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Le déplacement sahraoui qui dure depuis des décennies se distingue comme l’une des situations de réfugiés les plus durables, prolongées et négligées au monde. Déplacés en raison de l’échec du processus de décolonisation du Sahara occidental par l’Espagne en 1975, suivi de l’invasion par le Maroc et la Mauritanie, les Sahraouis, peuple autochtone de la région, ont établi cinq camps de réfugiés et un centre administratif dans la province de Tindouf en Algérie, servant de centre social, politique et administratif pour leur gouvernement en exil. Depuis ces camps situés au sud-ouest de l’Algérie, environ 174 000 réfugiés sahraouis participent à un processus de construction nationale visant à créer une société égalitaire qui transcende les hiérarchies tribales et de genre traditionnelles. Contrairement à la plupart des autres contextes de réfugiés, ces camps sont entièrement gérés par le Front Polisario, un mouvement d’indépendance et le gouvernement en exil, qui contrôle environ un quart du territoire disputé du Sahara occidental (le Maroc, qui appelle cette région ses provinces du Sud, contrôle le reste). À une époque, jusqu’à 84 pays avaient reconnu la République arabe sahraouie démocratique (RASD) proclamée par le Polisario sur le territoire du Sahara occidental. Cependant, la reconnaissance internationale a fluctué au fil du temps en réponse aux tendances géopolitiques, et des dizaines de pays ont depuis retiré leur reconnaissance de la République sahraouie. Bien que les organisations internationales n’administrent pas les camps, leurs habitants dépendent entièrement de l’aide humanitaire.
Un modèle unique d’autonomie accordée par l’Algérie aux réfugiés sahraouis
L’Algérie se distingue des autres pays d’accueil de réfugiés en accordant une autonomie importante aux Sahraouis. En confiant l’administration du territoire abritant les camps de réfugiés au Front Polisario, le gouvernement algérien permet aux Sahraouis de gérer leurs propres affaires et soutient une indépendance du Sahara occidental. Bien que les Sahraouis ne puissent pas forcément devenir citoyens algériens, ils peuvent obtenir des passeports algériens via un processus géré par le Polisario. Ces passeports comportent un code spécifique indiquant que le titulaire est sahraoui et n’a pas la nationalité algérienne. Ces documents permettent aux Sahraouis de voyager à l’étranger dans les mêmes conditions que les citoyens algériens. Le soutien de l’Algérie à l’autodétermination sahraouie, et donc au Front Polisario, est une source persistante de tensions avec le Maroc voisin, avec lequel elle entretient des relations difficiles malgré leurs liens religieux, linguistiques, culturels et historiques similaires, en tant qu’anciennes colonies françaises.
La jeunesse sahraouie et les trajectoires de mobilité transnationale
Depuis la création de la République sahraouie en 1976, le Polisario a soutenu des programmes de mobilité éducative permettant aux enfants et aux jeunes adultes d’étudier à l’étranger dans le cadre du processus de construction nationale. Ces programmes visent à développer des compétences et des connexions internationales qui pourraient bénéficier au mouvement pour l’indépendance. Autrefois, la majorité des jeunes sahraouis revenaient dans les camps après leurs études, mais ces dernières années, nombreux sont ceux qui choisissent de rester à l’étranger en raison du manque d’opportunités dans les camps isolés, qui subissent une chaleur accablante et de faibles précipitations. Simultanément, les conditions dans les camps peuvent être difficiles, avec des taux élevés d’insécurité alimentaire ces dernières années. Ce choix croissant de rester à l’étranger reflète les aspirations changeantes des jeunes réfugiés sahraouis, soulevant des questions sur l’équilibre entre les désirs individuels et les devoirs collectifs. Pour beaucoup, émigrer dans des pays comme l’Espagne ne signifie pas nécessairement abandonner la lutte pour l’indépendance, mais plutôt reconfigurer leur engagement après des décennies de temporalité dans les camps.
