4 journalistes français accusés de rouler pour le Maroc moyennant de l’argent

Mireille Duteil ( du Point), José Garçon (ancienne journaliste à Libération) Dominique Lagarde (ancienne rédactrice en chef à l'Express) et Vincent Hervouet, éditorialiste sur TF1 ont défendu les thèses du Maroc sur le Sahara Occidental en contrepartie de l'argent.

Parmi les premières valses du hacker Chris Coleman pour « fragiliser la diplomatie marocaine », figure les noms de quatre journalistes français : Mireille Duteil ( du Point), José Garçon (ancienne journaliste à Libération) Dominique Lagarde (ancienne rédactrice en chef à l’Express) et Vincent Hervouet, éditorialiste sur TF1. Ils ont été accusés, preuves à l’appui d’avoir diffusé et soutenu -en échange de contreparties financières- la position de la monarchie Marocaine sur le Sahara Occidental. L’opération a été organisée par l’intermédiaire d’Ahmed Charaï, homme de presse à la tête de l’Observateur du Maroc. Charai, aux liens étroits avec les services de renseignement Marocain, a entamé une collaboration avec les journalistes en question, qui ont accepté de rédiger des chroniques pour l’Observateur du Maroc. Si les quatre journalistes réfutent vigoureusement les allégations de corruption, et accusent le lanceur d’alerte français de diffuser des documents falsifiés, El Watan Magazine relève cependant que ces 4 journalistes ont chacun publié entre 22 et 26 chroniques consacrées à la question du Sahara Occidental, toujours favorables à la position de Rabat.

Le 10 Janvier 2008, Dominique Lagarde signe une chronique titrée «L’amertume Marocaine » dans l’Express :

« Dans cette affaire, les Marocains ont le sentiment d’avoir fait bouger les lignes, en proposant, il y a plusieurs mois, une très large autonomie du territoire, sans que l’autre camp ait, de son côté, évolué. « Le Polisario continue à tenir le langage des années 1970 », confie à L’Express le ministre marocain des Affaires étrangères, Taïeb Fassi Fihri »

Par ailleurs, si l’on se livre à une rapide revue de presse des articles signés par José Garçon dans Libération entre 2007 et 2011, les sympathies pro-Marocaines (et anti Algériennes!) de l’auteur laissent peu de place au doute. En attestent les articles titrés : « Les islamistes Marocains sous le contrôle du roi » , « Maroc-Algérie : l’escalade de Bouteflika. Une incursion Algérienne au Maroc aggrave la tension » ou encore « L’Algérie sur un volcan ».

On peut légitimement s’étonner du silence généralisé de la presse Française (et en particulier, des titres dont les journalistes sont visés par cette accusation!) sur cette sombre affaire. A ce jour, seule Dominique Lagarde a -tardivement- réagi à ces accusations. Pour sa part, Jean Marc Manach, journaliste de Arrêt sur images, semble avoir enquête longuement sur le sujet, et parle d’une « intox » : « Sensation sur un mystérieux compte Twitter : les services secrets marocains auraient instrumentalisé (et rétribué) plusieurs journalistes français et américains pour qu’ils écrivent des articles, ou fassent des émissions, favorables au royaume chérifien »

Pour le journaliste, l’analyse de ce mystérieux compte Twitter , « qui vise clairement à déstabiliser le régime marocain, révèle que cette opération, selon les meilleures règles du genre, mêle savamment documents authentiques et documents manipulés.»

Une collaboration « bénévole » de poids

De quoi parlent les deux hommes ? De la collaboration à L’Observateur du Maroc de quatre journalistes occupant des postes importants dans des médias français : Dominique Lagarde, ancienne rédactrice en chef adjointe au service Monde de L’Express, José Garçon, ancienne journaliste à Libération, Mireille Duteil, ancienne rédactrice en chef du Point et actuelle éditorialiste, toutes trois spécialisées dans la couverture du Maghreb, ainsi que Vincent Hervouët, éditorialiste de politique étrangère sur TF1 et LCI et présentateur d’une émission quotidienne, Ainsi va le monde. Tous quatre fournissent au magazine, depuis plusieurs années, une production impressionnante. Rien qu’entre janvier et fin octobre 2014, les trois derniers ont publié chacun entre 22 et 26 chroniques qui ont pour point commun de ne jamais évoquer la situation intérieure du Maroc.

