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Soupçons de corruption au Parlement européen: 1,5 million d’euros? Sans doute qu’un début, selon Van Quickenborne
Le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne (Open VLD) a répondu aux questions en commission de la Chambre ce mercredi, comparant cette enquête au dossier Sky-Ecc, qui a mené à des centaines d’arrestations dans le milieu du trafic de drogue
Le ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne (Open VLD), s’attend à ce que les sommes en jeu dans l’enquête en cours sur des faits de corruption par le Qatar dépassent le million et demi d’euros dont parle le parquet fédéral jusqu’à présent, a-t-il indiqué mercredi en commission de la Chambre en réponse à une question de Samuel Cogolati (Ecolo-Groen).
L’enquête qui a mené à l’arrestation de quatre personnes, dont une des vices-présidentes du parlement européen et un ancien député européen, est en cours depuis un certain temps, a reconnu le ministre.
Comme nous l’avons indiqué dans nos précédentes éditions, la Sûreté de l’Etat est à l’origine de l’affaire. Le service de renseignement belge avait déjà investigué ces soupçons de corruption avec les services d’autres pays, selon le ministre. Selon nos informations, il est question d’une visite furtive au domicile de l’ancien député Antonio Panzeri, l’une des personnes sous mandat d’arrêt.
Le Qatar n’est pas seul en cause, à entendre le ministre. Des médias évoquaient dans la matinée le Maroc. Le ministre n’a pas cité l’Etat en question mais a expliqué que, dans le passé, celui-ci avait été mentionné pour des cas d’immixtion dans les affaires belges (il avait notamment été mis en cause pour son ingérence dans le fonctionnement de l’Exécutif des musulmans).
Les intérêts peuvent être légion. Pour n’en citer qu’un : les droits de pêche. Dans ce dossier, il pourrait s’agir d’une immixtion par corruption. Ce sont des charges extrêmement sérieuses », a-t-il ajouté. Dans le passé, un accord de pêche conclu entre l’Union européenne et le Maroc avait été contesté parce qu’il était susceptible de s’appliquer au Sahara occidental, une région dont Rabat revendique la souveraineté.
Pour le ministre, quoi qu’il en soit, l’affaire en cours est des plus sérieuses. Il l’a comparée au dossier Sky-Ecc, qui a mené à des centaines d’arrestations dans le milieu du trafic de drogue. « Ce dossier pourrait signifier la même chose dans la lutte contre l’immixtion illicite par d’autres Etats », a-t-il dit. Et d’ajouter : « Un Etat mafieux commence quand des parlementaires, des élus du peuple, sont corrompus contre de l’argent pour tenir un discours et adopter un comportement de vote déterminé. C’est la fin de l’Etat de droit ».
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Scandale de corruption: entre le Maroc et l’Union européenne, des centaines de millions d’euros et un territoire contesté
Pourquoi le Maroc aurait-il corrompu des membres du Parlement européen ? Le Maroc et l’UE sont des partenaires particuliers, où les politiques se négocient en centaines de millions d’euros. Au milieu des discussions, Rabat se cherche des alliés sur le Sahara occidental.
Les jours passent et l’enquête sur les soupçons de corruption au Parlement européen se décale de plus en plus vers le Maghreb. Au-delà du Qatar, les enquêteurs s’intéressent aux réseaux d’influence (ou d’ingérence) marocains de Pier Antonio Panzeri, décrit comme le « Monsieur Maroc du Parlement européen » par des sources parlementaires. Contrairement au Qatar, il n’est pas ici uniquement question d’alliance et d’image, mais aussi d’un territoire contesté et de centaines de millions d’euros d’aides. Rabat a effectivement grand intérêt à rallier les institutions de Bruxelles à ses causes.
Ces dernières années, le Maroc a dû jubiler en concluant avec l’Union européenne des accords commerciaux, notamment sur l’agriculture et la pêche. Rien de bien excitant, à première vue. Mais au cœur des textes ressurgissait l’éternelle dispute sur le Sahara occidental, appelé « provinces du sud » au Maroc. Cet immense territoire, grand comme huit fois la Belgique, est disputé par les Marocains et les Sahraouis depuis la fin de la colonisation espagnole en 1975. Le Front Polisario, mouvement indépendantiste sahraoui, est soutenu par l’Algérie voisine et l’ONU qui, mandatée pour dénouer ce sac de nœuds diplomatique, n’a jamais réussi à avancer sur le dossier.
