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Comment gérer les tensions entre l’Algérie et le Maroc (International Crisis Group)

[L’Algérie] a accusé le Maroc de conspirer avec Israël et les Émirats arabes unis pour l’isoler diplomatiquement.

Depuis 2021, lorsque l’Algérie a rompu ses relations avec le Maroc, les deux voisins sont en désaccord. Jusqu’à présent, leurs querelles sont restées principalement dans le domaine diplomatique. Les pays occidentaux devraient aider à contenir ces différends jusqu’à ce que le moment soit propice à un rapprochement.

Quoi de neuf ? Depuis 2021, l’Algérie et le Maroc sont plongés dans une crise diplomatique. Des incidents liés au Sahara occidental risquent de conduire les deux pays à une confrontation, tandis que les relations de Rabat avec Israël sont une source de friction.

Pourquoi est-ce important ? L’autoretenue mutuelle et la pression américaine ont permis de contenir les tensions entre les deux pays, mais des pressions escalatoires pourraient compromettre le statu quo. Parmi les facteurs de risque figurent une course aux armements bilatérale, la désinformation en ligne, la montée d’un militantisme parmi les jeunes du Front Polisario pro-indépendance du Sahara occidental, et le changement d’administration américaine.

Que faut-il faire ? Les acteurs extérieurs devraient souligner l’importance de protéger les civils et de permettre à la mission de l’ONU de fonctionner efficacement au Sahara occidental. Ils devraient également continuer à engager un dialogue avec les gouvernements algérien et marocain, calibrer les ventes d’armes et aider à relancer les pourparlers parrainés par l’ONU sur le Sahara occidental pour éviter toute escalade.

Résumé exécutif

Depuis que l’Algérie a rompu ses relations avec le Maroc en 2021, les deux pays ont réussi à éviter une confrontation armée malgré plusieurs incidents au Sahara occidental qui auraient pu provoquer une escalade. En 2020, le Maroc a normalisé ses relations avec Israël et entamé une coopération militaire avec ce dernier. L’Algérie a perçu le rapprochement entre Israël et le Maroc, ainsi que d’autres développements, comme une menace pour sa sécurité nationale. Toutefois, le principal point de tension entre les deux pays demeure le Sahara occidental, où le Maroc revendique sa souveraineté tandis que l’Algérie soutient le Front Polisario pro-indépendance.

Jusqu’à présent, l’autocontrôle mutuel et la diplomatie américaine ont permis de maintenir la paix entre les deux voisins. Cependant, des hostilités dans le Sahara occidental, la désinformation en ligne, une course aux armements bilatérale et l’arrivée de Donald Trump à la présidence constituent des risques pour la stabilité. Les pays occidentaux peuvent contribuer à gérer la crise en insistant pour que les parties au conflit au Sahara occidental protègent les civils, en permettant à la mission de l’ONU d’y exercer son rôle, en limitant les transferts d’armes, en soutenant les pourparlers de l’ONU et en demandant aux entreprises de médias sociaux de freiner les discours de haine en ligne en Algérie et au Maroc.

Au cours des dernières années, le Maroc et l’Algérie ont tous deux adopté une posture de politique étrangère plus affirmée. Sous le règne du roi Mohammed VI, le Maroc a renforcé son influence régionale, notamment par une pression accrue sur le Sahara occidental, et élargi ses relations internationales. En revanche, l’influence de l’Algérie a diminué à la suite de l’AVC du président Abdelaziz Bouteflika en 2013 et du mouvement de protestation pro-démocratique de 2019-2021, qui a focalisé les autorités sur la stabilité intérieure. Cependant, sous la présidence d’Abdelmadjid Tebboune, élu en 2019, Alger tente de retrouver sa position historique dans les affaires nord-africaines et sahéliennes.

Dans ce contexte, des frictions considérables se sont développées entre les deux pays. La normalisation des relations entre le Maroc et Israël fin 2020 a antagonisé l’Algérie, qui y a vu un complot contre ses intérêts. Des événements subséquents, comme la déclaration du Maroc en faveur de l’autodétermination de la région kabyle en Algérie, majoritairement berbère, et l’utilisation présumée par Rabat de logiciels espions israéliens pour collecter des renseignements sur des responsables algériens, ont exacerbé les tensions. En août 2021, le ministre israélien des Affaires étrangères, Yaïr Lapid, a accusé l’Algérie de s’immiscer dans les affaires sahéliennes lors d’une visite à Rabat, ce qui a conduit Alger à suspendre ses relations avec son voisin. Une série d’incidents ultérieurs a alimenté le différend, poussant Rabat et Alger à acheter de nouveaux systèmes d’armes à l’étranger dans une compétition croissante. La désinformation en ligne dans les deux pays n’a fait qu’aggraver la situation.

Entre-temps, les combats ont repris au Sahara occidental, le Front Polisario ayant renoncé à un cessez-le-feu vieux de 30 ans fin 2020. Depuis lors, Rabat et le Polisario se livrent une guerre d’usure qui met en péril la mission de l’ONU au Sahara occidental, en place depuis 1991. En 2022 et 2023, cette mission a indiqué qu’elle pourrait devoir se retirer, ce qui aurait pu amener les troupes marocaines et algériennes à se retrouver face à face à la frontière, augmentant considérablement le risque d’une guerre transfrontalière. La mission a été préservée grâce à l’intervention des États-Unis, ce qui a permis d’apaiser les tensions.

Les acteurs extérieurs ont joué des rôles variés. Depuis Washington, l’administration Biden a cherché à prévenir un conflit direct en renforçant son engagement avec les trois parties clés de la crise : l’Algérie, le Maroc et le Polisario. En revanche, les gouvernements européens ont eu du mal à mener une diplomatie efficace, pris dans le jeu à somme nulle entre Alger et Rabat. L’Espagne et la France ont tenté de maintenir de bonnes relations avec les deux pays, mais se sont finalement alignées sur le Maroc, exprimant leur soutien à la solution privilégiée par Rabat pour le conflit du Sahara occidental. Ces positions ont aliéné l’Algérie. De son côté, l’Union européenne a essayé de protéger ses relations avec le Maroc des répercussions d’une longue bataille juridique sur le Sahara occidental devant la Cour de justice de l’Union européenne, s’efforçant (avec un succès mitigé) d’équilibrer cette démarche avec une ouverture envers Alger.

La rivalité entre l’Algérie et le Maroc s’est étendue à d’autres régions d’Afrique du Nord et du Sahel. Le Maroc a tiré parti du déclin de l’influence de l’Algérie dans le Sahel pour proposer la construction d’une autoroute reliant cette région au Sahara occidental contrôlé par Rabat. En réponse, Alger a proposé un nouveau regroupement nord-africain incluant la Libye et la Tunisie, mais excluant le Maroc. À l’Union africaine, les frictions entre les deux voisins ont parfois entravé le bon fonctionnement des institutions.
Grâce à l’autocontrôle mutuel et à l’aide des États-Unis, l’Algérie et le Maroc ont réussi à éviter un affrontement militaire, mais le danger persiste. Au Sahara occidental, les deux parties semblent avoir défini par tâtonnements certaines règles du jeu (soutenues à certains égards par leurs obligations en vertu du droit international), notamment la protection des civils et la préservation du rôle de la mission de l’ONU sur le terrain. Cependant, le statu quo précaire reste soumis à plusieurs facteurs de risque, parmi lesquels : les appels d’activistes impatients du Polisario à des actions plus agressives contre le Maroc, la course aux armements entre Alger et Rabat, les effets d’une rhétorique enflammée en ligne, et la possibilité que la nouvelle administration Trump bouleverse l’équilibre diplomatique établi par l’équipe Biden.

Avec les États-Unis en période de transition politique, les gouvernements européens pourraient devoir prendre les devants pour aider à gérer les tensions entre les deux voisins. Ces derniers, ainsi que d’autres acteurs extérieurs intéressés, devraient encourager les parties à considérer comme inviolables les règles du jeu émergentes, inciter les fournisseurs à calibrer leurs livraisons d’armes à Rabat et Alger pour limiter le risque d’une course aux armements déstabilisatrice, relancer les négociations dirigées par l’ONU sur le Sahara occidental, et exhorter les plateformes de médias sociaux à surveiller et freiner la désinformation incendiaire.

Lorsque les conditions seront réunies, la prochaine étape sera pour l’Algérie et le Maroc de rétablir leurs relations – et idéalement d’aller au-delà de la normalisation diplomatique pour promouvoir la coopération en matière de sécurité des frontières, d’infrastructures et de commerce, afin de jeter les bases d’une relation plus stable, productive et durable.

Introduction

Les voisins nord-africains, l’Algérie et le Maroc, entretiennent depuis longtemps une relation tumultueuse. Leurs désaccords récurrents remontent à un projet d’unification avorté. L’idée d’un État nord-africain unique regroupant l’Algérie, le Maroc et la Tunisie – tous sous différentes formes de domination coloniale française au début des années 1950 – était populaire dans les trois pays au début de la guerre d’indépendance algérienne en 1954. Cependant, en 1956, le gouvernement français a décidé d’accorder l’indépendance au Maroc et à la Tunisie pour se concentrer sur la conservation de l’Algérie, ce qui a réduit la probabilité d’une lutte commune des trois peuples en vue de former un État unifié. Les armées marocaines et tunisiennes postcoloniales étaient alors trop faibles pour intervenir en faveur de l’Algérie.

Immédiatement après l’indépendance du Maroc, le roi Mohammed V a commencé à prôner le concept d’unité nord-africaine, mais sous la forme d’un discours irrédentiste sur un « Grand Maroc », promu par les aristocrates de Fès, siège historique de diverses dynasties marocaines. Ce « Grand Maroc » théorique englobait ce qui est aujourd’hui le Sahara occidental et d’autres territoires alors contrôlés par l’Espagne, tels que les enclaves côtières d’Ifni, Ceuta et Melilla. Il incluait également une partie du sud de l’Algérie, s’étendant de Colomb Béchar au sud jusqu’à Tindouf, et de la Hamada du Guir à l’est jusqu’à l’Erg Iguidi. Enfin, il s’étendait vers l’est jusqu’au Tanezrouft (actuellement au Mali) et englobait toute la Mauritanie. Les sultans marocains de Fès avaient régné sur ces terres à divers moments des siècles passés, bien que leur contrôle ait souvent été contesté ou incomplet selon les circonstances.