Interrogés fin octobre par le site Arrêt sur images de Daniel Schneidermann, tous quatre ont nié avoir été payés pour ces chroniques. Un travail bénévole consenti à un ami, ont-ils expliqué. Une réponse qui ne convainc pas un spécialiste des liens entre élites françaises et Makhzen (nom familier de l’État et des institutions régaliennes) : « je ne connais pas un journaliste qui écrirait gratuitement pendant des années et pour un journal que personne ne lit ! Je n’ai pas l’ombre d’un doute sur le fait qu’ils ont été payés ».

Accointances avec le renseignement marocain

Les courriels impliquant les journalistes français laissent peu de de doute sur la nature de leurs relations avec le magazine, ni sur celles entretenues par L’Observateur du Maroc avec le pouvoir. Les courriels ont été authentifiés par un journaliste spécialiste d’Internet, Jean-Marc Manach, dans un article paru le 15 décembre sur le site Arrêt sur Images. Ces messages sont envoyés par Ahmed Charai, le directeur du magazine à « Sdi Morad ». Des indices laissent penser que « Sdi Morad » est Mourad Ghoul, directeur de cabinet de Yassine Mansouri, directeur de la Direction générale des études et de la documentation (DGED). Et ancien patron de l’agence de presse officielle Maghreb Arabe Presse…

Plusieurs des messages accessibles commencent par « Sdi Yassine », qui renverrait selon toute vraisemblance à Yassine Mansouri. Selon le journal en ligne demainonline, Ahmed Charai serait « réputé pour ses accointances avec la DGED ». Membre de nombreux think thanks, il est présenté comme un expert du Maroc et de l’Afrique du Nord, rompu à l’art d’encenser l’action royale et de promouvoir « l’exception marocaine »2. Plusieurs courriels montrent ses relations avec des représentants de la communauté juive, comme ceux de l’American Jewish Committee ou de la Sephardic National Alliance, sur lesquels « on peut compter » pour le dossier du Sahara, comme il le souligne dans des messages adressés directement à « Sdi Yassine ». Ahmed Charai s’active donc plus comme un agent en service commandé que comme un patron de presse.

Mails fournis par le hacker au sujet des journalistes français



Dans un email envoyé au « Si Morad », Ahmed Charaï expliquait qu’il devait « remettre les piges » (d’un montant de 6000 €) aux journalistes français qui écrivaient dans ses journaux, laissant entendre que, non seulement ils étaient instrumentalisés par le renseignement marocain, mais également que ce dernier pouvait aussi contribuer à les rémunérer. Quand je les avais contactés, Vincent Hervouet, journaliste à LCI et ancien président de l’association de la presse diplomatique française, José Garçon, une ancienne journaliste de Libération, Mireille Duteil et Dominique Lagarde, respectivement rédactrices en chef du Point et de L’Express à l’époque (elle sont aujourd’hui à la retraite), avaient vigoureusement nié avoir jamais été payés par Charaï, expliquant qu’ils écrivaient leurs billets gratuitement, pour rendre service à celui qu’ils présentaient comme un « copain ».

Vincent Hervouet instrumentalisait la questions de la Kabylie

Le 19 décembre 2009, Ahmed Charai demande à « Si Morad », évoquant Vincent Hervouet : « Serait-il possible de lui réserver 2 chambres à l’hôtel Sofitel à Marrakech pour la période indiqué », lui faisant suivre un mail que lui aurait envoyé Hervouet et où le journaliste français lui proposait de venir au Maroc en famille du 26 décembre au 4 janvier.

Le mardi 20 avril 2010, Charai envoie un mail à l’intention de « Sdi Yassine: Urgent », lui expliquant que Hervouet consacrerait le mercredi suivant un reportage sur LCI au mouvement indépendantiste… algérien, le MAK (Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie), et qu’il avait également appelé Mireille Duteil (Le Point), Dominique Lagarde (L’Express), Patrick Cohen (Europe1), Ruth Elkrief (BFM TV). Quel rapport ? La mise en valeur du MAK par des médias français, serait de nature à accréditer l’idée que l’Algérie, comme le Maroc, est aux prises avec un mouvement autonomiste interne.