En 2019, l’Union européenne a donc conclu avec le Maroc des accords commerciaux incluant le Sahara occidental… Une victoire diplomatique pour Rabat, qui voyait ainsi l’UE reconnaître implicitement son contrôle du territoire sahraoui.
Des accords invalidés
Mais ces accords ont aussi vite été déclarés illégaux par la Cour de justice de l’Union européenne. Cette dernière rappelait notamment que le Sahara occidental a un statut séparé et distinct et jugeait que le consentement du peuple sahraoui n’avait pas été obtenu par l’UE. Bref, que ni le Maroc ni l’UE n’avaient le mandat pour négocier des accords incluant le Sahara occidental. Selon les estimations de la Commission européenne, on parle de 500 millions d’euros de biens exportés de la région vers l’Union européenne. Pas vraiment des cacahuètes.
Mais la bataille n’est pas finie. « Depuis que Donald Trump a reconnu la marocanité du Sahara occidental fin 2020, la diplomatie marocaine s’est durcie. Rabat estime que le point de vue marocain peut être suivi par d’autres partenaires, les pays européens en tête », souligne Brahim Oumansour, directeur de l’Observatoire du Maghreb à l’IRIS.
Partenaires particuliers
Au-delà de ce territoire disputé, le Maroc reçoit également des centaines de millions d’euros d’aide. En 2019, toujours, la Commission européenne a donné son feu vert pour pas moins de 389 millions d’euros pour « soutenir les réformes, le développement inclusif et la gestion des frontières et d’œuvrer au développement d’un “Partenariat euro-marocain pour une prospérité partagée” ». Ces dernières années, les montants d’aide bilatérale au Maroc ont « considérablement augmenté », pointe une source européenne.
Mais le Maroc a aussi eu un œuf à peler avec l’UE. Le scandale Pegasus a jeté un froid : le Maroc est soupçonné d’avoir espionné des centaines de ressortissants européens. Et non des moindres, puisque le président du Conseil européen Charles Michel avait été sélectionné pour faire partie des cibles du logiciel espion Pegasus. Depuis avril de cette année, une commission d’enquête du Parlement européen tente de faire la lumière sur une partie du scandale. Parmi les eurodéputés impliqués dans ce travail… Eva Kaili, la Grecque actuellement inculpée.
Mais le travail est complexe… et épargne d’ores et déjà le Maroc, puisque les eurodéputés ne s’intéressent qu’à l’utilisation du spyware par les Etats membres. Leur mandat ne leur permet pas d’aller regarder du côté des donneurs d’ordre de l’autre côté de la Méditerranée.
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Les barbouzeries du Maroc au cœur du dossier de corruption au Parlement européen
Une même organisation criminelle, utilisée pour des motifs différents par les Etats du Qatar et du Maroc. Le dossier de corruption présumée au Parlement européen établit une « Maroc connection » entre Pier Antonio Panzeri et les services secrets du royaume.
Avant le Qatar, le Maroc. C’est parce que, dans une enquête initiée en 2021, elle soupçonnait des tentatives non seulement d’ingérence mais aussi de corruption au cœur de l’Europe par un pays tiers que la Sûreté de l’Etat a, le 12 juillet dernier, partagé ses craintes avec le parquet fédéral. Le juge Michel Claise fut saisi et l’enquête confiée à la police judiciaire fédérale et son Office central pour la répression de la corruption (OCRC). Même si le Qatar est pointé du doigt depuis le 9 décembre, suspecté d’avoir (ab)usé de son influence pour s’attirer les bonnes grâces des gardiens de la démocratie européenne, le Maroc est lui aussi sur la feuille de route des enquêteurs.
Sur base de documents judiciaires, de diverses sources et d’une enquête en sources ouvertes, Le Soir et Knack dévoilent de nouveaux éléments sur le rôle présumé du Maroc et de son service secret dans l’ingérence au Parlement européen (PE).
