En Algérie, sur 700 anciens ministres ou députés, 500 vivent à l’étranger

En Algérie, sur 700 anciens ministres ou députés, 500 pour le moins ont fait le choix volontaire d'aller vivre à l'étranger.

La fonction de ministre est éphémère, et beaucoup de ministres l’apprennent à leurs dépens.

Dans les ministères, l’heure est au déménagement ; certains ministres vont devoir laisser la place aux nouveaux qui arrivent, après la reconduction du Premier ministre Nadir Larbaoui et le remaniement ministériel décidé par le Président Abdelmadjid Tebboune.

Alors, toutes les équipes s’activent pour jeter, trier et ranger tous les documents accumulés pendant leurs fonctions. Et pour certains ministres, c’est déjà clairement la fin. Du jour au lendemain, après avoir goûté l’ivresse et le poids de la fonction, tout s’arrête. Mais rarement de manière consentie.

Après de longues années à occuper des postes ministériels, certains membres du gouvernement, qui comptent parmi les sortants, auront du mal à s’accoutumer à leur nouvelle vie. La fonction de ministre est éphémère ; en moyenne, ils restent en poste deux ou trois ans.

Aujourd’hui, avec les multiples remaniements gouvernementaux, les erreurs de casting, les révocations pour faute grave et les démissions pour cause de maladie, la durée en poste d’un membre du gouvernement est limitée ; pour autant, certains ont réussi à rester en place plus de 10 ans (Boubekeur Benbouzid, par exemple).

Plus de voiture de fonction, encore moins de chauffeur ou gardes du corps, le quotidien va redevenir «normal» pour eux. Si pour certains d’entre eux, cette nouvelle vie est difficile à appréhender du fait des regards de la société, des amis et de la famille, pour d’autres, par contre, la réintégration dans la «vie civile» se fera sans heurts.

Dure la vie d’un ministre ?

Peut-être pas, mais la chute n’est pas sans conséquences sur leur personne, voire leur propre entourage!

Un ex-ministre, Kamel Bouchama en l’occurrence, racontait ainsi son éviction : «Tu fais du bon travail, lui avait dit le président Chadli, mais je dois confier ton portefeuille à quelqu’un d’autre ; sois patient, tu auras de nouvelles responsabilités dans quelque temps.»

Les mois passèrent et l’ex-ministre (aujourd’hui ambassadeur à Damas) a eu tout le temps de mesurer le vide qui l’entourait et aussi de compter les journées, non sans entraîner femme et enfants, selon ses dires, dans une «ambiance neurasthénique» ; il a beaucoup fumé a-t-il dit, et souffert aussi de migraines et de lumbago. Son téléphone est resté muet plus de 10 ans, jusqu’au jour où il a été nommé ambassadeur en Syrie.

De cette expérience traumatisante, il a tiré un livre qu’il a intitulé, à juste titre, «Mémoires d’un rescapé»: «Je l’ai écrit pour raconter l’affliction et les souffrances de tous les cadres de mon pays : dès qu’ils ne sont plus dans les bonnes grâces des décideurs, ils sont jetés, sans remords ni considération.»

Certains, peut-être, vont rejoindre la cohorte des anciens ministres installés à l’étranger. À croire les statistiques, sur 700 anciens ministres ou députés, 500 pour le moins ont fait le choix volontaire d’aller vivre à l’étranger, en Europe ou dans les pays arabes. Ceci étant dit, nos responsables, une fois de l’autre côté de la Méditerranée, s’arrangent pour se faire recruter comme consultants et cadres d’entreprises «performants» pour ce qui concerne quelques anciens du secteur des banques, P-DG et autres cadres de grandes entreprises. Mais on les retrouve aussi dans des métiers plus surprenants comme le commerce, l’hôtellerie, la restauration et même la boucherie halal. Au pays, il faut le dire aussi, d’anciens ministres moins chanceux, une fois débarqués du gouvernement, restent confinés chez eux, à broyer du noir, au moment même où leurs collègues, plus introduits, sont revenus à la politique par la députation. En 2007 par exemple, 17 ex-ministres ont été élus à l’APN ; d’autres, plus chanceux, ont bénéficié de «parachutes dorés» : ils ont été désignés dans le tiers présidentiel, au Sénat.

Est-il si dur de quitter le pouvoir ?

Comment passe-t-on, du jour au lendemain, du statut de ministre à celui de citoyen lambda ?

Après la disgrâce, la révocation ne peut-elle être que brutale ou, au contraire, le départ est plutôt synonyme de délivrance pour le ministre limogé ?

Toutes les réponses à ces questions sont à rechercher dans l’expérience éprouvante de cet ancien secrétaire d’État chargé de la communauté nationale à l’étranger. Il n’a pas eu droit à une audience, encore moins à une explication de son éviction du gouvernement.

Il raconte que c’est le Premier ministre d’alors qui lui a annoncé sèchement et brièvement la sentence : «Le président a décidé de ne pas vous reconduire dans vos fonctions.» «J’ai reçu la nouvelle avec un pincement au cœur ; ce n’est jamais agréable de se faire congédier. Tout s’arrête subitement. Il faut tout de suite préparer un projet de vie et, surtout, ne pas se laisser aspirer par la vacuité qui s’installe après la fin de fonctions.»

