Maroc – Sahara Occidental : Texte intégral de l’arrêt de la CJUE du 4 octobre 2024

La CJUE rejette les pourvois portés par le Conseil et la Commission sur les accords commerciaux Maroc-UE

Affaires jointes C‑778/21 P et C-798/21 P

Commission européenne et Conseil de l’Union européenne
contre
Front populaire pour la libération de la Saguia el-Hamra et du Rio de oro
(Front Polisario)

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 4 octobre 2024

« Pourvoi – Action extérieure – Accords internationaux – Accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc – Décision concernant la conclusion de cet accord et de son protocole de mise en œuvre – Allégations tenant à des violations du droit international du fait de l’applicabilité dudit l’accord aux eaux adjacentes du Sahara occidental – Recours en annulation – Recevabilité – Capacité d’ester en justice – Qualité pour agir – Condition selon laquelle un requérant doit, dans certains cas, être directement et individuellement concerné par la mesure litigieuse – Principe de l’effet relatif des traités – Principe d’autodétermination – Territoires non autonomes – Article 73 de la charte des Nations unies – Pouvoir d’appréciation du Conseil de l’Union européenne – Droit coutumier international – Principes généraux du droit de l’Union – Consentement du peuple d’un territoire non autonome titulaire du droit à l’autodétermination en tant que tiers à un accord international »

Recours en annulation – Personnes physiques ou morales – Actes les concernant directement et individuellement – Affectation directe – Affectation individuelle – Critères – Accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable entre l’Union et le Maroc – Décision 2019/441 – Prise en compte du contenu même de l’accord international ainsi que de ses effets juridiques sur un territoire tiers – Exploitation des ressources naturelles d’un territoire non autonome – Exercice du droit à l’autodétermination – Affectation directe du peuple du Sahara occidental – Conditions

(Art. 263, 4 al., TFUE ; décision 2019/441)

(voir points 112-121, 128, 136, 137)

Recours en annulation – Personnes physiques ou morales – Actes les concernant directement – Affectation directe – Règlement du Conseil relatif à la répartition des possibilités de pêche au titre de l’accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc et de son protocole de mise en œuvre – Acte portant uniquement sur les relations entre l’Union et ses États membres – Mise en œuvre ayant un caractère purement automatique

(Art. 263, 4e al., TFUE ; règlement du Conseil 2019/440)

(voir points 123-125)

Recours en annulation – Compétence de la Cour – Actes pris par les institutions – Examen de la compatibilité avec les traités d’un accord international conclu par l’Union – Recevabilité – Acte de notification de l’approbation de l’accord international à l’autre partie – Absence de compétence

[Art. 19, § 3, b), TUE ; art. 267, 1er al., b), TFUE ; décision 2019/441]

(voir points 126, 127)

Accords internationaux – Accords de l’Union – Accords régis par le droit international – Application de la convention de Vienne sur le droit des traités – Traités et états tiers – Négociation et conclusion – Principe du libre consentement – Peuple d’un territoire non autonome et population de ce territoire – Notion de population – Habitants d’un territoire – Inclusion – Notion de peuple – Unité politique et qualité de titulaire du droit à l’autodétermination – Inclusion

(Art. 21, § 2, TUE)

(voir point 158)

Accords internationaux – Accords de l’Union – Accords régis par le droit international – Application de la convention de Vienne sur le droit des traités – Traités et états tiers – Négociation et conclusion – Principe du libre consentement – Peuple d’un territoire non autonome et population de ce territoire – Obligation d’obtenir le consentement de ce peuple – Consultations des populations concernées – Violation de l’obligation

(Art. 21, § 2, TUE)

(voir point 159)

Accords internationaux – Accords de l’Union – Accords régis par le droit international – Application de la convention de Vienne sur le droit des traités – Traités et états tiers – Négociation et conclusion – Principes – Traités ne devant ni nuire ni profiter à des sujets tiers – Portée

(Art. 21, § 1, TUE)

(voir points 160, 161)

Accords internationaux – Accords de l’Union – Décision du Conseil relative à la conclusion de l’accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc – Accords régis par le droit international – Application de la convention de Vienne sur le droit des traités – Traités et états tiers – Négociation et conclusion – Principe du libre consentement – Peuple d’un territoire non autonome et population de ce territoire – Consultation de la population – Obligation d’obtenir le consentement de ce peuple – Violation – Effets sur la validité de la conclusion de l’accord – Existence d’une marge d’appréciation du Conseil – Absence d’incidence

