Site icon Maghreb Online

Pour comprendre les 50 ans de crise au Sahara occidental

Après plusieurs années de crise diplomatique, Emmanuel Macron s’est rendu fin octobre 2024 au Maroc pour une visite d’État de trois jours. Dans un discours au parlement du Maroc, le président a affirmé que «le présent et l’avenir» du Sahara occidental «s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine». Fin juillet déjà, la France avait apporté son soutien à un plan d’autonomie marocain pour le territoire. Une prise de position historique pour un conflit qui dure depuis 50 ans.

Par Romane Laignel Sauvage –

Du 28 au 30 octobre 2024, Emmanuel Macron a été en visite d’État au Maroc. Ce déplacement a signé la fin de trois ans de crise diplomatique avec le pays. Dans un discours au parlement marocain, le président français a notamment affirmé que « le présent et l’avenir » du Sahara occidental « s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine ». Le 30 juillet 2024 déjà, la France avait apporté son soutien renforcé à un plan d’autonomie marocain pour le territoire.

Une prise de position historique : depuis près d’un demi-siècle et la fin de la colonisation espagnole, le Sahara occidental est au cœur d’un conflit entre le Maroc et les indépendantistes du Front Polisario, soutenus par l’Algérie. Deux pays avec lesquels la France a des relations historiques, en tant qu’ex-puissance coloniale.

« Nous, on veut simplement que les Espagnols quittent notre pays immédiatement. » À la fin du XIXe siècle, alors que les puissances colonisatrices européennes se partageaient l’Afrique, l’Espagne s’était emparé de l’actuel Sahara occidental, jusque-là sous influence marocaine. Le territoire, bien que non organisé en État, était alors occupée par différents peuples natifs et nomades. Leurs descendants sont aujourd’hui désignés comme Sahraouis.

Le Sahara espagnol

En tant que puissance coloniale, l’Espagne ne s’aventura que relativement sur le territoire et n’en découvre qu’assez tardivement les richesses minières. Le pays fonde dans les années 1930 la ville d’El Aaiún. Aujourd’hui appelée Laâyoune, elle est la plus grande ville du Sahara occidental.

En 1956, dans un mouvement plus général de décolonisation et de montée des mouvements indépendantistes, le Maroc gagne son indépendance vis-à-vis de la France. Dès lors, le pays cherche à recouvrer un « Grand Maroc », c’est-à-dire des territoires qui ont été sous l’influence marocaine à une période de l’histoire. Parmi lesquels, la Mauritanie, une partie du Sahara algérien et du Mali, ainsi que… le Sahara occidental. Le Maroc revendique donc rapidement le Sahara occidental, à l’époque encore espagnol.

En parallèle, en 1963, le Sahara occidental est inscrit sur la liste des territoires non autonomes des Nations unies, « territoires dont les populations ne s’administrent pas encore complètement elles-mêmes » et donc à décoloniser.

La situation avant le départ des Espagnols

C’est dans ce contexte que, peu avant la mort de son dictateur, l’Espagne franquiste s’est progressivement retirée du Sahara occidental. L’archive en tête d’article faisait ainsi en 1975 le portrait d’un territoire dont la capitale, El Aaiún, était peuplée pour moitié de « militaires espagnols ». Antenne 2 détaillait : « Dans moins d’un an, l’Espagne devra sans doute quitter le Sahara ».

Federico Gómez de Salazar, gouverneur du territoire assurait : « L’Espagne acceptera ce que voudront les habitants de ce territoire qu’ils décideront par voie de référendum, lorsque les Nations unies l’organiseront. » Une souplesse espagnole d’apparence, car les enjeux étaient importants : « Le 10 mai 1963, un géologue espagnol découvre en plein désert l’un des plus importants gisements de phosphate du monde. (…) En 1974, la première année d’exploitation, plus de deux millions de tonnes, sont extraites. (…) Les Espagnols ne veulent pas perdre leurs investissements considérables et voudraient partager la manne à venir. Les Marocains, qui sont déjà les plus grands exportateurs de phosphate du monde, accentuent leurs revendications. »

Les Sarahouis, eux, s’organisaient. Dès la fin des années 1960, le Front de libération du Sahara lutte contre l’autorité espagnole. Il se renommera Front Polisario quelques années plus tard et sera soutenu activement par l’Algérie. L’un de ses représentants était interviewé par Antenne 2. Il revendiquait la violence comme moyen d’action « révolutionnaire » pour obtenir « l’indépendance absolue ». Et d’affirmer : « Je pense que les pays du tiers monde ne laisseront pas que notre voisin nous attaque. C’est pour cela, nous, on veut simplement que les Espagnols quittent notre pays immédiatement, immédiatement ».

Pour un représentant marocain, dont le nom n’est pas mentionné dans l’archive, c’était l’Espagne qui avait « créé cette fiction de l’État saharien indépendant ». Et le commentaire de décrire un pays prêt à prendre la place de l’Espagne, dès son départ : « L’armée royale s’est déployée le long de la frontière. On entraîne les soldats, on creuse des emplacements d’artillerie. La récupération de leur Sahara est devenue le leitmotiv de tous les Marocains. » Conclusion du commentaire : « Le Maroc ne peut plus accepter le maintien des Espagnols ou la création d’un Etat indépendant. Et si la voie diplomatique échoue, il ne restera que la force ». Voilà le décor planté.