Dans le mandat d’arrêt européen émis le 9 décembre à l’encontre de l’épouse et de la fille de M. Panzeri, le juge explique ainsi qu’il suspecte M. Panzeri « d’intervenir politiquement auprès de membres du Parlement européen au profit du Qatar et du Maroc, et ce contre rémunération ». Sous réserve explicite et évidente de la présomption d’innocence, les autorités belges se réfèrent au résultat d’écoutes téléphoniques pour préciser que l’épouse et la fille de M. Panzeri auraient elles-mêmes participé au transport des « cadeaux » reçus de l’ambassadeur du Maroc en Pologne, Abderrahim Atmoun, un ami de M. Panzeri. Sollicités, ni M. Atmoun, ni l’ambassade du Maroc à Bruxelles n’ont donné suite.
Intense lobbying
L’intérêt du royaume chérifien pour M. Panzeri ne date pas d’hier, apparaît-il de documents confidentiels diffusés entre 2014 et 2015 par un hacker qui se faisait appeler Chris Coleman. Dans une note « urgente » d’octobre 2011 envoyée par la Mission marocaine auprès de l’Union européenne à Rabat, il est indiqué qu’« en marge de la session plénière du Parlement à Strasbourg », un représentant au moins de la Mission a eu un « entretien informel » avec le conseiller de M. Panzeri, porteur d’un message « à l’attention des autorités marocaines ».
L’objet de cette note est de préparer la visite que l’eurodéputé S&D Panzeri – alors président de la délégation Maghreb du PE – doit effectuer au Maroc deux semaines plus tard. Un délicat arrêt à Tindouf, où sont rassemblés plusieurs camps de réfugiés sahraouis, est prévu. Etape nécessaire pour préserver l’image de neutralité de l’eurodéputé : « La visite de Tindouf est indispensable pour conforter la crédibilité de M. Panzeri auprès de l’Algérie et du Polisario, après que celui-ci l’a accusé d’être pro-marocain ». Le Front polisario lutte pour l’indépendance du Sahara occidental.
En résumé, tout le monde est d’accord, « il n’est pas dans l’intérêt du Maroc que M. Panzeri soit perçu comme tel (pro-marocain, NDLR). » Entretenant de bons rapports tant avec les Algériens que les Marocains, politicien accompli pouvant faire valoir « un agenda politique de longue haleine, mené (…) toujours avec tact et maîtrise », Antonio Panzeri, prévient la note diplomatique, « peut être un allié de poids ou un adversaire redoutable ».
Panzeri, « ami proche du Maroc »
Dans un autre câble, de janvier 2013 celui-là, la Mission auprès de l’UE soumet à son propre gouvernement une feuille de route pour promouvoir les « intérêts du Maroc au sein du Parlement européen en 2013 ». Organisation de débats et séminaires, de visites guidées… L’objet de ce plan de bataille est de « contrecarrer l’activisme croissant de nos adversaires au sein du PE ». Et, notamment, de garder un œil sur le rapport que l’eurodéputé britannique Charles Tannock, « connu pour ses positions pro-Polisario », doit rédiger sur la situation des droits de l’homme au Sahara occidental. Plusieurs stratégies sont au menu, mais la Mission entend bien « coordonner son action avec le président de la Délégation Maghreb au PE, M. Antonio Panzeri, ami proche du Maroc, afin de réduire le champ de nuisibilité que pourrait constituer le projet Tannock ».
Un pacte en 2019
Ce n’est néanmoins que plusieurs années après ces actions de lobbying que les uns et les autres auraient décidé de passer à la vitesse supérieure.
En 2019, plus précisément. Année où Pier Antonio Panzeri n’est pas réélu. Selon les aveux de son ex-assistant Francesco Giorgi devant la police fédérale belge puis devant le juge, l’ancien eurodéputé est dans une situation difficile. Panzeri aurait alors noué un pacte secret avec la DGED, les services de renseignement extérieurs du Maroc, par l’intermédiaire du diplomate Atmoun. Ils se rendent plusieurs fois à Rabat. Questionné sur ce point, Me Laurent Kennes, avocat de M. Panzeri, répond « ne pouvoir faire de commentaire compte tenu de la détention de son client ». Atmoun, l’homme clé de la filière marocaine, cité dans le document transmis à la justice italienne, recevrait quant à lui ses ordres d’un autre homme…
« Un type dangereux. » C’est en ces termes qu’un proche du dossier évoque Mohamed B. Un agent secret de la DGED. Ce fonctionnaire serait l’agent traitant du diplomate Abderrahim Atmoun. Depuis Rabat, Mohamed B. donnerait ses ordres.
