des détenteurs de centaines de téléphones espionnés par le Maroc via Pegasus. Parmi eux figuraient le président français Emmanuel Macron, 14 de ses ministres, ainsi que des journalistes, des militants des droits de l’homme, des exilés marocains et des cadres du Front Polisario.
La liste ne comprenait que trois numéros espagnols, dont celui de Cembrero. En mai 2022, le journal britannique The Guardian avait annoncé que Forbidden Stories enquêtait sur 200 autres numéros espagnols ciblés par le Maroc, mais cette liste n’a jamais été rendue publique.
Dans ce contexte, « lorsque M. Cembrero a été interviewé » par divers médias, « il a expliqué qui vend le programme, à qui et dans quel but. En tenant compte de sa carrière de journaliste dans la région du Maghreb et du Moyen-Orient, il a déclaré que le seul pays susceptible de vouloir l’espionner serait le Maroc », précise le jugement pour justifier les déclarations du défendeur.
La décision condamne également le Royaume du Maroc à payer les frais de justice, bien que ce dernier puisse invoquer l’immunité diplomatique pour ne pas les régler. L’avocat marocain pourrait probablement faire appel de cette décision auprès de la Cour Suprême, conformément à la stratégie suivie par les avocats du Maroc en France, qui ont porté des recours jusqu’au niveau le plus élevé.
En France, le code civil ne prévoit pas l’action de jactance. Les avocats marocains ont alors intenté des procès pour diffamation contre des médias comme Le Monde, L’Humanité, Médiapart, des radios publiques françaises, et Amnesty International France. Les procureurs et juges français ont rappelé que les États ne peuvent pas engager de poursuites pour diffamation et ont rejeté les plaintes, une décision confirmée en septembre dernier par la Cour de Cassation.
Depuis 2014, le Maroc a poursuivi Ignacio Cembrero à quatre reprises pour des motifs pénaux et civils. Toutes ces procédures ont été classées ou perdues par le Royaume.
En janvier 2023, le Parlement européen a adopté une résolution demandant au Maroc de cesser de harceler le journaliste et de libérer trois journalistes marocains emprisonnés. Cette résolution a été soutenue par une majorité écrasante, sauf par les socialistes espagnols et l’extrême droite française.
Le Parlement européen a également approuvé en février 2023 une directive anti-SLAPP (procédures abusives contre la participation publique) pour protéger les journalistes ciblés par des poursuites manifestement infondées. Cette directive doit encore être transposée en droit espagnol.
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