Vers une occupation marocaine

En octobre 1975, la Cour internationale de justice notait qu’il y avait bien de « liens juridiques d’allégeance entre le sultan du Maroc et certaines tribus vivant sur le territoire de Sahara occidental », mais que « les éléments et renseignements portés à sa connaissance n’établissent l’existence d’aucun lien de souveraineté territoriale entre le territoire du Sahara occidental d’une part, le Royaume du Maroc ou l’ensemble mauritanien d’autre part ». Elle concluait donc que les liens du territoire avec les pays voisins n’empêchaient pas sa décolonisation et l’autodétermination de ses populations.

Hassan II considérant que l’avis de la CIJ était favorable au Maroc, moins d’un moins plus tard et alors qu’en Espagne Franco mourrait, le Maroc organisait une « marche verte » pacifique qui mobilisa plus de 300 000 Marocains dans l’espoir de récupérer le Sahara occidental. Le reportage ci-dessous montre l’étendu du convoi. Antenne 2 y rapportait des slogans tels que « Hassan II est notre roi, le Sahara est notre Sahara ».

Ce coup de force mena aux accords de Madrid, signés le 14 novembre par l’Espagne, le Maroc et la Mauritanie. Ils établissaient les conditions du retrait espagnol du Sahara occidental, et le partage du territoire entre le Maroc et la Mauritanie.

La République arabe sahraouie démocratique

Fin février 1976, les Espagnols notifiaient du départ de leur dernier soldat du sol sahraoui. Le lendemain, le 27 février, le Front Polisario proclamaient la République arabe sahraouie démocratique. Sans être certains d’être en territoire sahraoui, les journalistes de TF1 avaient assisté à cet événement. Leurs images étaient diffusées le 28 février, dans l’archive ci-dessous.

Dans son lancement, le présentateur résumait la situation : « Il y a donc trois gouvernements pour trois États différents, mais dont les frontières sont les mêmes. Le Sahara occidental, officiellement géré par les Marocains et par les Mauritaniens qui ont pris la succession des Espagnols, et le Front Polisario qui a proclamé la nuit dernière le Sahara occidental, République arabe sahraouie. Les Sahraouis sont en quelque sorte les indigènes du Sahara occidental. Ils affirment que ce territoire évacué par les Espagnols doit leur revenir dans sa totalité et que les Marocains n’ont rien à y faire. L’Algérie soutient les Sahraouis. Le Maroc est soutenu par la Mauritanie. Mauritanie, Maroc et Algérie ont chacun une frontière commune avec le Sahara occidental dont les richesses minières importantes ne sont sans doute pas étrangères à ces intérêts multiples. » Et d’ajouter : « La proclamation la nuit dernière de la République sahraouie n’a pu être faite du Sahara occidental, entièrement contrôlé par les Marocains. C’est du moins ce qu’affirme Rabat. »

Dominique Bromberger, envoyé spécial sur place, avait interrogé un représentant du Front, Lamine Lamine. Il affirmait : « Vous savez, l’existence marocaine, c’est une existence dans des postes. Alors, le reste de la région. C’est toujours sous le contrôle du front. Nous sommes partout. Nous sommes même à l’intérieur du Maroc ». À l’argument qui disait que la population sahraouie était trop petite pour faire un État, il répondait : « La liberté n’est jamais comparée avec le nombre des habitants ».

La possibilité d’un cessez-le-feu

Le retrait espagnol, l’invasion marocaine du territoire et la déclaration d’indépendance sahraouie marqua le début d’une longue guerre entre le Maroc, la Mauritanie et le Front Polisario. Elle fit plusieurs milliers de morts et de réfugiés. Le conflit avec la Mauritanie s’acheva en 1979, comme on l’entend ci-dessous, après un putsch militaire qui renverse l’ancien président. Un représentant du nouveau pouvoir en place argumentait en faveur d’un retrait du Sahara : « En ce qui concerne ce que vous appelez le problème du Sahara, le Comité militaire national de redressement en est conscient et le compte certainement parmi les difficultés majeures qui conduisent ce pays à la catastrophe ».

Le Maroc poursuit son occupation du Sahara occidental. Dans les années 1980, le conflit s’enlise à la faveur du Maroc et de la construction de plusieurs murs de défense par l’armée marocaine. Comme le note l’archive ci-dessous : « Grâce à une série de murs de défense, grâce à une marche verte de plus de 350 000 Marocains, grâce à un corps expéditionnaire estimé à plus de 100 000 hommes, Rabat réussi à contenir les maquisards en dehors du Sahara utile et à reprendre l’exploitation des mines d’un phosphate riche en uranium ». En 1988, on espérait une résolution du conflit.

Ce cessez-le-feu intervenait trois ans plus tard, en 1991. « En théorie, ce sera une paix définitive. » Obtenu par la médiation de l’ONU, il devait laisser place à un référendum d’autodétermination sahraouie quatre mois plus tard, comme le rapportait l’archive ci-dessous.

Sauf qu’à la liste de 70 000 personnes arrêtées, le Maroc insistait « pour que 120 000 électeurs supplémentaires puissent participer au scrutin » et était « soupçonné de vouloir faire voter ses propres ressortissants favorables à un rattachement au Royaume ». Conclusion : « Après seize ans de conflit, tout le monde déclare vouloir la paix, mais personne ne semble vraiment prêt à faire les concessions indispensables ».

Depuis ce cessez-le-feu, la situation n’est pas réglée. Aucun référendum n’a pu être organisé, malgré les demandes du Front Polisario. Celui-ci ne contrôle toujours que 20 % du territoire et depuis 2007, le Maroc propose un plan d’autonomie sous sa souveraineté. La Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (Minurso) a toujours cours.

Source : INA.FR, 29.10.2024

#SaharaOccidental #Maroc #Polisario #MINURSO #EtatsUnis #France #Macron

Quitter la version mobile