Le Soir et Knack sont en mesure d’affirmer que cet agent secret marocain avait déjà roulé sa bosse en France. Dans une affaire peu banale de trafic de « fiches S » (« S » pour sûreté de l’Etat), des fichiers confidentiels censés aiguiller les forces de l’ordre françaises en les informant, par exemple, qu’untel est connu pour radicalisme religieux, voire pour des faits de terrorisme. La plupart des fiches S sont émises par les services de renseignement intérieur français (la DGSI). Des informations essentielles pour un aéroport international.
Selon les informations de Libération, Mohamed B. a été, vers 2015-2016, le destinataire final « de 100 à 200 » fiches S, données par un capitaine de la Police aux frontières (PAF) basé à l’aéroport Paris-Orly. L’agent secret marocain, par l’entremise d’un troisième homme, directeur de sûreté aéroportuaire, aurait embobiné le policier français au point d’aspirer ces renseignements top secrets pour le compte du royaume chérifien.
La procédure judiciaire lancée en France a notamment démontré que Mohamed B. et son adjoint à Orly avaient invité à trois reprises le policier français et sa famille en vacances au Maroc. Billets d’avions et hôtels 4 étoiles compris, raconte le quotidien français. Le capitaine de la PAF avait encore été invité à un nouveau voyage par l’agent de la DGED, cette fois en Ouganda, mais il sera arrêté juste avant le décollage.
Après cette histoire trouble, pour laquelle Mohamed B. n’a pas été poursuivi par la justice française, il disparaît des radars. Avant de réapparaître aujourd’hui au grand jour dans le fracassant dossier de corruption au Parlement européen.
Et soudain, on (re)découvre le Parlement européen
Mais pourquoi donc déverser tant d’argent pour convaincre quelques députés d’influer sur le vote d’une résolution du Parlement européen ? La question revient avec une telle insistance qu’on se dit que le Qatar et le Maroc ont vu plus de potentiel et d’impact dans l’action du Parlement et de ses élus que nombre de leurs électeurs et surtout des partis nationaux qui y envoient trop souvent des politiciens « fatigués », trublions ou faiseurs de voix jugés obsolètes.
C’est une évidence : la liste des candidats aux élections européennes recèle peu d’enjeu stratégique et suscite encore moins de passion. L’impression reste toujours aujourd’hui que la « vraie » politique, celle qui va peser sur le score électoral du parti, marquer l’opinion publique et faire la une des médias, se joue encore et toujours à domicile et pas dans les enceintes européennes.
C’est injuste pour le travail de fond accompli et pour les parlementaires qui travaillent à faire bouger les lignes de l’action des exécutifs européens. A la façon, côté belge, de l’ex-Premier ministre libéral Guy Verhofstadt qui a souvent donné du lustre et de la voix à une institution trop discrète ou du chef de groupe des Verts Philippe Lamberts qui, en 2008, a pesé sur la gestion de la crise financière.
Le scandale de corruption mis au jour va forcer à tirer une série de leçons. Par l’institution tout d’abord qui, par désintérêt (des députés européens et des partis nationaux qui les désignent), par déconnexion (des 450 millions d’Européens qui les élisent pourtant directement), par entre-soi/arrogance/embourgeoisement (faut-il biffer une mention inutile ?) mène grand train, ne met pas en place les règles élémentaires de contrôle et bafoue celles, légères, qui existent. Sans la presse et la justice, cela aurait encore continué : aucun mécanisme de protection de l’éthique au Parlement n’a été « déclenché ». Ce jeudi, la présidente Metsola s’est engagée sur de nouvelles mesures qui ne seront utiles que si elles passent d’abord par un examen de conscience collectif.
Des leçons seront aussi à tirer par les partis nationaux qui doivent suivre de bien plus près l’activité de leurs députés « là-bas à l’Europe » et vérifier leur respect de la gouvernance qui doit encadrer leurs comportements, déplacements et multiples engagements.
L’entre-soi européen est une source potentielle de bien des maux, rendant l’institution fragile aux prédateurs extérieurs. « La honte » de la corruption dévoilée cette semaine, exprimée par une députée à la tribune, aurait pu et dû être évitée.
Source : Le Soir, 22/12/2022
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