En février 1961, après la mort de Mohammed V, son héritier Hassan II a commencé à accorder plus d’importance aux revendications marocaines en Algérie. L’objectif était triple : premièrement, s’emparer des régions situées immédiatement à l’est du Maroc, Tindouf et Colomb Béchar, pour mieux contrôler les tribus nomades vivant déjà dans son domaine. Deuxièmement, affaiblir la gauche marocaine panarabe, dynamisée par la victoire du mouvement de libération algérien en 1962. Enfin, invoquer le passé impérial du Maroc permettait d’atténuer les courants anti-monarchistes émanant de l’Algérie nouvellement indépendante et socialiste, tout en améliorant les relations du royaume avec l’Occident dans le contexte de la guerre froide.

Les revendications marocaines ont conduit à des querelles sur la définition de la frontière, que Rabat accusait les Français d’avoir tracée de manière à attribuer à l’Algérie des territoires traditionnellement contrôlés par des tribus loyales à la monarchie marocaine. Ce désaccord a dégénéré en une série d’escarmouches frontalières, suivies par une guerre ouverte en octobre 1963. Les combats, connus sous le nom de « guerre des sables », ont été confinés aux zones frontalières, mais ont causé des centaines de morts et de prisonniers des deux côtés. En février 1964, après plusieurs tentatives infructueuses de médiation, l’Organisation de l’unité africaine (OUA) a négocié un cessez-le-feu maintenant les frontières inchangées.

La guerre des sables et le patriotisme qu’elle a suscité des deux côtés ont consolidé les deux États nouvellement indépendants et leurs régimes autoritaires respectifs, tout en « renforçant le nationalisme des deux armées », comme l’a noté un historien marocain. En Algérie, elle a renforcé le pouvoir du président Houari Boumediene ainsi que l’ascendance de l’armée au sein du Front de libération nationale au pouvoir. Au Maroc, elle a consolidé le règne du roi Hassan II.

La rivalité entre les deux nationalismes avait également une composante idéologique. L’Algérie, république socialiste se définissant comme non alignée pendant la guerre froide, s’est rapprochée diplomatiquement du bloc de l’Est tout en atteignant une certaine indépendance économique grâce à ses richesses en pétrole et en gaz. Le Maroc, en revanche, était une monarchie conservatrice avec une économie libérale, plus encline à s’aligner sur l’Occident.

Au cours des 60 années suivantes, les relations entre les deux pays ont alterné entre détente et tensions. Le 15 juin 1972, ils ont signé un accord de démarcation des frontières reconnaissant l’inviolabilité des frontières héritées de l’époque coloniale, un principe défendu par l’OUA à travers le continent. Ils ont également convenu d’accroître la coopération bilatérale dans tous les domaines et de soumettre tout différend à des commissions conjointes. Enfin, ils ont annoncé la création d’une société mixte algéro-marocaine pour l’extraction de plomb et de zinc à El Abed, à la frontière.

Cependant, la question du Sahara occidental a rapidement déclenché une crise majeure dans les relations bilatérales. En 1973, le Front Polisario – formé cette année-là en Mauritanie pour réclamer l’indépendance au nom du peuple sahraoui du Sahara occidental – a commencé à lutter pour libérer le territoire de l’Espagne. Après le retrait des forces espagnoles deux ans plus tard, la Mauritanie et le Maroc ont chacun pris le contrôle d’une partie de l’ancienne colonie espagnole. Le Polisario a continué à se battre contre les deux et, malgré l’absence de contrôle territorial, a proclamé en 1976 la République arabe sahraouie démocratique.

En invoquant son soutien au principe d’autodétermination et en souhaitant infliger au roi Hassan II ce que les Algériens appelaient parfois un « abcès de fixation », car il n’avait pas réussi à faire adopter par le parlement marocain l’accord de délimitation des frontières, Alger a reconnu la revendication du Polisario à la souveraineté étatique. En signe de solidarité, l’Algérie a expulsé 45 000 Marocains de son territoire, ce qui a conduit le Maroc à rompre ses relations diplomatiques. En 1979, la Mauritanie s’est retirée du Sahara occidental sous les attaques du Polisario, laissant Rabat contrôler la majeure partie de la zone contestée. Les actions du Maroc au Sahara occidental ont suscité de vives critiques de l’OUA, poussant le royaume à quitter l’organisation en 1984.

Ce n’est qu’en 1988 que l’Algérie et le Maroc ont rétabli leurs relations diplomatiques. Ils ont convenu d’intensifier les échanges commerciaux et de former l’Union du Maghreb arabe, qui reste la tentative la plus ambitieuse d’intégration régionale (même si elle a finalement échoué). Les ministres de l’Énergie des deux pays ont également approuvé la construction d’un gazoduc reliant l’Algérie à l’Europe via le Maroc. Les tensions autour du Sahara occidental se sont également apaisées avec l’introduction, en 1991, d’un plan de règlement sous l’égide de l’ONU. Ce plan a instauré un cessez-le-feu et créé une zone tampon divisant le territoire entre le Maroc (qui contrôle 80 % de la zone) et le Polisario. Depuis lors, une mission de l’ONU appelée MINURSO surveille la zone tampon, qui, selon les termes du cessez-le-feu, doit rester exempte de soldats marocains ou de combattants du Polisario. L’ONU a également proposé un référendum sur l’autodétermination, dans lequel les habitants du territoire choisiraient entre l’intégration au Maroc et l’indépendance.

Cependant, le rapprochement s’est refroidi en 1994, après une altercation à la suite d’une fusillade qui a tué deux touristes espagnols à l’hôtel Atlas-Asni à Marrakech. Deux des hommes arrêtés pour l’attaque étaient des ressortissants français d’origine algérienne (le troisième étant un Français d’origine marocaine). Le ministère marocain de l’Intérieur a accusé l’armée algérienne d’être derrière l’attaque, et Rabat a rapidement commencé à exiger des visas d’entrée pour les ressortissants algériens au Maroc. L’Algérie a nié toute responsabilité, imposant ses propres exigences de visa pour les citoyens marocains et fermant sa frontière terrestre avec le Maroc.

Au cours des deux décennies suivantes, les deux pays ont progressivement repris leur coopération bilatérale dans certains domaines, notamment la lutte contre la contrebande et le trafic de drogue. Ils ont fini par abolir les exigences de visa d’entrée, sans pour autant rouvrir la frontière terrestre. Les relations sont restées tendues mais calmes.

L’idée d’un « Grand Maroc » est réapparue à plusieurs reprises dans les médias marocains et parmi les responsables marocains au fil des décennies post-indépendance, généralement en référence à Béchar et Tindouf. Sa persistance a alimenté les craintes algériennes selon lesquelles le Maroc nourrirait des ambitions expansionnistes, bien que Rabat ait fini par ratifier l’accord de délimitation des frontières en 1992, vingt ans après la signature de l’accord. De leur côté, les Marocains rejettent les préoccupations de leurs voisins comme étant paranoïaques, affirmant que Rabat a depuis longtemps renoncé à toute revendication sur des territoires algériens ou autres (à l’exception notable du Sahara occidental). Les deux États ont utilisé ces tensions pour mobiliser le sentiment nationaliste parmi leurs citoyens respectifs, détournant ainsi l’attention des problèmes intérieurs liés notamment à la gouvernance autoritaire et à de mauvaises performances économiques.

Ce rapport examine la dernière série de tensions entre Alger et Rabat, qui a commencé en août 2021 avec la décision de l’Algérie de suspendre ses relations diplomatiques avec le Maroc, et les facteurs qui sous-tendent cette crise. Il analyse les principaux moteurs du risque d’escalade de la violence, avec un accent particulier sur le conflit entre le Maroc et le Front Polisario. Ce conflit reste non résolu, le référendum sur l’autodétermination envisagé n’ayant jamais eu lieu et les deux parties ayant durci leurs positions. (L’ONU continue de considérer le Sahara occidental comme un territoire non autonome.) Le rapport propose des moyens pour que les capitales occidentales minimisent les incidents qui, bien qu’isolés jusqu’à présent, pourraient dégénérer en guerre ouverte. Il est basé sur des dizaines d’entretiens avec des responsables algériens et marocains, ainsi qu’avec des diplomates et universitaires occidentaux, des journalistes, des chercheurs et des militants de la société civile des deux pays. Environ 70 % des personnes interrogées étaient des hommes, les autres des femmes. Le rapport s’appuie également sur des déclarations officielles, des publications sur les réseaux sociaux et des publications antérieures du Crisis Group.

II. Un conflit gelé commence à dégeler

Au cours des deux dernières décennies, d’abord le Maroc, puis l’Algérie, ont affirmé davantage leurs priorités en matière de politique étrangère, ce qui a parfois entraîné des conflits et intensifié l’animosité entre eux. Le principal point de discorde reste le Sahara occidental, où le Maroc renforce sa revendication de souveraineté avec un succès croissant, tandis que l’Algérie continue de soutenir le Front Polisario. La trêve négociée par l’ONU en 1991 s’est effondrée, et depuis fin 2020, les affrontements entre le Maroc et le Polisario ont parfois menacé d’entraîner l’armée algérienne. Mais d’autres sources de friction existent également.

A. Un Maroc de plus en plus confiant

1. Tracer son propre chemin

Sous le règne du roi Mohamed VI, dont le mandat a débuté en 1999, le Maroc a de manière plus affirmée tracé son propre chemin en matière de politique étrangère. Il est resté proche de ses partenaires occidentaux traditionnels, en particulier des États-Unis. En 2004, par exemple, il a commencé à accueillir les exercices militaires annuels menés par les États-Unis, appelés « African Lion », en collaboration avec des partenaires de l’OTAN et de l’Afrique. Cependant, les responsables marocains ont également observé un glissement de l’hégémonie américaine vers un ordre mondial multipolaire dans lequel la Russie, la Chine et d’autres pays joueront un rôle important. Ils considèrent cette dynamique comme un moyen d’avoir plus de marge de manœuvre dans leurs relations avec les interlocuteurs occidentaux.