(Art. 3, § 5, et 21, § 1, TUE ; accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable entre l’Union européenne et le Maroc ; décision 2019/441, considérants 11 et 12)

(voir points 162-165, 173)

Accords internationaux – Accords de l’Union – Interprétation – Compétence du juge de l’Union – Conditions – Accords régis par le droit international – Application de la convention de Vienne sur le droit des traités – Traités et états tiers – Principe du libre consentement – Exigences et effets juridiques dans le cadre de l’exercice par un peuple de son droit à l’autodétermination – Territoire non autonome – Exigence d’un consentement explicite – Erreur de droit

(Accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable entre l’Union européenne et le Maroc ; décision 2019/441)

(voir points 170, 172, 174-177, 185)

Accords internationaux – Accords de l’Union – Interprétation – Compétence du juge de l’Union – Conditions – Accords régis par le droit international – Application de la convention de Vienne sur le droit des traités – Traités et états tiers – Principe du libre consentement – Exigences et effets juridiques dans le cadre de l’exercice par un peuple de son droit à l’autodétermination – Territoire non autonome – Consentement implicite – Conditions – Avantage précis, concret et substantiel découlant de l’exploitation des ressources naturelles dudit territoire – Condition non remplie – Absence de consentement

(Art. 21, § 1, TFUE ; accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable entre l’Union européenne et le Maroc ; décision 2019/441)

(voir points 180-184, 186-189, 191, 192, 194)

Recours en annulation – Compétence du juge de l’Union – Actes pris par les institutions – Demande d’examen de la compatibilité avec le droit international d’un accord international conclu par l’Union – Recevabilité

(Art. 21, § 1, TFUE ; accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable entre l’Union européenne et le Maroc ; décision 2019/441)

(voir points 204-208)

Pourvoi – Pourvoi jugé non fondé – Arrêt sous pourvoi ayant annulé la décision attaquée avec maintien des effets jusqu’au prononcé de l’arrêt de la Cour – Demande de maintien des effets de la décision attaquée – Non-lieu à statuer

(Art. 264, 2d al., TFUE ; accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable entre l’Union européenne et le Maroc et protocole de mise en œuvre ; décision 2019/441 )

(voir points 215-218)

Résumé

La Cour, réunie en grande chambre, rejette, par deux arrêts joignant, pour l’un, les affaires C‑778/21 P et C 798/21 P, et pour l’autre, les affaires C‑779/21 P et C‑799/21 P, les pourvois formés par la Commission européenne et le Conseil de l’Union européenne contre deux arrêts du Tribunal qui avaient annulé les décisions du Conseil approuvant la conclusion d’accords entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc à la suite des recours en annulation déposés par le Front populaire pour la libération de la Saguia el-Hamra et du Rio de Oro (Front Polisario) contre ces décisions.

Par la décision 2019/217 ( 1 ), le Conseil avait approuvé la conclusion d’un accord entre l’Union et le Royaume du Maroc sur la modification de certains protocoles de l’accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre part ( 2 ). Le Conseil avait également approuvé, par la décision 2019/441 ( 3 ), la conclusion d’un accord de partenariat dans le domaine de la pêche entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc et de son protocole de mise en œuvre, ainsi que l’échange de lettres accompagnant l’accord et, par le règlement 2019/440, la répartition des possibilités de pêche au titre dudit accord et de son protocole de mise en œuvre ( 4 ). Ces deux décisions faisaient suite à l’arrêt du 21 décembre 2016, Conseil/Front Polisario (C-104/16 P, EU:C:2016:973), par lequel la Cour avait notamment précisé que l’accord d’association euro-méditerranéen ne couvrait que le territoire du Royaume du Maroc et pas celui, non autonome, du Sahara occidental, ainsi qu’à l’arrêt du 27 février 2018, Western Sahara Campaign UK (C-266/16, EU:C:2018:118), dans lequel la Cour avait suivi un raisonnement largement analogue s’agissant d’accords dans le domaine de la pêche avec le Royaume du Maroc en ce qui concerne les eaux adjacentes au Sahara occidental.

L’accord approuvé par la décision 2019/217 modifiait les protocoles de l’accord d’association euro-méditerranéen relatifs au régime applicable à l’importation, dans l’Union européenne, des produits agricoles, des poissons et des produits de la pêche originaires du Maroc, et à la définition de la notion de « produits originaires », étendant aux produits originaires du Sahara occidental exportés sous le contrôle des autorités douanières marocaines, le bénéfice des préférences tarifaires octroyées aux produits d’origine marocaine exportés dans l’Union. L’accord de pêche entre la Communauté européenne et le Maroc ( 5 ) a, quant à lui, été modifié en incluant dans le champ d’application de cet accord les eaux adjacentes au territoire du Sahara occidental.