Et l’autre question qui vient à l’esprit est la suivante : y a-t-il une vie après «ministre» ?

Des cabinets, aux postes de ministres, des personnalités politiques ont réussi à mettre leur expérience et leurs réseaux à contribution des partenaires privés ou publics désireux de développer un projet.

L’exemple d’Hubert Védrine, l’ancien ministre des Affaires étrangères français, est à ce titre élogieux ; il a décidé de quitter la politique en 2007, après l’échec à la présidentielle de Lionel Jospin. Il a rejoint le secteur privé où il a créé, avec succès, une société de «conseil en géopolitique et en stratégie internationale».

Tout comme lui, l’Algérien Lakhdar Brahimi s’était inscrit dans la même trajectoire. Ancien ministre des Affaires étrangères, secrétaire général adjoint de la Ligue arabe et de l’ONU, il a été aussi «envoyé spécial» en charge de nombreux dossiers, ce qui ne l’a pas empêché par la suite de trouver les ressources nécessaires pour enseigner à «Science-po Paris».

Son exemple reste tout de même exceptionnel, car pour beaucoup d’anciens ministres, passer d’un rythme de travail épuisant à une vie normale est en soi une épreuve dans les jours qui suivent la passation des pouvoirs.

Le retour au quotidien peut-être très difficile pour certains d’entre eux, voire pire, car la mention «ancien ministre» sur leur CV se révèle être un handicap plutôt qu’un atout.

Quitter le pouvoir, c’est un déchirement pour tous ceux qui ont eu à l’exercer.

Avant le remaniement du gouvernement, certains ministres en perdaient le sommeil. D’autres, convaincus qu’ils ne feraient pas partie du prochain staff ministériel, avaient commencé déjà à préparer leurs cartons. Ils auront à abandonner, en un éclair, les dossiers en cours, la voiture avec chauffeur, la villa au Club des pins et, surtout, passer de la lumière à l’ombre et des honneurs au téléphone qui ne sonne plus. Certains, selon les expériences vécues par des ministres d’ici et d’ailleurs, seront anéantis, car la perte du statut de ministre est vécue comme une honte et une déchéance.

Ceux qui s’accrochaient aux privilèges dépriment, divorcent même, quand ils ne perdent pas leurs enfants. Ceux qui arriveront à surmonter leur peine deviennent invivables pour leur entourage. Comme s’ils étaient amputés d’une partie d’eux-mêmes.

Ceux-là n’aspirent qu’à revenir à tout prix, caressant l’espoir d’être rappelés de nouveau ; ils se résigneront très vite.

Paradoxalement pour un certain nombre de ministres qui quittent le gouvernement, c’est le soulagement. Terminé les journées à cent à l’heure, le stress, les sollicitations du tout-Alger, voire du pays profond…

Pour d’autres, être ancien ministre, c’est s’asseoir à l’arrière d’une voiture et s’apercevoir qu’elle ne démarre pas : c’est le choc dont il sera difficile de se remettre.

Mais sinon, chaque fois qu’un membre de la caste qui a dépecé le pays revient dans l’actualité, on se rend compte que, finalement, la vie de ces hommes n’a été «que ça» : une succession de rapines, d’encanaillements moraux et de catastrophes managériales.

Entre-temps, certains qui se croyaient»ministrables», issus de la société civile ou anciens ministres, voire quelques walis ambitieux, ont vécu, ces dernières semaines, un véritable calvaire !

Les ministrables, ce sont tous ceux qui espéraient que le président allait les nommer ministre dans son gouvernement. Alors évidemment, ces politiques, ces intellectuels, ces personnes qui rêvaient d’être ministres, sont très déçus, parce qu’ils ont attendu en vain…

Oui, donc, ces femmes, ces hommes espéraient un appel «miraculeux» de la présidence qui allait leur annoncer la bonne nouvelle, et à chaque fois que leur téléphone sonnait, ils s’imaginaient que c’était»tel conseiller» qui les appelaient personnellement, ou alors le Premier ministre pour leur proposer un poste, et forcément ils vivaient avec leur smartphone greffé à leur oreille !

Le smartphone, ils ne l’ont pas éteint depuis que les rumeurs sur le changement imminent du gouvernement ont circulés; ils partaient aux toilettes avec, ils déjeunaient avec…

En dépit de rumeurs ou d’offres réelles, certains de ces ministrables ne seront pas finalement du casting.

Et l’annonce du nouveau gouvernement, à peine rendue publique, que voilà certains farfelus dont le nom a été cité par les médias s’appliqueront à expliquer pour se justifier : «(…) Oui, j’ai été contacté pour prendre tel et tel ministère, mais en dernière minute, etc.»

Et aux plus effrontés de dire : «J’ai décliné la proposition d’intégrer le gouvernement parce que…»

Pour l’heure, le gouvernement Nadir Larbaoui (2) est, bel et bien, en place avec 12 ministres qui quittent le gouvernement et 13 nouveaux qui arrivent ! Le pays est donc bien géré avec le processus des décisions engageantes qui est relancé, tout comme le train des réformes, tel que voulu par le Président Abdelmadjid Tebboune.

Source : Le Quotidien d’Oran, 21/11/2024

#Algérie #ministres #Tebboune

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