Mohamed VI a cherché à diversifier les relations extérieures de Rabat, développant des liens politiques et économiques avec la Chine et la Russie. De plus, grâce à des visites dans les capitales de l’Afrique subsaharienne, le roi a contribué à réparer les dégâts causés à la réputation du Maroc par son incursion au Sahara occidental et son retrait ultérieur de l’OUA. Cette offensive diplomatique a culminé avec la réadmission de Rabat à l’organisation successeur de l’OUA, l’Union africaine (UA), en 2017.

2. Une ligne plus dure sur le Sahara occidental

En même temps, Mohamed VI a soutenu une position de plus en plus ferme sur le Sahara occidental. Depuis 1991, le Maroc avait nominalement accepté l’idée d’un référendum sur l’autodétermination du territoire sous l’égide de l’ONU. Cependant, ce référendum n’a jamais eu lieu, en raison de désaccords entre le Maroc et le Polisario concernant qui devrait être autorisé à voter. Rabat est devenu de plus en plus sceptique quant à la valeur du référendum, et Mohamed VI a décidé de l’abandonner. Dans un discours de 2002, le roi a exprimé son scepticisme en affirmant qu’un référendum était « irréalisable ». Cinq ans plus tard, le Maroc a officiellement retiré son soutien à ce projet, le remplaçant par un « plan d’autonomie » prévoyant une décentralisation partielle des pouvoirs au Sahara occidental en tant que région sous la souveraineté de Rabat. Le Polisario a rejeté le plan. L’Algérie a fait de même.

Ces réactions ont renforcé l’opinion du Maroc selon laquelle le Polisario est un instrument algérien impliqué dans un différend artificiel qui devrait être réglé dans le cadre d’un grand accord régional sur les frontières et la sécurité. Conformément à cette vision, Rabat estime que les parties doivent discuter de la question dans un format de table ronde incluant l’Algérie et la Mauritanie. Deux de ces tables rondes ont eu lieu en 2019, sans pour autant aboutir à une résolution, et le Maroc souhaite qu’elles se poursuivent. Le Polisario, soutenu par Alger, a participé en 2019 ; il a été encouragé par l’implication renouvelée du Conseil de sécurité de l’ONU dans le conflit (grâce aux efforts personnels du conseiller à la sécurité nationale américain de l’époque, John Bolton). Mais en 2020, il s’est retiré, frustré par le processus de l’ONU, qu’il considère comme biaisé en faveur de Rabat et désire repartir sur de nouvelles bases.

La question est désormais au cœur des relations extérieures du Maroc. Rabat est devenu de plus en plus intolérant à l’égard des acteurs extérieurs qui expriment de la sympathie pour l’autodétermination sahraouie, déclenchant des disputes diplomatiques – certaines plus publiques que d’autres – avec l’Union européenne, l’Allemagne, l’Espagne, la Suède et la Tunisie. Dans un discours d’août 2022, le roi a défini la question du Sahara occidental comme le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international et le critère qui mesure la sincérité des amitiés et l’efficacité des partenariats établis par le royaume.

Depuis 2019, Rabat a encouragé les gouvernements étrangers à ouvrir des consulats à Laâyoune et à Dakhla, au Sahara occidental, pour marquer la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le territoire. Plusieurs pays africains, latino-américains et du Moyen-Orient l’ont fait, ce qui témoigne du succès de la stratégie du Maroc.

Le Polisario a observé ces développements avec une inquiétude croissante. De nombreux membres du mouvement ont estimé que la diplomatie internationale n’allait nulle part et ont appelé à un retour aux armes. Le point de rupture est survenu fin 2020, lorsque des militants pro-Polisario (bientôt rejoints par un petit nombre de combattants du Polisario) ont installé un camp au milieu d’une route reliant le Maroc à la Mauritanie à travers le Sahara occidental et la zone tampon sous surveillance de l’ONU. Le Maroc a envoyé des troupes pour déloger les bloqueurs. Ces deux actions ont violé le cessez-le-feu, que le Polisario a renoncé à respecter le 14 novembre, lançant une série d’attaques contre les positions marocaines.

Mais le Maroc a remporté un triomphe diplomatique le mois suivant, lors des derniers jours de l’administration du président américain Donald Trump, lorsque les États-Unis ont reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental en échange de la normalisation des relations diplomatiques du royaume avec Israël. Pour Washington, c’était une rupture avec des décennies de politique américaine soutenant une solution négociée à la question du Sahara occidental. C’était aussi une décision quelque peu surprenante de la part de Rabat. Bien que cela ait fait avancer l’agenda du Maroc en Afrique du Nord, de nombreux Marocains sympathisants de la cause palestinienne ont exprimé leur mécontentement de voir leur gouvernement se rapprocher d’Israël. Mais ce geste n’a pas suscité suffisamment de résistance pour troubler les responsables. Un ancien diplomate marocain a expliqué que le royaume souhaite « diversifier ses liens avec le reste du monde… Il n’y a pas de tabou tant que cela correspond à nos intérêts nationaux ».

B. L’Algérie se réaffirme

L’Algérie a également adopté une position plus audacieuse en matière de politique étrangère ces dernières années, principalement pour retrouver l’influence qu’elle estime devoir avoir afin de protéger l’Afrique du Nord et le Sahel de ce qu’elle considère comme des ingérences étrangères. Pendant des décennies après son indépendance, l’Algérie était largement perçue comme un leader des nations émergeant de la domination coloniale, en particulier en Afrique et dans le monde arabe, et était respectée pour sa longue lutte contre le joug français. Même après sa coûteuse guerre civile (1992-2002), elle a conservé une influence considérable en Afrique du Nord et dans le Sahel, alors qu’elle se reconstruisait sous la présidence d’Abdelaziz Bouteflika. Mais son influence a diminué après que Bouteflika ait subi un AVC en 2013. Il était souvent incapable de participer à la prise de décisions, ce qui, dans le système politique fortement centralisé de l’Algérie, a plongé la politique étrangère dans une quasi-paralysie.

La capacité de l’Algérie à mener sa politique étrangère a diminué encore davantage entre 2019 et 2021. Le mouvement pro-démocratie Hirak a organisé des manifestations de masse hebdomadaires qui ont poussé Bouteflika à démissionner en avril 2019. Pendant plusieurs mois, les autorités intérimaires, soutenues par l’armée, se sont concentrées sur la gestion de la transition délicate. En décembre de la même année, Abdelmadjid Tebboune a remporté la présidence et a entamé une réorganisation du système politique par une réforme constitutionnelle et de nouvelles élections législatives. Durant ses deux premières années de mandat, il n’a eu que peu de temps à consacrer aux affaires internationales.
En conséquence, selon les observateurs algériens, divers acteurs extérieurs ont pu empiéter sur le terrain diplomatique historique de l’Algérie en Afrique du Nord et dans le Sahel, en particulier dans les pays voisins où des crises ont éclaté. En Libye, des guerres épisodiques entre deux gouvernements rivaux entre 2014 et 2020 ont entraîné des interventions du Qatar et de la Turquie d’un côté, et de la Russie et des Émirats Arabes Unis de l’autre. Au Mali, l’expansion des groupes jihadistes a conduit à deux coups d’État (en 2020 et 2021), au départ des troupes françaises qui soutenaient le gouvernement (en 2022) et à l’arrivée de contractuels de sécurité russes pour aider les nouvelles autorités militaires. Un diplomate algérien a déclaré : « D’autres acteurs ont essayé de combler le vide laissé par les interventions occidentales échouées », tandis que les problèmes internes de l’Algérie limitaient l’efficacité de sa propre politique étrangère. Les nouvelles relations entre Israël et le Maroc ont également été une source supplémentaire de préoccupation, selon un analyste algérien.

Tebboune a donc commencé à se recentrer sur les questions régionales à mesure que le mouvement Hirak perdait de son élan, en partie en raison des restrictions liées à la COVID-19 sur les rassemblements publics et en partie en raison d’une répression gouvernementale accrue. Un diplomate algérien a expliqué que la politique étrangère « est une priorité pour le président, qui estime qu’il est grand temps que l’Algérie retrouve sa centralité sur diverses questions et revienne au premier plan de l’action diplomatique. Il croit en une diplomatie dynamique pour réaffirmer le rôle de l’Algérie en tant que partenaire incontournable en Afrique du Nord, au Sahel, dans le monde arabe et sur le continent africain. »

L’armée a également joué un rôle actif dans la définition des priorités externes du pays. Tebboune se rendait fréquemment au Haut Conseil de Sécurité, composé du président, des ministres de haut niveau et des officiers militaires les plus hauts gradés, pour prendre des décisions clés en matière de politique étrangère.

C. Turbulences diplomatiques

L’affirmation croissante des deux pays ne les a pas automatiquement conduits à un affrontement, malgré les nouvelles hostilités au Sahara occidental. En novembre 2020, après que le Maroc et le Polisario aient repris les affrontements, l’Algérie a appelé les deux parties « à faire preuve de responsabilité et de retenue » et à respecter le cessez-le-feu, sans accuser directement l’une ou l’autre des parties.

Cependant, la normalisation des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël un mois plus tard a provoqué un tollé en Algérie. Les autorités ont immédiatement dénoncé cette décision du Maroc. Le 12 décembre, le Premier ministre Abdelaziz Djerad a déclaré : « Nous sommes entourés de danger et de guerre. Il y a une volonté de rapprocher l’entité sioniste de nos frontières ». Un diplomate algérien a ajouté :

« L’Algérie n’acceptera jamais la présence d’Israël à ses frontières, même symboliquement, et nous savons qu’il ne s’agit pas d’une simple présence symbolique. Le roi [du Maroc] a introduit un ennemi dans notre voisinage. »

Dans les mois suivants, une série d’incidents diplomatiques a exacerbé les tensions. En juillet 2021, après que le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, ait réitéré le soutien de son pays au droit du Sahara occidental à l’autodétermination lors d’une réunion du Mouvement des non-alignés, l’ambassadeur du Maroc à l’ONU, Omar Hilale, a déclaré que la région de Kabylie, à majorité berbère et parfois agitée, avait le même droit. Alger rejette cette idée ; deux mois plus tôt, le Haut Conseil de Sécurité avait interdit le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) en tant qu’organisation terroriste. Quelques jours après les déclarations de Hilale, l’Algérie a rappelé son ambassadeur de Rabat. « Le Maroc a attaqué notre intégrité territoriale avec cette référence à la Kabylie », a déclaré un diplomate algérien. « Nous attendions une rectification de la part des autorités, mais elle n’est jamais venue ».