Par requêtes déposées en 2019 contre ces actes dans trois affaires Front Polisario/Conseil (T‑279/19, T‑344/19 et T‑356/19), le Front Polisario avait demandé l’annulation des décisions et du règlement attaqués.

Le Tribunal, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Front Polisario/Conseil (T‑279/19) ( 6 ), d’une part, et dans les affaires jointes ayant donné lieu à l’arrêt Front Polisario/Conseil (T‑344/19 et T‑356/19) ( 7 ), d’autre part, a annulé les décisions et le règlement attaqués au motif que l’exigence relative au consentement du peuple du Sahara occidental n’avait pas été respectée. En effet, le Conseil n’avait pas suffisamment pris en compte tous les éléments pertinents relatifs à la situation du Sahara occidental et avait considéré, à tort, qu’il disposait d’une marge d’appréciation quant au respect de l’exigence selon laquelle le peuple de ce territoire devait consentir à l’application des accords litigieux sur ce territoire, en tant que tiers aux accords litigieux au sens du principe de l’effet relatif des traités en lien avec le principe d’autodétermination.

Le Conseil et la Commission ont, chacun, saisi la Cour d’un pourvoi contre ces arrêts.

Appréciation de la Cour

Sur la recevabilité des recours en annulation introduits par le Front Polisario devant le Tribunal

A. Capacité d’ester en justice du Front Polisario

En premier lieu, la Cour rappelle que toute personne physique ou morale peut former, dans certaines conditions, un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement, ainsi que contre les actes règlementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution. Toutefois, la Cour a déjà reconnu la capacité d’ester en justice devant les juridictions de l’Union à des entités indépendamment de la question de leur constitution en tant que personne morale en droit interne.

Le Front Polisario est un mouvement de libération autoproclamé qui a été créé dans le but de lutter pour l’indépendance, à l’égard du Royaume du Maroc, du territoire non autonome du Sahara occidental et pour la création d’un État sahraoui souverain. Dans la mesure où ce mouvement cherche précisément, en se fondant sur l’exercice du droit à l’autodétermination du peuple du Sahara occidental, à établir un ordre juridique étatique pour ce territoire, il ne peut être exigé, afin de lui reconnaître la capacité d’ester en justice devant les juridictions de l’Union, qu’il soit constitué en tant que personne morale conformément à un ordre juridique national particulier. Par ailleurs, le Front Polisario est l’un des interlocuteurs légitimes dans le cadre du processus mené en vue de la détermination du futur du Sahara occidental sous l’égide du Conseil de sécurité des Nations unies, dont les décisions lient tous les États membres et les institutions de l’Union. Il en résulte que le Front Polisario, qui entretient également des rapports juridiques bilatéraux au niveau international, a une existence juridique suffisante pour pouvoir ester en justice devant les juridictions de l’Union ( 8 ). Par conséquent, la Cour considère que le Tribunal a pu, sans commettre d’erreur de droit, conclure que le Front Polisario avait la capacité d’ester en justice devant les juridictions de l’Union, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

B. Qualité pour agir en justice du Front Polisario

En second lieu, la Cour examine la qualité pour agir du Front Polisario. Quant au point de savoir si le Front Polisario est directement concerné par les décisions et le règlement attaqué, la Cour rappelle, tout d’abord, les deux conditions devant être cumulativement satisfaites à cet effet, à savoir que la mesure contestée, d’une part, produise directement des effets sur la situation juridique de la personne concernée et, d’autre part, qu’elle ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de sa mise en œuvre.

Elle constate, à cet égard, que, par ses recours en annulation devant le Tribunal, le Front Polisario visait à faire protéger le droit à l’autodétermination du peuple du Sahara occidental ( 9 ) et que c’est, dès lors, à l’aune des effets des actes attaqués et, partant, des accords litigieux sur la situation juridique de ce peuple, qu’il y a lieu d’examiner si le Front Polisario est directement concerné par les actes attaqués.