Le 21 avril 2010 à 13h08, Charai rajoute, en rouge et en gras, « Sdi Yassine; Important », à un mail que Vincent Hervouet lui aurait envoyé à 9h35. Le journaliste français explique qu’il a réussi (« en payant au prix fort », dixit) à « dénicher des images des (petites) manifestations » ayant accompagné la proclamation, par le MAK, du gouvernement en exil de Kabylie, à Paris, et qu' »a priori, il y aura de quoi fabriquer un sujet ce soir dans le JDM (le Journal du Monde, qu’anime Hervouet sur LCI -NDLR). Eventuellement qqs images dans le journal de TF1. »



A 16h41, Charaï rajoute « Très urgent : Sdi Yassine » sur un mail où Vincent Hervouet lui aurait expliqué que « Medelci (alors ministre des Affaires Étrangères algérien-NDLR) est entrain de chercher , paraît-il appeler martin bouygues… »

Le 22, à 15h37, Charai demande à « Sdi Yassine » de « faire un geste » en lui faisant suivre un mail où Hervouet, après avoir précisé que « ton « ami » Mehenni (fondateur du MAK -NDLR) est Edifiant », lui aurait demandé : « Est-ce tu es vraiment sûr que ça ne t’embête pas de m’avancer sur mon salaire les 38.000 euros? » La mise en valeur des autonomistes kabyles a-t-elle fait des remous à LCI ? Hervouet ajoute avoir passé « une heure avec le Big Bos, pour le convaincre du sérieux de ce MAK. » Nous avons bien évidemment proposé à Vincent Hervouet de lui montrer ces documents, pour en parler avec lui. Après avoir initialement accepté de nous rencontrer, il a finalement décommandé, à la dernière minute, expliquant que son avocat, qui a porté plainte en son nom, lui avait déconseillé de s’exprimer en attendant les suites judiciaires de de cette affaire. S’il paraît pour le moins et de prime abord étonnant qu’un journaliste puisse recevoir une telle somme, on notera que Hervouet est aussi actionnaire de deux entreprises créées par Amed Charaï, Audiovisuelle Internationale (qui chapeaute le service radiophonique Radio Med -cf ce .pdf), et Media South, créée en mai dernier (voir le document) et dont le capital social est fixé à 300 000 dirhams (27 000€).

Le 28 à 12h25, Charai fait transmettre à « Sdi Yassine » un mail où Hervouet lui aurait écrit : « Je préfère que tu me remets toi même l’avance sur salaire, ne l’envoie surtout pas avec une autre personne »; avant de préciser : « D’un autre côté, l’ambassadeur algérien à paris m’a appelé hier pour un déjeuner, nous aurons rdv la semaine prochaine.. Amitiés, V. »



Le 24 novembre, Charaï annonce à « Si Morad » que « notre ami Vincent Hervouet voudrait venir à Marrakech pendant la période des fêtes. Merci de bien vouloir lui reserver 3 chambres doubles au Sofitel Marrakech du 25 decembre au 1er ».

Le 25, Charaï rajoute « Pour Sdi Yassine: Important » à un mail que lui aurait envoyé Hervouet, se félicitant du fait d’avoir « reçu au moins 4 appels hier de différents services de mon cher gouvernement français au sujet de la vidéo, c’est pas mal!! », avant de préciser : « Par contre la direction du Polisario a envoyé hier soir une lettre au Président de la chaîne protestant contre ce qu’ils ont appelé « l’amalgame » entre l’AQMI et le front du Polisario, ils veulent un droit de réponse-Mon oeil!!! » Le 23, Vincent Hervouet avait en effet diffusé un « document inédit et exceptionnel » sur Al Quaeda au Maghreb islamique (AQMI, qui détenait à l’époque 5 otages français), une vidéo sur un camp terroriste au Mali tournée par un membre de l’organisation, et présentée comme « une exclusivité LCI ».