Plus tard en juillet, un consortium de journalistes internationaux a allégué que le Maroc avait utilisé le logiciel espion Pegasus fabriqué par Israël pour intercepter les communications de quelque 6 000 responsables algériens. Le ministère algérien des Affaires étrangères a condamné ce qu’il a appelé une « pratique illégale, indésirable et dangereuse [qui] met en péril le climat de confiance devant régir les échanges et interactions entre les responsables et représentants des États ». Le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, a nié que le Maroc ait agi comme l’alléguaient les journalistes, affirmant que l’enquête était fondée sur des suppositions.

À la fin du mois, Mohamed VI a tenté de tendre une olive branch à Alger. Dans un discours, le roi a offert des garanties de non-ingérence dans les affaires internes de l’Algérie. Un diplomate marocain a expliqué : « Le Maroc ne souhaite pas une escalade, c’est pourquoi le roi a proposé un dialogue sans conditions préalables. » Cependant, les responsables algériens ont estimé que le message du roi manquait de clarté, estimant qu’il éludait les problèmes au cœur du différend, à savoir la remarque de Hilale sur la Kabylie et l’espionnage présumé.

Les tensions sont montées d’un cran en août 2021, lorsque le ministre israélien des Affaires étrangères Yair Lapid a visité Rabat et déclaré sa « préoccupation concernant le rôle régional de l’Algérie, qui s’est alignée sur l’Iran et mène actuellement une campagne contre l’admission d’Israël en tant qu’observateur à l’Union africaine ». Israël cherchait depuis longtemps ce statut pour étendre son influence et sa légitimité en Afrique, et le président de la Commission de l’UA, Mahamat Faki, l’a accordé en 2021. Plusieurs États membres de l’UA, dirigés par l’Algérie et l’Afrique du Sud, se sont opposés à cette décision, qui reste suspendue en attendant un examen par un panel de dirigeants africains. Réagissant aux remarques de Lapid, un diplomate algérien s’est exclamé : « Un ministre israélien attaquant un pays arabe depuis la capitale d’un autre pays arabe – c’est inimaginable ! »

Il n’y a aucune preuve que les contacts entre l’Algérie, le Polisario, l’Iran et le Hezbollah vont au-delà des échanges diplomatiques. L’Algérie était frustrée pour d’autres raisons également. Un journaliste algérien a évoqué une opinion largement partagée en Algérie selon laquelle Rabat avait diffusé un récit dans les médias occidentaux sur « un rapprochement entre le Hezbollah, le Polisario et le Groupe Wagner au Sahara occidental ». De telles idées ont circulé dans les cercles politiques, notamment en Israël et parmi les think tanks américains de droite, bien qu’il n’y ait aucune preuve que les contacts entre l’Algérie, le Polisario, l’Iran et le Hezbollah aillent au-delà des échanges diplomatiques. L’Algérie soutient que cette idée est inexacte et constitue une tentative de l’isoler au Moyen-Orient en l’associant à ce que beaucoup considèrent comme des acteurs marginaux. À la suite des commentaires de Lapid, les autorités algériennes ont accusé Rabat de collusion avec le MAK pour saper la sécurité nationale de l’Algérie. Le 18 août, le Haut Conseil de sécurité a affirmé que le Maroc et le MAK étaient responsables des incendies de forêt qui avaient ravagé la Kabylie ce mois-là, ainsi que du meurtre de Djamel Bensmail, un militant de gauche accusé d’avoir déclenché les incendies et ensuite brûlé vif par une foule en colère. Le MAK a nié les accusations, tandis que le Maroc s’est abstenu de tout commentaire officiel.

Ces événements ont formé le contexte de la décision de l’Algérie de suspendre ses relations diplomatiques avec le Maroc. Le 24 août 2021, Lamamra a publié une longue déclaration annonçant cette décision, qu’il a expliquée par quatre principes qui sous-tendaient le rapprochement précédent avec Rabat. Ces principes comprenaient un engagement commun pour la coopération ; le respect de tous les traités bilatéraux précédents ; le travail pour construire une union politique nord-africaine ; et la défense du droit des Palestiniens à l’État. Lamamra a affirmé que le Maroc avait violé les quatre en incitant au séparatisme en Kabylie, en espionnant des responsables algériens, en permettant à un officiel israélien d’attaquer verbalement l’Algérie depuis le territoire marocain et en frustrant les efforts de médiation de l’ONU au Sahara occidental, entre autres. Rabat a exprimé sa surprise face à cette décision de rompre les liens, un diplomate marocain la qualifiant de décision « unilatérale et injustifiée ».

L’Algérie a pris d’autres mesures pour exprimer son mécontentement. En septembre 2021, le Haut Conseil de sécurité a décrété la fermeture immédiate de l’espace aérien algérien aux aéronefs civils et militaires marocains. En octobre, le président Tebboune a ordonné à la société pétrolière d’État Sonatrach de ne pas renouveler son contrat avec le Maroc arrivant à échéance à la fin du mois, coupant ainsi l’approvisionnement en gaz naturel via le gazoduc Maghreb-Europe qui relie l’Algérie à l’Espagne via le Maroc.

D. Conflits et course aux armements

Les relations sont rapidement passées de mauvaises à pires, bien que la détérioration soit restée bien en deçà d’un conflit à part entière. Le 3 novembre 2021, l’Algérie a annoncé que trois de ses ressortissants avaient été tués lors d’une frappe aérienne au Sahara occidental, alors qu’ils conduisaient des camions le long de la route reliant Ouargla en Algérie à la capitale mauritanienne Nouakchott. L’Algérie a accusé le Maroc et promis de se venger. Une enquête ultérieure de la MINURSO a indiqué que les décès étaient «causés par l’explosion d’un projectile air-sol et l’incendie résultant», mais n’a pas attribué de responsabilité. L’auto-retenue mutuelle a empêché une escalade dangereuse. Les responsables marocains ont nié toute implication dans l’incident et ont clairement fait savoir que Rabat ne voulait pas de guerre avec l’Algérie. L’Algérie s’est abstenue de toute représaille, malgré ses déclarations précédentes, et a envoyé des messages au secrétaire général de l’ONU, au président de la Commission de l’UA, au secrétaire général de la Ligue arabe et au secrétaire général de l’Organisation de la coopération islamique pour dénoncer un acte de « terrorisme soutenu par un État ».

Bien que les voisins aient réussi à éviter la guerre, la situation ne s’est pas améliorée. La coopération militaire croissante du Maroc avec Israël a continué d’alimenter les perceptions de menace en Algérie. En novembre, le ministre israélien de la Défense Benny Gantz a signé un protocole d’accord avec son homologue marocain, formalisant le partage de renseignements, établissant des liens entre les industries de l’armement des deux pays et ouvrant la voie à des exercices militaires conjoints. C’était le premier accord de ce type entre Israël et un pays arabe. Les responsables à Alger ont déclaré que cet accord visait à affaiblir l’Algérie.

Dans ce contexte, les deux pays ont commencé à se préparer à la possibilité que leur différend évolue en un conflit armé. Les deux camps ont intensifié leurs dépenses militaires. Le Maroc a acheté le système anti-drone Skylock Dome d’Israël en novembre et ses drones Harop en décembre. En février 2022, il a également acquis le système modulaire Barak MX, fabriqué par Israël, capable de détruire des missiles et des drones. Enfin, en avril 2023, le département d’État américain a approuvé la vente de dix-huit lance-roquettes multiples HIMARS des États-Unis, ainsi que d’autres équipements militaires, au Maroc.

L’Algérie a pris des mesures pour suivre ces achats. En novembre 2022, le parlement algérien a approuvé une augmentation spectaculaire du budget militaire de 2023, atteignant environ 23 milliards de dollars, contre environ 11 milliards l’année précédente. À la fin de 2022, les médias locaux ont indiqué que les autorités se préparaient à acheter des jets furtifs Su-57, des bombardiers SU-34 et des chasseurs Su-30, en plus de nouveaux systèmes de défense aérienne, comme le S-400, en provenance de Russie. Pour diversifier ses sources d’armement, l’Algérie s’est tournée vers la Turquie pour acheter des drones Anka S+ et vers la Chine pour acquérir des drones Halcon, pour ne citer que deux exemples.

Ces dépenses de guerre ont alimenté les craintes des deux côtés, exacerbant ainsi les tensions. « Les acteurs internationaux doivent reconnaître leur rôle », a affirmé un analyste occidental. En vendant des armes à l’Algérie, au Maroc ou aux deux, les puissances extérieures contribuaient à alimenter une course aux armements risquant de modifier l’équilibre des forces.

E. La poudrière du Sahara occidental

Pendant ce temps, la situation au Sahara occidental continuait de se détériorer, contribuant au risque de confrontation directe entre les deux voisins. Depuis fin 2020, le Polisario et le Maroc se livrent à une guerre d’usure de faible intensité, que personne n’a cherché à arrêter jusqu’à présent. Le Conseil de sécurité de l’ONU est resté silencieux pendant des mois après l’effondrement du cessez-le-feu, tiraillé entre les deux parties (le Polisario souhaitait l’intervention des acteurs extérieurs, tandis que le Maroc s’opposait à cette idée). Plusieurs membres estimaient que le conflit était suffisamment contenu pour que le Conseil n’ait pas besoin d’agir.