Elle rappelle que, tout en n’ayant pas été officiellement reconnu comme étant le représentant exclusif du peuple du Sahara occidental, le Front Polisario est, conformément aux résolutions des plus hautes instances des Nations unies, un interlocuteur privilégié en vue de la détermination du futur statut du Sahara occidental. Ces circonstances particulières permettent de considérer que le Front Polisario peut contester devant le juge de l’Union la légalité d’un acte de l’Union qui produit directement des effets sur la situation juridique de ce peuple. À cet égard, les actes attaqués et, par extension, les accords litigieux, satisfont, par l’incidence qu’ils ont sur le droit du peuple du Sahara occidental à l’autodétermination, à la condition légale selon laquelle une personne physique ou morale doit être directement concernée par la décision faisant l’objet de son recours. Compte tenu de l’article 73 de la charte des Nations unies et du principe de protection juridictionnelle effective, cette condition doit être appréciée, en l’espèce, par rapport à la situation juridique du peuple du Sahara occidental, lequel est représenté aux fins des présentes affaires par le Front Polisario.

La décision concernant la conclusion d’un accord international constitue, par ailleurs, un acte définitif dans l’ordre juridique interne de l’Union, exprimant la volonté de l’Union d’être liée par cet accord. La Cour, qui n’est pas compétente pour annuler un accord international, rappelle que cette décision constitue un acte attaquable. En revanche, contrairement à ce que soutenaient certaines parties, la notification de l’approbation d’un tel accord à l’autre partie contractante constitue une mesure d’exécution qui, en principe, doit être considérée comme étant un acte qui n’est pas attaquable.

La Cour en conclut que le Front Polisario était directement concerné par les décisions litigieuses et que le Tribunal n’a pas commis d’erreurs de droit à ce sujet.

En ce qui concerne l’affectation individuelle du Front Polisario, la Cour confirme également l’approche retenue par le Tribunal selon laquelle, eu égard aux circonstances ayant conduit à conclure à son affectation directe, il devait être considéré comme individuellement affecté par les décisions attaquées. Elle constate, à cet égard, que le peuple du Sahara occidental, représenté par le Front Polisario, est individuellement concerné par la décision litigieuse dans la mesure où une inclusion expresse du territoire du Sahara occidental dans le champ d’application des accords litigieux, qui lient l’Union en vertu des décisions litigieuses, modifie la situation juridique de ce peuple en raison de sa qualité de titulaire du droit à l’autodétermination par rapport à ce territoire, cette qualité le caractérisant par rapport à toute autre personne ou entité, y compris par rapport à tout autre sujet de droit international.

Sur le consentement du peuple du Sahara occidental aux accords litigieux et sur la portée du contrôle juridictionnel opéré par le Tribunal

Selon les décisions litigieuses, les accords en cause ont été approuvés par l’Union après que la Commission, en lien avec le Service européen pour l’action extérieure, a pris « toutes les mesures raisonnables et possibles […] pour associer de manière appropriée les populations concernées afin de s’assurer de leur consentement aux accords » ( 10 ). Cependant, la Cour relève, à cet égard, que la majeure partie de la population actuelle du Sahara occidental ne fait pas partie du peuple titulaire du droit à l’autodétermination, à savoir le peuple du Sahara occidental, lequel a été en grande partie déplacé. Elle ajoute qu’il existe une différence entre la notion de « population » d’un territoire non autonome et celle de « peuple » de ce territoire. Cette dernière renvoie, en effet, à une unité politique, titulaire du droit à l’autodétermination, alors que la notion de « population » vise les habitants d’un territoire.

La Cour rappelle ensuite que, selon le principe de droit international général de l’effet relatif des traités, ceux-ci ne doivent ni nuire ni profiter à des sujets tiers. Un tiers peut, à cet égard, être affecté par la mise en œuvre d’un accord en cas d’inclusion dans le champ d’application de celui-ci d’un territoire par rapport auquel ledit tiers est souverain ou titulaire du droit à l’autodétermination. La mise en œuvre d’un accord international entre l’Union et le Royaume du Maroc sur le territoire du Sahara occidental doit, dès lors, recevoir le consentement du peuple du Sahara occidental ( 11 ). L’action de l’Union sur la scène internationale devant notamment contribuer au strict respect du droit international et au respect des principes de la charte des Nations unies ( 12 ), la Cour souligne que l’absence de consentement du peuple du Sahara occidental auxdits accords, dont la mise en œuvre s’étend sur le territoire du Sahara occidental ou sur ses eaux adjacentes, est susceptible d’affecter la validité des actes de l’Union portant sur la conclusion de ces accords.