Etrangement, Vincent Hervouet conclut le reportage en montrant une carte de plusieurs des pays jouxtant le Mali, y rajoutant le Sahara occidental (au Maroc, à la frontière de l’Algérie, mais qui ne jouxte pas le Mali), tout en précisant qu' »AQMI recrute dans tous les coins du désert, jusque dans les camps du Polisario, à la frontière de l’Algérie et du Maroc », qualifiés de « nouveau vivier », avant d’évoquer « des liens avérés entre une cinquantaine de membres du Polisario et AQMI »…



Le 14 décembre, Charaï demande à son interlocuteur des « billets Air France pour notre ami de LCI et sa famille (Pariscasa-paris). EN CLASSE ECO départ 25 decembre , retour 1 janvier », suivi des noms, prénoms et âges de la femme et des enfants de Vincent Hervouet.



Le 7 janvier 2011, Ahmed Charaï fait suivre à « Si Morad- urgent » un login et mot de passe que lui a transmis Vincent Hervouet afin qu’il puisse télécharger l’émission de la veille directement sur les serveurs de TF1.



Le 10 mars, Charaï transmet à « Sdi Yassine » un mail où il écrit que « nos amis(e) ont bien travaillé hier soir », évoquant « Mireille Duteil (Le Point); Dominique Lagarde (L’Express); Vincent Hervouet (LCI); Fox News (Ben Evansky); Boston Globe (bender) », suivi d’une liste d’URL pour le moins étonnante : en effet, et étrangement, comme je l’avais écrit dans mon premier article, les URL des articles du Point et de L’Express que les « amis » étaient censés avoir écrits mentionnaient : « source : AFP », et l’article de Fox News « Associated Press », et non pas les signatures des journalistes félicités. Ce qui est d’autant plus étonnant que Dominique Lagarde a vraiment écrit un article ce 10 mars 2011, mis en ligne à 9h45 (soit près de 2 heures après l’envoi supposé du mail), tout comme Mireille Duteil, dont l’article a quant à lui été publié à 20h54 (soit 13h après le mail). Quant au reportage de LCI, il ne se résume pas à un extrait de 37 secondes d’un discours du roi du Maroc, comme je l’avais précédemment écrit : l’extrait vidéo était en fait « embeddé » dans un article (non signé). Celui du Boston Globe, lui, a disparu.

Le 16 novembre 2011 à 16h50, Ahmed Charai remerciait Karim Karimi de lui avoir fait suivre la confirmation de réservation, via l’agence Zaers de Royal Air Maroc à Rabat, d’un billet d’avion Paris-Rabat A/R (1330€) pour que Vincent Hervouet puisse venir passer le week-end du 2 au 4 décembre au Maroc. A 20h43, il lui écrivait de nouveau : « Merci infiniment pour lui », en réponse à un autre mail où Karim Karimi précisait que « V H a une chambre à la Mamounia », célèbre palace 5 étoiles de Marrakech. Le 10 mars 2012, Charaï transmet à « Si Morad » un mail où Hervouet lui demande « quel rabais te consent le Sofitel marrakech? J’ai besoin d’une chambre avec petit déjeuner le jeudi 22/03 et de deux chambres le vendredi et le samedi », Charai rajoutant : « je crois qu’on pourra le prendre en charge! »

Contacté, Ahmed Charaï a lui aussi refusé de répondre à nos questions, ayant lui aussi porté plainte. Impossible donc de savoir pourquoi il a ainsi évoqué des piges à 6000€ au directeur de cabinet du chef du renseignement marocain, alors que les journalistes français nient avoir jamais été payés par lui. Restent les vols Paris-Rabat, et les nuits d’hôtel pour Hervouet et sa famille. Pas de quoi en faire une affaire d’État. Les documents révélant les manoeuvres diplomatiques marocaines, à l’ONU notamment, semblent bien plus intéressants, même si, à ce jour, aucun journaliste ne semble s’être sérieusement attelé à les analyser. En tout état de cause, l’authentification de ces mails révèle surtout qu’Ahmed Charaï semble donc bien être, sinon un agent de la DGED, tout du moins un de ses honorables correspondants, agent d’influence travaillant avec le renseignement marocain à l’amélioration de l’image de son pays via ses nombreux contacts en France et aux Etats-Unis. Après avoir écrit des chroniques quasi-hebdomadaires pour L’observateur du Maroc depuis des années, Duteil, Garçon et Hervouet ont finalement décidé, fin octobre, d’arrêter d’aider (« gratuitement », insistent-ils) leur « copain ».

Avec Arrêt sur Image

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