Pendant ce temps, les parties continuent de se disputer les termes d’une éventuelle reprise des négociations menées par l’ONU. Le Polisario a insisté pour revenir à des pourparlers bilatéraux qui ouvriraient la voie à un référendum sur l’autodétermination, selon le plan de règlement de l’ONU de 1991. En revanche, Rabat est resté ferme sur son plan d’autonomie, avec le format de table ronde adopté par les parties en 2019. Au milieu de ce blocage, le Polisario a commencé à subir une pression croissante de la part de ses militants, en particulier les plus jeunes, pour intensifier l’action militaire. Beaucoup estiment que les tactiques du Front jusqu’à présent sont insuffisantes pour forcer le Maroc à accepter un référendum.

Poussée par ces constituants agités, le Polisario a parfois expérimenté une approche plus confrontatrice. En août 2022, lorsqu’une prétendue frappe de drone marocaine a détruit un camion du Polisario utilisé pour transporter de l’eau aux postes de la MINURSO dans la zone tampon, le Front a suspendu ses convois vers ces sites, autorisant seulement deux vols de ravitaillement en hélicoptère par mois. Par cette action, il a voulu signaler qu’avec l’absence de cessez-le-feu et de pourparlers, la mission de l’ONU n’était plus adéquate. Le Polisario espérait ainsi inciter les puissances extérieures à s’intéresser davantage à la résolution du conflit, plutôt que de se contenter du statu quo.

Ce faisant, cependant, il a déclenché une série de mesures d’escalade qui auraient pu culminer en un conflit entre le Maroc et l’Algérie. Le premier maillon était que, à mesure que ses stocks de carburant et de nourriture commençaient à s’épuiser, la MINURSO a averti qu’elle pourrait devoir se retirer. Hilale, l’ambassadeur de Rabat à l’ONU, a répondu en affirmant que si la mission devait se dissoudre, le Maroc « serait en droit de reprendre la partie du Sahara qui avait été remise [par le Maroc] à la MINURSO », c’est-à-dire la zone tampon. Dans ce scénario, les troupes marocaines prendraient des positions le long de la frontière entre le Sahara occidental et l’Algérie, près de Tindouf, où se trouvent les camps de réfugiés sahraouis en Algérie, hébergeant environ 173 000 réfugiés. Là, elles seraient exposées aux attaques du Polisario depuis le territoire algérien, ce qui pourrait à son tour inciter Rabat à invoquer un droit de poursuite, entraînant peut-être des affrontements entre les troupes algériennes et marocaines.

Le risque d’une telle confrontation a poussé les États-Unis à agir. Les responsables américains ont pressé l’Algérie de convaincre le Polisario de lever le blocus des postes de la MINURSO. Finalement, en avril 2023, le Polisario a accepté de fournir « un passage sécurisé, à titre exceptionnel et provisoire » pour les convois approvisionnant la mission. Il a continué à renouveler cette mesure « provisoire » jusqu’à ce jour.

Deux autres incidents ont créé des points de tension potentiels quelques mois plus tard. À deux reprises, fin octobre et début novembre 2023, des unités du Polisario ont tiré des roquettes sur la ville de Smara, dans le Sahara occidental sous contrôle marocain. Lors du premier incident, elles ont visé un quartier résidentiel, et lors du second, elles ont visé l’aéroport local. Les attaques ont eu lieu juste avant et juste après le vote annuel du Conseil de sécurité de l’ONU pour renouveler le mandat de la MINURSO. Elles sont également intervenues au milieu des tensions régionales accrues après l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023 et l’assaut de représailles d’Israël sur Gaza. Les roquettes ont tué un citoyen franco-marocain, la première victime civile du côté de Rabat depuis la reprise des hostilités en 2020, suscitant une forte condamnation de l’ambassadeur Hilale, qui a attribué la responsabilité non seulement aux militants du Polisario, mais aussi à « ceux qui les soutiennent, ceux qui les abritent et ceux qui leur fournissent des missiles, des Katyushas et des mortiers ». C’était un sous-entendu clair que l’Algérie avait été impliquée.

Une fois de plus, une retenue mutuelle et la pression des États-Unis ont permis de contenir les incidents. L’Algérie n’a pas commenté l’accusation à peine déguisée de Hilale, tandis que le Maroc a limité sa riposte à une série de frappes de drones sur les unités du Polisario à l’intérieur de la zone tampon. En décembre, Washington a envoyé le sous-secrétaire adjoint d’État Joshua Harris à Alger et à Rabat, où il a transmis un message qu’un diplomate américain a résumé ainsi : « s’il vous plaît, calmez-vous ; vous devez éviter une escalade ».

Pourtant, les tensions entre la direction du Polisario et les militants concernant le refus du Front d’intensifier les attaques contre le Maroc continuaient de bouillir sous la surface. En février 2024, le représentant du Polisario auprès de l’UE, Mansour Omar, a formulé le dilemme du mouvement dans une interview franche :

« Les pays du Maghreb et du Sahel sont dans une situation volatile. Il y a eu des coups d’État dans les pays voisins… Nous devons défendre nos droits, mais avancer avec beaucoup de prudence, afin que ce conflit ne se transforme pas en une guerre ouverte avec des dimensions plus grandes et donc des pertes plus importantes. »

Dans une rare manifestation publique de dissension au sein du Polisario, des militants ont dirigé une avalanche de critiques contre Omar en ligne.93

F. L’hostilité se propage sur les réseaux sociaux et dans la société

Tant en Algérie qu’au Maroc, des voix fortes dans les médias traditionnels et sociaux ont adopté un ton agressif envers l’autre pays. Les plateformes de médias sociaux ont vu la désinformation, le harcèlement et la propagande se propager rapidement. Depuis 2017, un réseau de comptes marocains d’extrême droite s’identifiant sous le nom de « Moorish » est apparu sur Twitter/X, Facebook et, dans une moindre mesure, d’autres plateformes.94

Les publications sur ces comptes dénigrent les journalistes indépendants, les féministes et les militants de gauche pour leurs idées, tout en glorifiant parfois la violence contre le Front Polisario et l’Algérie.95 Il est difficile de savoir qui se cache derrière « Moorish ». Mais un chercheur européen a déclaré : « Il semble qu’il y ait quelqu’un qui dirige ce mouvement de manière centralisée. Par exemple, certains comptes Twitter appartiennent à des personnes proches de certains diplomates. »96 Plusieurs journalistes marocains soupçonnent que les services de renseignement dirigent ce réseau, bien qu’ils ne puissent fournir de preuves à l’appui de cette affirmation.97

Les faux comptes semblent jouer un rôle considérable dans l’exacerbation de l’hostilité publique. En février 2021, Meta a supprimé 385 comptes Facebook et 40 comptes Instagram qui, ensemble, comptaient environ 150 000 abonnés, au motif de « comportement inauthentique coordonné ». Selon Meta, ces comptes, originaires du Maroc, avaient publié « des éloges de la réponse du gouvernement à la pandémie de coronavirus, de ses initiatives diplomatiques, des forces de sécurité marocaines, du roi Mohammed VI et du directeur de la Direction générale de la surveillance du territoire ».98
Un journaliste marocain a noté la diffusion croissante des arguments « Moorish » dans la société : « Chaque jour, j’entends des gens dans les rues utiliser la rhétorique ‘Moorish’. Il y a une obsession collective de l’Algérie.« 99 Un autre journaliste marocain a qualifié le réseau « Moorish » d’une version du monstre de Frankenstein, une fois contrôlé par son créateur (qu’il supposait être l’État), mais ayant depuis pris une vie propre.100

L’offensive en ligne « Moorish » semble avoir provoqué un phénomène miroir en Algérie. Parfois appelé « Dzoorish », une contraction du domaine Internet .dz de l’Algérie et de « Moorish », ces comptes diffusent des mèmes hostiles et de la désinformation visant leurs homologues marocains. Le résultat, a déclaré un chercheur européen, est « une guerre pour gagner, ou faire taire, les cœurs et les esprits. … C’est une course aux armements virtuelle entre deux armées utilisant la violence en ligne indiscriminée ».101

Les discours de haine et les insultes ne se limitent pas aux échanges en ligne. En janvier 2024, après que l’Afrique du Sud ait éliminé le Maroc de la Coupe d’Afrique des Nations de football, des masses d’Algériens sont descendus dans les rues pour célébrer, chantant des paroles racistes telles que « Donne-leur des bananes. Les Marocains sont des animaux ».102 L’épisode a choqué les Marocains, poussant un journaliste à écrire « le poison de la haine s’est propagé d’une minorité active pour atteindre de larges segments de la population [algérienne] ».103

Le rôle des acteurs externes

A. Les tentatives des États-Unis de contenir le risque

Lorsque le président Joe Biden est arrivé à la Maison Blanche en janvier 2021, son administration a hérité de la reconnaissance par Donald Trump de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Plutôt que de lutter contre cet héritage (ce qui aurait tendu les relations avec le Maroc et Israël), l’administration Biden a soigneusement recalibré la position de Washington pour éviter de faire référence à la souveraineté marocaine. Jusqu’à présent, elle n’a pas concrétisé la promesse de Trump d’ouvrir un consulat américain à Dakhla (Sahara occidental). Elle a également abandonné la référence faite par son administration au plan d’autonomie comme « la seule base » pour résoudre le conflit, le qualifiant désormais de « approche potentielle » pour résoudre le différend.104 Cet exercice d’ambiguïté semble viser à apaiser l’Algérie et le Polisario sans toutefois contrarier le Maroc en annulant l’action de Trump.