Sur la nécessité du consentement du peuple du Sahara occidental et sur l’identification du Front Polisario comme entité à laquelle il incomberait de l’exprimer

La Cour note, tout d’abord, que le Tribunal a commis une erreur de droit lorsqu’il a constaté que les accords litigieux, en ayant accordé aux autorités marocaines certaines compétences dont l’exercice est prévu sur le territoire du Sahara occidental, imposaient une obligation au peuple du Sahara occidental ( 13 ). En effet, si la mise en œuvre des accords litigieux implique que les actes des autorités marocaines accomplis sur le territoire du Sahara occidental ont des effets juridiques modifiant la situation juridique du peuple de ce territoire, ceci ne permet toutefois pas de considérer que lesdits accords créent des obligations juridiques pesant sur ce peuple, en tant que sujet du droit international. À cet égard, les accords litigieux n’impliquent pas la reconnaissance par l’Union de la prétendue souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. De même, le peuple du Sahara occidental n’est pas, par exemple, le destinataire des autorisations de pêche, ou d’autres actes administratifs, établis par les autorités marocaines dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc, qu’il serait tenu de reconnaître, ni des mesures prises par les autorités de l’Union et des États membres à leur égard. La Cour considère, dès lors, que le Tribunal s’est fondé sur une prémisse erronée lorsqu’il a constaté que l’expression du consentement du peuple du Sahara occidental à l’accord litigieux devait être explicite.

Toutefois, la Cour relève que le droit international coutumier ne prévoit pas de forme particulière pour l’expression du consentement d’un sujet tiers à un accord qui lui confère un droit ( 14 ) et n’exclut pas qu’un tel consentement puisse être accordé de manière implicite dans certaines circonstances. Ainsi, le consentement d’un peuple d’un territoire non autonome à un accord international par rapport auquel il a la qualité de tiers et dont l’application est prévue sur le territoire auquel se rapporte son droit à l’autodétermination peut être présumé pour autant que deux conditions soient satisfaites. D’une part, l’accord en cause ne doit pas créer d’obligation mise à la charge de ce peuple. D’autre part, il doit, notamment, prévoir que le peuple concerné perçoit lui-même un avantage précis, concret, substantiel et vérifiable découlant de l’exploitation des ressources naturelles de ce territoire, et proportionnel à l’importance de cette exploitation. L’accord en cause doit également prévoir un mécanisme de contrôle régulier permettant de vérifier la réalité de l’avantage accordé au peuple concerné. Le respect de ces conditions s’impose en vue d’assurer la compatibilité d’un tel accord avec le principe, découlant de l’article 73 de la charte des Nations unies et consacré en droit coutumier international, de primauté des intérêts des peuples des territoires non autonomes.

Ces deux conditions satisfaites, le consentement du peuple concerné doit être tenu pour acquis. Partant, la circonstance qu’un mouvement se présentant comme étant le représentant légitime dudit peuple s’oppose à cet accord ne peut, en tant que telle, suffire à remettre en cause l’existence d’un tel consentement. Cette présomption peut néanmoins être renversée pour autant que des représentants légitimes de ce peuple établissent que le régime d’avantage conféré à ce peuple par l’accord en cause, ou encore le mécanisme de contrôle régulier dont il doit être assorti, ne satisfait pas auxdites conditions.

En l’espèce, la Cour constate que les accords litigieux, bien qu’ils modifient la situation juridique du peuple du Sahara occidental en droit de l’Union au regard du droit à l’autodétermination dont il dispose, ne créent pas d’obligations juridiques pesant sur ce peuple, en tant que sujet de droit international. La première des deux conditions est donc satisfaite.

S’agissant de la seconde condition, la Cour conclut qu’un avantage en faveur du peuple du Sahara occidental, répondant aux caractéristiques mentionnées précédemment, fait manifestement défaut dans les accords litigieux. Elle précise encore que, si un accord devait, à l’avenir, bénéficier au peuple du Sahara occidental conformément auxdites exigences, la possibilité que cet accord profite également aux habitants de ce territoire en général ne serait pas susceptible d’empêcher la constatation d’un consentement présumé de ce peuple.

Sur l’invocabilité du droit international

La Cour rappelle que l’Union est tenue d’exercer ses compétences dans le respect du droit international et qu’elle est dès lors compétente, dans le cadre d’un recours en annulation, pour apprécier la compatibilité d’un accord international conclu par l’Union avec les règles de droit international. Conformément aux traités, ces règles lient l’Union, et le contrôle de validité par la Cour de l’acte par lequel l’Union a conclu un tel accord international est susceptible de porter sur la légalité de cet acte au regard du contenu même de l’accord international en cause ( 15 ). Ainsi, le Tribunal a pu, à juste titre, considérer que le principe d’autodétermination et le principe de l’effet relatif des traités étaient invocables dans le cadre du contrôle de validité des décisions litigieuses.