Le conflit historique et l’exil des Sahraouis
Le conflit au Sahara occidental puise ses racines dans les héritages coloniaux et la lutte sahraouie pour l’autodétermination. Connu alors sous le nom de Sahara espagnol, le Sahara occidental était sous contrôle espagnol de 1884 à 1976. Sous la pression du mouvement indépendantiste et des demandes internationales de décolonisation, l’Espagne avait initialement prévu un référendum supervisé par l’ONU sur l’avenir du territoire, mais elle a brusquement renoncé à son contrôle avec l’Accord de Madrid de 1975, divisant la colonie entre le Maroc et la Mauritanie, sans tenir compte des revendications sahraouies pour l’indépendance. En réponse, le Polisario a proclamé la République sahraouie et mené une guerre de guérilla contre les deux pays. L’invasion et la guerre qui a suivi ont déclenché des déplacements massifs de Sahraouis, environ 40 000 cherchant refuge en Algérie.
L’avenir des jeunes Sahraouis dans la diaspora et la complexité du retour
L’incertitude prolongée quant au sort du territoire a ouvert la voie à des trajectoires transnationales alternatives, en particulier pour les jeunes qui poursuivent leurs études et leurs opportunités à l’étranger, ce qui leur permet de se développer personnellement tout en maintenant un lien avec la lutte pour l’indépendance. Si le retour dans les camps était auparavant la norme, l’absence de débouchés professionnels pour la nouvelle génération et l’amélioration des perspectives à l’étranger complexifient le choix de revenir. Ces jeunes, bien que toujours attachés à la cause sahraouie, envisagent de plus en plus de la soutenir depuis l’étranger, où leurs nouvelles aspirations et compétences acquises modifient leur relation avec le projet national. En parallèle, l’exil de plusieurs générations a également entraîné un élargissement de la diaspora, contribuant économiquement et politiquement aux camps, tout en accentuant les inégalités sociales.
Évolution des visions d’avenir
L’expérience de réfugié sahraoui s’est profondément transformée au cours des cinq dernières décennies. Si le rêve de retour dans un Sahara occidental indépendant reste au cœur de l’identité collective, les réalités pratiques de la vie en exil, notamment pour les jeunes générations, révèlent un ensemble de questions plus complexes. Tandis que les camps de réfugiés continuent de fonctionner comme le centre de l’identité nationale sahraouie et de l’organisation politique, ils représentent aussi un espace de possibilités limitées. Pour la jeune génération, la question du retour ne concerne plus seulement le lieu, mais aussi le moment et les conditions de ce retour éventuel.
L’éducation internationale, initialement encouragée pour former une génération au service de la cause sahraouie, a ouvert des voies vers de nouvelles opportunités à l’étranger. En un sens, des programmes tels que Vacaciones en Paz ont peut-être trop bien fonctionné et ont préparé la jeunesse sahraouie à un avenir qui n’implique plus forcément un retour permanent dans les camps. Alors que les schémas migratoires évoluent, la diaspora continue de s’étendre, contribuant économiquement et politiquement aux camps mais intensifiant aussi les inégalités sociales. Pour beaucoup, le concept de retour est devenu moins évident.
En fin de compte, les réfugiés sahraouis tracent de nouvelles voies, entretenant leur espoir indéfectible d’indépendance tout en affrontant la réalité de cinquante ans d’exil. Nombreux sont les jeunes Sahraouis qui restent à l’étranger — ou cherchent à le faire — plutôt que de revenir dans des camps de réfugiés qui semblent offrir moins d’opportunités, moins de stabilité financière, et un avenir plus incertain. Ils doivent également faire face à l’impossibilité persistante d’un retour plus profond, vers un Sahara occidental indépendant. Après cinquante ans de déplacement, combien de temps encore cet état de limbes peut-il durer ?
Sources
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Source : Migration Policy Institute, 20/11/2024
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