Quant à ses efforts diplomatiques, l’administration Biden s’est d’abord concentrée sur la nomination d’un nouvel envoyé spécial de l’ONU pour le Sahara occidental.105 Le nouvel envoyé, Staffan de Mistura, a commencé son travail en novembre 2021. Après l’avoir aidé à être nommé, Washington s’est tourné vers un renouveau de son engagement auprès de l’Algérie et du Maroc pour tenter de contenir les tensions bilatérales croissantes. Les diplomates cherchaient à équilibrer deux objectifs apparemment contradictoires : restaurer la confiance avec l’Algérie et le Polisario, qui avait été endommagée par la reconnaissance par Trump de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, tout en maintenant des liens traditionnellement solides avec le Maroc. Un responsable américain a expliqué l’approche de Washington comme étant « délibérée dans son investissement à la fois en Algérie et au Maroc. Nous cherchons des voies pour apaiser les tensions, car les conditions ne sont pas encore réunies pour faciliter une amélioration de leurs relations ».106

Au fur et à mesure que les États-Unis s’engageaient davantage avec les voisins, certains axes d’action ont émergé. Dans le cas de Rabat, Washington a continué à cultiver les liens par le biais d’échanges diplomatiques réguliers et de coopération en matière de sécurité, y compris la vente d’armes.107 Avec l’Algérie, les responsables américains se sont concentrés sur la réactivation du dialogue interrompu pendant l’administration Trump. Un diplomate américain a décrit cet effort comme centré sur les liens économiques.108 De plus, pour la première fois, les responsables américains ont évoqué la possibilité de consultations officielles avec le Polisario. En septembre 2023, la secrétaire adjointe aux Affaires étrangères, Harris, a rencontré des responsables du Front à Tindouf, les encourageant à s’engager avec de Mistura et à relancer les négociations.109 Cela semblait être la première fois qu’un responsable américain de ce rang consultait le Polisario sur la situation politique à Tindouf, car dans le passé, les responsables américains discutaient normalement uniquement des questions humanitaires lors de leurs visites. Washington a évité de définir les termes de nouvelles négociations, laissant cette tâche à l’envoyé de l’ONU. Le calcul semblait être que la reprise des négociations serait un moyen peu coûteux de gérer les tensions entre le Maroc, le Polisario et l’Algérie.

L’Algérie et le Polisario ont salué ce nouvel engagement de l’administration Biden, choisissant d’ignorer la déclaration de Trump sur le Sahara occidental. La reconnaissance de Trump est intervenue après qu’il ait perdu l’élection, ce qui les a incités à l’ignorer. L’Algérie et le Polisario s’attendaient à ce que l’administration Biden rétablisse finalement la position américaine de longue date. Ces gestes de bonne volonté ont suffi à contenir les tensions, mais ont été insuffisants pour générer un élan en vue de la reprise des pourparlers sur le Sahara occidental.110

B. Une Europe divisée sous pression des deux côtés

En revanche, les gouvernements européens ont eu du mal à maintenir des relations de travail avec Alger et Rabat, les deux capitales étant engagées dans une compétition à somme nulle. L’Espagne et la France sont des exemples illustratifs.

Les incursions de l’Espagne reflètent le dilemme auquel sont confrontés les gouvernements européens. Madrid a provoqué un important conflit avec Rabat lorsqu’en avril 2021, elle a admis le leader du Polisario, Brahim Ghali, pour un traitement dans un hôpital de Logroño, dans le nord de l’Espagne. Rabat, estimant que Madrid aurait dû l’en informer au préalable, a suspendu ses relations diplomatiques en guise de protestation. Les tensions ont culminé plus tard ce mois-là, lorsque le Maroc aurait permis à 9 000 migrants de traverser vers l’enclave espagnole de Ceuta, sur la côte nord-africaine. Les forces espagnoles ont rapidement rassemblé les migrants, et le contrôle des frontières marocaines a arrêté l’entrée de nouveaux migrants dans les jours suivants.

Cependant, cette tactique a clairement attiré l’attention de l’Espagne. En 2022, dans un signe de la sensibilité de Madrid à la question de la migration, le gouvernement espagnol a entrepris de réparer ses relations avec le Maroc. Dans une lettre de mars 2022 adressée au roi Mohamed VI, le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez a soutenu le plan d’autonomie du Maroc comme « la base la plus sérieuse, réaliste et crédible » pour résoudre le conflit du Sahara occidental. Ce faisant, Sanchez a abandonné la posture traditionnelle de « neutralité active » de l’Espagne, qui consistait à plaider pour une « solution juste, durable et mutuellement acceptable » à la situation, sans spécifier ce que cela pourrait être. La formulation de la lettre de mars est allée plus loin dans l’adoption de la position du Maroc que toute autre nation occidentale (y compris les États-Unis) à l’époque, établissant un précédent que Rabat espérait voir suivre par d’autres pays. En retour, Rabat a rétabli ses liens avec Madrid.

Cependant, la nouvelle position de l’Espagne sur le plan d’autonomie a eu d’autres conséquences. Elle a poussé Alger à rappeler son ambassadeur de Madrid et à introduire des restrictions sur le commerce bilatéral. Du point de vue de l’Algérie, la formulation de la lettre de Sanchez risquait de conditionner les futures négociations sur le Sahara occidental à l’acceptation du plan d’autonomie comme seule voie pour résoudre le conflit. La position de l’Algérie, telle qu’exprimée par un diplomate algérien, était que « la décision finale doit revenir au peuple sahraoui ». Les tensions entre l’Espagne et l’Algérie se sont progressivement apaisées après que Sanchez a réaffirmé le soutien de l’Espagne aux efforts de médiation de l’ONU pour le Sahara occidental en septembre 2022. En novembre 2023, Alger a nommé un nouvel ambassadeur à Madrid.

La France s’est également retrouvée sous pression de la part des deux pays. Ses relations avec Rabat s’étaient détériorées au cours de 2021 et 2022 en raison d’une série d’incidents, dont sa décision de réduire le nombre de visas pour les visiteurs marocains et les accusations selon lesquelles Rabat aurait utilisé le logiciel espion Pegasus pour surveiller les conversations des responsables français. Mais la principale source de friction restait le refus de la France de modifier sa position sur le plan d’autonomie, qu’elle continuait de décrire comme « une base sérieuse et crédible pour la discussion », une formule jugée insuffisante par Rabat. Tandis que le Maroc s’attendait à ce que ce partenaire traditionnellement proche modifie sa position, la France estimait que tout changement risquait de nuire à ses liens avec l’Algérie.

La France cherchait à renforcer ses liens avec Alger. Après une visite du président Emmanuel Macron à Alger en août 2022, la France a tenté d’amorcer un rapprochement progressif avec l’Algérie, jugeant que de meilleures relations avec Alger étaient essentielles pour établir des arrangements politiques et sécuritaires adéquats dans le Sahel après la fin de sa mission militaire, l’opération Barkhane, en novembre 2022 et la série de coups d’État dans la région. Pourtant, une série de désaccords concernant le passé colonial, ainsi que l’opposante franco-algérienne Amira Bouraoui, qui avait échappé à des poursuites en Algérie en fuyant en France en février 2022, a freiné cette réconciliation.

Frustré et sous pression du Maroc, le président Macron a choisi de rapprocher davantage la France du royaume. En juillet 2024, Paris a adopté une position encore plus forte que celle de Madrid concernant le plan d’autonomie du Maroc, le déclarant comme « la seule base » pour résoudre le conflit du Sahara occidental. En réponse, l’Algérie a rappelé son ambassadeur de Paris.

C. La position de l’UE

Les efforts de l’UE pour équilibrer ses relations avec Alger et Rabat ont été en partie influencés par des procédures juridiques. Rabat a longtemps gardé un œil sur une action en justice menée par le Polisario devant la Cour de justice de l’UE concernant la validité de l’inclusion du Sahara occidental dans les accords commerciaux UE-Maroc. En septembre 2021, la Cour a donné raison au Polisario en affirmant que l’UE et le Maroc avaient signé des accords sur les produits de la pêche et agricoles sans le consentement de la population sahraouie. Le jour du verdict, le Haut Représentant de l’UE pour les affaires étrangères, Josep Borrell, a publié une déclaration avec le ministre marocain des Affaires étrangères, Bourita, soulignant leur volonté de continuer à travailler ensemble. Les responsables de l’UE ont insisté sur le fait qu’ils respecteraient la décision de la Cour ; le communiqué conjoint, ont-ils précisé, visait simplement à protéger la relation bilatérale de ses effets.

En octobre 2024, la Cour a confirmé sa position dans un jugement final, poussant l’UE et ses États membres à réaffirmer leur désir de préserver leurs liens avec le Maroc.

Parallèlement, l’UE a cherché à raviver ses relations avec Alger après une période de désengagement, alors que les responsables algériens étaient préoccupés par la stabilité intérieure. Après l’élection de Tebboune, l’Algérie a signifié son intention d’intensifier les échanges diplomatiques avec l’UE. Lors d’une visite à Alger en mars 2023, Borrell a mis en avant l’engagement de l’UE à approfondir ses liens avec l’Algérie et a tenté d’apaiser les problèmes de Madrid avec Alger. Ses déclarations n’ont fait aucune mention du Sahara occidental ni des tensions avec le Maroc. Cependant, en signe d’irritation envers l’Europe, quelques jours après le verdict de la Cour de justice de l’UE d’octobre 2024 et les déclarations de soutien à Rabat, le ministère algérien des Affaires étrangères a convoqué les ambassadeurs de plusieurs États membres de l’UE pour demander des explications sur ces déclarations.

IV. La rivalité s’étend en Afrique

A. La compétition algéro-marocaine en Afrique du Nord et au Sahel

Le différend entre l’Algérie et le Maroc s’est étendu à l’Afrique subsaharienne, en particulier au Sahel. Depuis les années 1990, l’Algérie a été impliquée dans des tentatives de réconciliation entre le gouvernement malien et les insurgés touaregs dans le nord du Mali. En 2015, Alger a facilité un accord pour mettre fin à ce conflit, ce qui a aliéné certains membres de l’establishment malien qui estimaient que l’accord affaiblissait l’autorité de l’État central dans le nord, bien qu’Alger ait continué à être impliqué dans des efforts pour sécuriser cette région. Après le coup d’État de 2021 au Mali, les relations entre Bamako et Alger ont commencé à se détériorer. En décembre 2023, l’Algérie a tenté de raviver l’accord de paix de 2015 en invitant plusieurs signataires, dont un leader religieux malien critique des nouvelles autorités à Bamako, à des pourparlers. Les responsables maliens ont dénoncé cette initiative comme hostile, ce qui a poussé les deux pays à rappeler leurs ambassadeurs. Parallèlement, le gouvernement malien a continué à consolider son contrôle sur le nord avec l’assistance d’armes russes et de contractants privés. En janvier 2024, le Mali a abrogé l’accord de 2015, accusant officiellement l’Algérie de s’ingérer, et les tensions entre l’Algérie et le Mali se sont intensifiées dans les mois suivants.