Conclusion

Aucun des moyens soulevés à l’appui des pourvois portés par le Conseil et la Commission n’ayant été accueilli par la Cour, celle-ci les rejette dans leur intégralité.

Sur le maintien des effets des décisions litigieuses en cas de rejet des pourvois présentés par le Conseil et la Commission

Dans les affaires jointes C‑778/21 P et C‑798/21 P, l’arrêt attaqué avait maintenu les effets de la décision litigieuse jusqu’au prononcé du présent arrêt. Or, le protocole de mise en œuvre de l’accord en cause ayant expiré le 17 juillet 2023 et l’accord de pêche n’autorisant pas lui-même l’accès des navires de l’Union à la « zone de pêche » concernée, la Cour estime que les demandes subsidiaires de la Commission et du Conseil de maintien des effets de la décision litigieuse sont devenues sans objet.

Dans les affaires jointes C‑779/21 P et C‑799/21 P, l’accord conclu par la décision litigieuse était entré en vigueur le 19 juillet 2019. L’annulation de cette décision, sans que ses effets soient maintenus pour une période limitée, étant susceptible d’entraîner des conséquences négatives graves sur l’action extérieure de l’Union et de remettre en cause la sécurité juridique des engagements internationaux auxquels elle a consenti et qui lient les institutions et les États membres, la Cour décide de maintenir les effets de celle-ci pour une période de douze mois à compter de la date de prononcé de l’arrêt.

( 1 ) Décision (UE) 2019/217 du Conseil, du 28 janvier 2019, relative à la conclusion de l’accord sous forme d’échange de lettres entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc sur la modification des protocoles no 1 et no 4 de l’accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre part (JO 2019, L 34, p. 1).

( 2 ) Accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre part, signé à Bruxelles le 26 février 1996 (JO 2000, L 70, p. 2).

( 3 ) Décision (UE) 2019/441 du Conseil, du 4 mars 2019, relative à la conclusion de l’accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc, de son protocole de mise en œuvre ainsi que de l’échange de lettres accompagnant l’accord (JO 2019, L 77, p. 4)

( 4 ) Règlement (UE) 2019/440 du Conseil, du 29 novembre 2018, relatif à la répartition des possibilités de pêche au titre de l’accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc et de son protocole de mise en œuvre (JO 2019, L 77, p. 1, ci-après « le règlement attaqué »).

( 5 ) Accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la Communauté européenne et le Royaume du Maroc (JO 2006, L 141, p. 4).

( 6 ) Arrêt du 29 septembre 2021, Front Polisario/Conseil (T-279/19, EU:T:2021:639).

( 7 ) Arrêt du 29 septembre 2021, Front Polisario/Conseil (T-344/19 et T-356/19, EU:T:2021:640).

( 8 ) La Cour précise à cet égard que la question de savoir si cette entité peut légitimement représenter les intérêts du peuple du Sahara occidental concerne sa qualité pour agir dans le cadre d’un recours en annulation concernant la décision litigieuse, et non pas sa capacité d’ester devant le juge de l’Union.

( 9 ) Voir arrêt du 21 décembre 2016, Conseil/Front Polisario (C‑104/16 P, EU:C:2016:973, points 88, 91 et 105).

( 10 ) Considérant 10 de la décision 2019/217 et considérant 11 de la décision 2019/441.

( 11 ) Voir arrêt du 21 décembre 2016, Conseil/Front Polisario (C-104/16 P, EU:C:2016:973, point 106).

( 12 ) Article 3, paragraphe 5, et article 21, paragraphe 1, TUE.

( 13 ) Arrêts du 29 septembre 2021, Front Polisario/Conseil (T-279/19, EU:T:2021:639, points 322 et 323), ainsi que du 29 septembre 2021, Front Polisario/Conseil (T-344/19 et T-356/19, EU:T:2021:640, point 318).

( 14 ) Voir arrêt de la Cour permanente de justice internationale du 7 juin 1932, affaire des « Zones Franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex » (Recueil CPJI 1927, séries A/B, no 46, p. 148).

( 15 ) Arrêt du 27 février 2018, Western Sahara Campaign UK (C‑266/16, EU:C:2018:118, points 47 à 51

Source : Lex-Europa

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