Pendant ce temps, le coup d’État de juillet 2023 au Niger a accru l’inquiétude de l’Algérie concernant la sécurité au Sahel. Après que les militaires aient évincé le président Mohamed Bazoum du pouvoir, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a imposé des sanctions à Niamey, exigeant que la junte rétablisse l’ordre constitutionnel ou fasse face à la perspective d’une intervention militaire de ses voisins. Craignant une intervention militaire à ses frontières, l’Algérie a envoyé une proposition de médiation au Niger en octobre 2023, suggérant une transition civile de six mois menant au rétablissement de la constitution précédente. Mais la confusion s’est installée, Alger affirmant d’abord que Niamey avait accepté l’offre, pour être contredit quelques jours plus tard par les autorités militaires nigériennes, après quoi l’initiative s’est effondrée. Les deux capitales se sont retrouvées à nouveau en désaccord en avril 2024, lorsque Niamey a protesté contre une décision algérienne d’expulser des migrants irréguliers (y compris de nombreux citoyens nigériens) vers le Niger, les abandonnant à la frontière. En août, le Premier ministre du Niger a visité Alger, contribuant à réduire quelque peu les tensions.

Le Maroc a profité des tensions entre l’Algérie et ses voisins sahéliens pour renforcer ses propres liens dans la région. En novembre 2023, le roi Mohamed VI a annoncé une « initiative atlantique », proposant de construire une autoroute entre les pays sahéliens et le port de Dakhla, dans le Sahara occidental contrôlé par le Maroc. Le mois suivant, les ministres des Affaires étrangères du Burkina Faso, du Tchad, du Mali et du Niger ont rencontré le ministre des Affaires étrangères Bourita à Marrakech pour discuter des détails de cette proposition. Un ancien diplomate marocain a déclaré : « Dans un contexte de blocage complet au Maghreb, il est naturel que le Maroc cherche des alternatives, par exemple au Sahel. »

L’Algérie semble mal accepter ces mouvements. Elle a accusé le Maroc de conspirer avec Israël et les Émirats arabes unis pour l’isoler diplomatiquement, car elle s’est opposée aux Accords d’Abraham normalisant les relations entre Israël et les États arabes du Golfe (tout comme elle s’est opposée à la démarche du Maroc dans ce sens). Le 10 janvier 2024, le Conseil de sécurité algérien a exprimé des « regrets concernant les actions hostiles envers l’Algérie émanant d’un pays arabe frère », une référence indirecte aux Émirats arabes unis. Selon un responsable algérien, « Avec Israël et les Émirats, ils [le Maroc] veulent déstabiliser la région. » Tout au long de 2023 et jusqu’en 2024, les médias algériens ont accusé les Émirats de financer des campagnes médiatiques au Sahel visant à jeter l’opprobre sur l’Algérie et à soutenir le coup d’État au Niger.

Peu de temps après, Alger a lancé sa propre initiative de coopération régionale pour isoler le Maroc en Afrique du Nord. En avril 2024, Tebboune et le président du Conseil présidentiel libyen ont rencontré le président tunisien à Tunis, où ils ont convenu de renforcer la collaboration et d’améliorer la sécurité des frontières. Officiellement, le cadre ne exclut aucun pays, mais il s’agissait probablement d’une décision délibérée de ne pas inviter le Maroc à cette réunion tripartite. Un diplomate algérien a expliqué : « Nous ne pouvons pas rester prisonniers du Maroc. Le nouveau groupe formé par l’Algérie, la Tunisie et la Libye n’est pas une nouvelle organisation, mais un arrangement trilatéral pour ramener la paix en Libye, parler de commerce, et ainsi de suite. »

B. Les tensions à l’UA

Les batailles diplomatiques entre l’Algérie et le Maroc ont été particulièrement intenses au sein de l’UA. Depuis sa réintégration dans l’organisation en 2017, le Maroc a cherché à empêcher l’UA d’intervenir sur la question du Sahara occidental et à exclure la République arabe sahraouie démocratique de ses membres. (L’État de facto du Polisario a rejoint l’OUA – l’organisation précurseur de l’UA – en 1982, ce qui a poussé le Maroc à quitter en protestation deux ans plus tard.) En janvier 2023, le Maroc a réuni plusieurs anciens Premiers ministres africains et responsables gouvernementaux à Tanger, où ils ont signé un document appelant à l’expulsion de la République sahraouie. L’Algérie a réagi en poussant le Conseil de la paix et de la sécurité de l’UA à s’impliquer activement sur le dossier du Sahara occidental. Cependant, elle a largement échoué, car la question a presque totalement disparu de l’agenda de l’UA.

Ces tensions ont parfois entravé le fonctionnement normal de l’UA. Fin 2023, l’Algérie et le Maroc ont chacun décidé de briguer la présidence tournante de l’UA, qui est attribuée à un bloc sous-régional différent chaque année et devait revenir à un pays d’Afrique du Nord. Un blocage s’est installé, aucun des deux pays n’étant prêt à céder à l’autre. Finalement, l’UA a sélectionné la Mauritanie pour le poste, évitant de justesse une paralysie institutionnelle potentiellement dévastatrice.

Bien que ces luttes internes n’aient pas paralysé l’UA, elles ont eu des effets négatifs. Elles ont rendu l’organisation réticente à s’impliquer dans la diplomatie du Sahara occidental, car on supposait que la lutte entre l’Algérie et le Maroc pour influencer un médiateur de l’UA serait encore plus intense. Cela a également perturbé les opérations internes de l’UA, comme lorsque l’Algérie, le Maroc et la République arabe sahraouie démocratique ont proposé des candidats pour des postes clés à l’UA en février 2023, suscitant l’opposition féroce de l’un ou de plusieurs des autres. Une manière de minimiser cette perturbation pourrait être pour les pays neutres d’Afrique du Nord, comme l’Égypte et la Mauritanie, d’aider à négocier un arrangement pour laisser le conflit en dehors de l’UA ou nommer des candidats de compromis pour les postes à l’UA.

V. Facteurs de risque et recommandations

A. Le risque d’escalade régionale

Malgré les tensions diplomatiques et militaires, l’Algérie et le Maroc ont jusqu’à présent réussi à éviter une confrontation militaire directe. Lorsque Alger a rompu ses relations avec Rabat en 2021, il n’était pas immédiatement clair ce qui allait se passer. Bien que ni l’un ni l’autre ne veuille la guerre, les deux parties ont recours à une rhétorique incendiaire qui, couplée à l’absence de canaux de communication, a ouvert la voie à une escalade. Le conflit ravivé au Sahara occidental a également périodiquement menacé d’amener l’Algérie et le Maroc à s’affronter. Trois ans après la rupture diplomatique, la situation est plus calme. Les deux parties semblent être devenues plus aptes à résoudre les malentendus, en partie grâce aux interventions opportune de l’administration Biden.

Cependant, des incidents militaires sporadiques continuent de menacer le statu quo précaire. Bien que le différend dépasse le seul désaccord concernant le Sahara occidental, c’est dans cette région que le danger est le plus grand. Les deux pays auraient pu entrer en conflit à la suite de trois incidents : le meurtre de chauffeurs de camions algériens au Sahara occidental, apparemment par les mains de l’armée marocaine, en novembre 2021 ; le retrait de la MINURSO de la zone tampon en 2022 ; et la mort d’un civil marocain lors d’un bombardement du Polisario à Smara en octobre 2023. Dans ces trois cas, la situation a été désamorcée grâce à une combinaison de retenue mutuelle et d’intervention diplomatique extérieure.

Chacun de ces épisodes a révélé quelque chose sur les lignes rouges respectives des deux pays. Lorsque le Maroc a prétendument tué des civils algériens au Sahara occidental, l’Algérie a menacé de riposter. Ensuite, le Polisario a tué un civil marocain à Smara, Rabat promettant des représailles. Aucun des deux n’a agi, mais l’autre côté a compris le risque implicite d’escalade et a soigneusement évité des actions provocatrices similaires par la suite. De même, lorsque la MINURSO a menacé de se retirer, ce qui aurait pu amener les troupes marocaines à prendre le contrôle de la zone tampon, risquant ainsi un face-à-face avec les forces algériennes le long de la frontière, un effort concerté a été fait pour désamorcer la situation, suivi d’un engagement tacite à éviter un scénario similaire à l’avenir. Bien que le cessez-le-feu de 1991 soit terminé, Rabat et Alger souhaitent que certains de ses arrangements survivent, en particulier que la MINURSO surveille la zone tampon. (Le Maroc a gardé ses troupes hors de la zone depuis l’incident de la route de Guerguerat, bien qu’il occupe désormais la zone où l’impasse a eu lieu.) Tant que la guerre d’usure au Sahara occidental reste dans ces limites, le risque de conflit plus large semble gérable.

Bien que ces nouvelles règles du jeu (qui reflètent dans certains cas les obligations des parties en vertu du droit international humanitaire) aient réduit les risques, quatre facteurs pourraient encore plonger la région dans la conflagration. Premièrement, les jeunes activistes sahraouis, de plus en plus insatisfaits de la stratégie de guerre d’usure du Polisario, appellent à une forte escalade. Cette pression devrait rester élevée, à mesure que des jeunes responsables de niveau intermédiaire montent dans les rangs et deviennent plus influents dans la prise de décisions. Comment évolue ce débat interne pourrait avoir une grande importance pour la stabilité régionale, en particulier si le Front venait à menacer à nouveau les opérations de réapprovisionnement de la MINURSO ou à frapper une ville du Sahara occidental contrôlée par le Maroc.

Deuxièmement, la course aux armements entre l’Algérie et le Maroc pourrait offrir un avantage temporaire ou accroître les perceptions de menace, poussant l’un des voisins à infliger des dommages à l’autre. Bien que l’armée algérienne soit globalement supérieure à l’armée marocaine, cette dernière a acquis des équipements auprès des États-Unis et d’Israël qui pourraient modifier l’équilibre des pouvoirs en sa faveur en cas de guerre hypothétique. Si l’une des parties estime que l’équilibre a changé de manière permanente ou tente de prévenir un tel changement, elle pourrait décider de frapper en s’attendant à remporter un conflit limité dans le temps et l’espace. Bien que ce risque soit modeste, les deux parties s’en préoccupent. Un analyste marocain a déclaré que le Maroc se préparait à la possibilité d’un conflit armé, tandis qu’un chercheur algérien a estimé que « le risque d’une escalade menant à la guerre est présent ».

Le troisième facteur est l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis pour un second mandat. Pendant son premier mandat (2017-2020), son administration a exacerbé les tensions régionales – et aurait accru la perception de la menace pour l’Algérie – en reconnaissant la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental et en soutenant le Maroc dans la normalisation de ses relations diplomatiques avec Israël. L’administration Biden a réussi à apaiser les tensions en renouant le dialogue avec toutes les parties. La prochaine administration pourrait de nouveau jouer un rôle perturbateur, bien qu’il reste inconnu quels plans (le cas échéant) l’équipe de Trump pourrait avoir pour l’Afrique du Nord. Si elle choisit de soutenir plus ouvertement le Maroc contre l’Algérie ou de travailler via l’ONU pour mettre fin à la MINURSO, cela pourrait provoquer davantage de frictions dans la région. Mais même si elle adopte une approche de non-ingérence, le statu quo entre les deux pays pourrait devenir encore plus fragile, car aucun acteur externe ne travaillera à le renforcer.

Enfin, la diffusion croissante de désinformation en ligne et de discours de haine tant en Algérie qu’au Maroc propage des récits dangereux parmi la population qui pourraient se diffuser au sein du gouvernement à différents niveaux. Tout comme les dirigeants des deux pays ont fait preuve d’une retenue louable dans le traitement des incidents qui auraient autrement pu dégénérer, ils ont également contribué à attiser la mauvaise volonté dans les médias traditionnels et sociaux. Si cette tendance persiste, les deux États pourraient trouver de plus en plus difficile de gérer les incidents au Sahara occidental ou ailleurs, car la pression de la population et des agences gouvernementales pourrait les pousser à prendre des mesures risquées.

Nonobstant ces facteurs, le risque global de conflit ouvert reste faible dans l’ensemble, notamment parce que les deux parties et les acteurs extérieurs ont conscience des enjeux. L’impact sur les deux pays et leurs voisins serait sûrement grave. Les Algériens et les Marocains vivant le long de la frontière, ainsi que la population réfugiée sahraouie, subiraient probablement des pertes importantes et des déplacements massifs. De plus, la guerre pourrait menacer l’approvisionnement en pétrole et en gaz de l’Algérie vers l’Europe, réduire la capacité des deux pays à contrôler la migration irrégulière à travers la Méditerranée et même mettre en péril les navires marchands passant par le détroit de Gibraltar. Enfin, un conflit pourrait perturber le commerce avec les pays voisins, comme la Mauritanie et le Mali, augmentant les prix des biens de consommation de base.

B. Consolider le statu quo, passer à la réconciliation

L’équilibre en Afrique du Nord devrait être une priorité pour les partenaires extérieurs des deux pays, bien que les capitales occidentales soient probablement les plus disposées à insister dans cette direction. En soulignant l’importance des règles du jeu qui ont émergé jusqu’à présent de la manière la plus claire possible (et, lorsque cela est utile, en notant leur convergence avec les obligations juridiques internationales), les États-Unis et les États européens pourraient minimiser le risque de confrontation militaire directe. Dans leurs messages privés et publics à toutes les parties, ils devraient insister sur le besoin impératif de protéger les civils au Sahara occidental et de sauvegarder les opérations de la MINURSO. Cela aidera à éviter une spirale d’escalade.

Les gouvernements américains et européens devraient également chercher à traiter les facteurs qui mettent en danger le statu quo, à commencer par la course aux armements entre l’Algérie et le Maroc. Les partenaires occidentaux devraient s’assurer que leurs ventes d’équipements militaires ne modifient pas de manière excessive l’équilibre des forces, en impliquant des alliés comme Israël et la Turquie dans ce même projet. Par exemple, Washington devrait examiner attentivement les transferts d’armements vers le Maroc qui pourraient considérablement accentuer la perception de menace de l’Algérie, tout en incitant Israël et la Turquie à ralentir le rythme des ventes respectivement à Rabat et à Alger. De même, les pays du Golfe, comme l’Arabie Saoudite, pourraient demander à Moscou de calibrer ses ventes d’armements à l’Algérie pour éviter l’escalade.

Les pays européens devraient également se préparer à assumer un rôle diplomatique plus important lorsque Trump assumera de nouveau la présidence. Si les États-Unis réaffirment la position de la première administration Trump sur la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, penchent plus clairement en faveur du Maroc ou interrompent leur engagement avec les deux parties, les tensions entre l’Algérie et le Maroc pourraient augmenter. Les États européens devraient se préparer à compenser en jouant un rôle plus équilibré, en envoyant des messages apaisants aux deux parties et en se préparant à intervenir lorsque des incidents risquent de dégénérer. Ils devraient intensifier leur engagement diplomatique avec l’Algérie, le Maroc et le Front Polisario. Pour réduire la pression bilatérale de chaque côté, et délivrer un message cohérent, les capitales européennes pourraient également créer un groupe de contact ou un autre mécanisme de coordination comprenant l’UE, la France, l’Espagne et d’autres grands États membres. Bien que ces efforts ne remplacent pas entièrement le rôle de Washington dans la région, ils pourraient contribuer de manière significative à maintenir le statu quo précaire.

Les acteurs extérieurs ayant un intérêt dans la stabilité régionale devraient également aider à lutter contre la propagation de discours de haine et de désinformation en ligne. Ils devraient faire pression sur les plateformes de médias sociaux, telles que Facebook, Instagram et X, pour intensifier la surveillance des publications suspectes concernant ces pays et être prêts à intervenir si le harcèlement, la désinformation et les discours de haine augmentent, comme Facebook l’a fait lorsqu’il a suspendu les faux comptes marocains. Les plateformes devraient former leurs outils de modération de contenu alimentés par l’IA aux dialectes locaux et renforcer les partenariats avec les vérificateurs de faits et chercheurs indépendants locaux. Désactiver ces campagnes en ligne pourrait contribuer de manière significative à contenir le risque d’escalade.

Quelle que soit la position de la nouvelle administration américaine, les États européens devraient également soutenir les efforts de l’envoyé spécial de l’ONU pour relancer les négociations sur l’avenir du Sahara occidental. De Mistura a fait des progrès, mais il a du mal à convaincre tous les acteurs de reprendre les pourparlers, principalement parce que Washington et les capitales européennes ont été réticents à exercer des pressions sur le Maroc et le Polisario en raison du coût élevé et des représailles probables (pour les Européens) que toute forme de pression entraînerait. Les gouvernements européens devraient pousser le Maroc et le Front à faire des concessions réciproques qui pourraient instaurer une certaine confiance pour accepter la reprise des pourparlers et ouvrir la voie à de Mistura pour présenter un plan viable pour le dialogue. Ces concessions pourraient inclure la libération d’au moins une partie des militants sahraouis partisans de l’indépendance emprisonnés au Maroc et un arrêt unilatéral des activités militaires du Polisario. Ces mesures pourraient permettre à de Mistura de soumettre un plan pour reprendre les négociations et demander aux deux parties d’élaborer leurs positions respectives.

Une fois que le statu quo sera consolidé et que les conditions seront propices au dialogue, l’Algérie et le Maroc devraient viser à aller au-delà du rétablissement des relations diplomatiques. Tout d’abord, ils devraient rouvrir la frontière. Ils pourraient également ressusciter les initiatives de coopération des décennies passées, par exemple, les comités sectoriels conjoints qui ont fait leurs preuves à la fin des années 1980, sous l’égide d’une commission de haut niveau. Travailler ensemble sur la sécurité frontalière, notamment pour lutter contre la contrebande et le trafic de drogue, serait un bon point de départ. Une autre mesure dans la bonne direction serait de relancer les discussions des années 1970 sur l’exploitation conjointe des ressources minérales et la coopération industrielle. Ces mesures pourraient jeter les bases d’une réconciliation plus large qui mettrait fin au cycle de crise et de détente, qui a à plusieurs reprises menacé de se dégrader.

VI. Conclusion

Les relations entre le Maroc et l’Algérie traversent une période difficile. Depuis qu’Alger a suspendu ses relations avec Rabat en 2021, les tensions entre les deux parties ont augmenté, mais elles ont été gérées par une retenue mutuelle et un engagement diplomatique des États-Unis. Toutes les parties reconnaissent l’importance de protéger les civils et de permettre à la MINURSO de faire son travail. Pourtant, le risque d’une escalade accidentelle demeure, exacerbée par de nouveaux facteurs – des militants jeunes qui souhaiteraient voir un Polisario plus agressif, une course aux armements bilatérale, et des activités sur les réseaux sociaux qui encouragent la haine et la division des deux côtés de la frontière. Le retour imminent de Trump à la Maison Blanche soulève la question de savoir si les États-Unis continueront de jouer un rôle tampon entre les deux pays ou s’ils soutiendront Rabat.

Dans ces circonstances, il pourrait bien revenir aux acteurs européens de prendre la tête diplomatiquement, en travaillant à gérer les facteurs de risque qui rendent le conflit plus probable et en encourageant un retour à la table des négociations pour résoudre la situation au Sahara occidental. Des progrès à cet égard serviraient également à améliorer les relations de bon voisinage et à ouvrir la voie à un dialogue entre Rabat et Alger. Lorsque les deux pays seront prêts, il sera important que les acteurs extérieurs – à commencer par les gouvernements européens qui bénéficieraient certainement de relations améliorées – les incitent à aller au-delà de la simple reprise des liens diplomatiques pour approfondir leur coopération. En travaillant ensemble sur des questions d’intérêt commun, les deux voisins pourraient contribuer à bâtir un Maghreb plus stable et prospère, avec des répercussions positives pour le projet d’intégration régionale et la sécurité européenne.

Alger/Rabat/Bruxelles, le 29 novembre 2024

Source : International Crisis Group, 29/11/2024

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