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Une même organisation criminelle, utilisée pour des motifs différents par les Etats du Qatar et du Maroc. Le dossier de corruption présumée au Parlement européen établit une « Maroc connection » entre Pier Antonio Panzeri et les services secrets du royaume.
Par Joël Matriche, Louis Colart et Kristof Clérix («Knack»)
Avant le Qatar, le Maroc. C’est parce que, dans une enquête initiée en 2021, elle soupçonnait des tentatives non seulement d’ingérence mais aussi de corruption au cœur de l’Europe par un pays tiers que la Sûreté de l’Etat a, le 12 juillet dernier, partagé ses craintes avec le parquet fédéral. Le juge Michel Claise fut saisi et l’enquête confiée à la police judiciaire fédérale et son Office central pour la répression de la corruption (OCRC). Même si le Qatar est pointé du doigt depuis le 9 décembre, suspecté d’avoir (ab)usé de son influence pour s’attirer les bonnes grâces des gardiens de la démocratie européenne, le Maroc est lui aussi sur la feuille de route des enquêteurs.
Sur base de documents judiciaires, de diverses sources et d’une enquête en sources ouvertes, Le Soir et Knack dévoilent de nouveaux éléments sur le rôle présumé du Maroc et de son service secret dans l’ingérence au Parlement européen (PE).
Dans le mandat d’arrêt européen émis le 9 décembre à l’encontre de l’épouse et de la fille de M. Panzeri, le juge explique ainsi qu’il suspecte M. Panzeri « d’intervenir politiquement auprès de membres du Parlement européen au profit du Qatar et du Maroc, et ce contre rémunération ». Sous réserve explicite et évidente de la présomption d’innocence, les autorités belges se réfèrent au résultat d’écoutes téléphoniques pour préciser que l’épouse et la fille de M. Panzeri auraient elles-mêmes participé au transport des « cadeaux » reçus de l’ambassadeur du Maroc en Pologne, Abderrahim Atmoun, un ami de M. Panzeri. Sollicités, ni M. Atmoun, ni l’ambassade du Maroc à Bruxelles n’ont donné suite.
Intense lobbying
L’intérêt du royaume chérifien pour M. Panzeri ne date pas d’hier, apparaît-il de documents confidentiels diffusés entre 2014 et 2015 par un hacker qui se faisait appeler Chris Coleman. Dans une note « urgente » d’octobre 2011 envoyée par la Mission marocaine auprès de l’Union européenne à Rabat, il est indiqué qu’« en marge de la session plénière du Parlement à Strasbourg », un représentant au moins de la Mission a eu un « entretien informel » avec le conseiller de M. Panzeri, porteur d’un message « à l’attention des autorités marocaines ».
L’objet de cette note est de préparer la visite que l’eurodéputé S&D Panzeri — alors président de la délégation Maghreb du PE — doit effectuer au Maroc deux semaines plus tard. Un délicat arrêt à Tindouf, où sont rassemblés plusieurs camps de réfugiés sahraouis, est prévu. Etape nécessaire pour préserver l’image de neutralité de l’eurodéputé : « La visite de Tindouf est indispensable pour conforter la crédibilité de M. Panzeri auprès de l’Algérie et du Polisario, après que celui-ci l’a accusé d’être pro-marocain ». Le Front polisario lutte pour l’indépendance du Sahara occidental.
En résumé, tout le monde est daccord, « il n’est pas dans l’intérêt du Maroc que M. Panzeri soit perçu comme tel (pro-marocain, NDLR). » Entretenant de bons rapports tant avec les Algériens que les Marocains, politicien accompli pouvant faire valoir « un agenda politique de longue haleine, mené (…) toujours avec tact et maîtrise », Antonio Panzeri, prévient la note diplomatique, « peut être un allié de poids ou un adversaire redoutable ».
Panzeri, « ami proche du Maroc »
Dans un autre câble, de janvier 2013 celui-là, la Mission auprès de l’UE soumet à son propre gouvernement une feuille de route pour promouvoir les « intérêts du Maroc au sein du Parlement européen en 2013 ». Organisation de débats et séminaires, de visites guidées… L’objet de ce plan de bataille est de « contrecarrer l’activisme croissant de nos adversaires au sein du PE ». Et, notamment, de garder un œil sur le rapport que l’eurodéputé britannique Charles Tannock, « connu pour ses positions pro-Polisario », doit rédiger sur la situation des droits de l’homme au Sahara occidental. Plusieurs stratégies sont au menu, mais la Mission entend bien « coordonner son action avec le président de la Délégation Maghreb au PE, M. Antonio Panzeri, ami proche du Maroc, afin de réduire le champ de nuisibilité que pourrait constituer le projet Tannock ».
Un pacte en 2019
Ce n’est néanmoins que plusieurs années après ces actions de lobbying que les uns et les autres auraient décidé de passer à la vitesse supérieure.
En 2019, plus précisément. Année où Pier Antonio Panzeri n’est pas réélu. Selon les aveux de son ex-assistant Francesco Giorgi devant la police fédérale belge puis devant le juge, l’ancien eurodéputé est dans une situation difficile. Panzeri aurait alors noué un pacte secret avec la DGED, les services de renseignement extérieurs du Maroc, par l’intermédiaire du diplomate Atmoun. Ils se rendent plusieurs fois à Rabat. Questionné sur ce point, Me Laurent Kennes, avocat de M. Panzeri, répond « ne pouvoir faire de commentaire compte tenu de la détention de son client ». Atmoun, l’homme clé de la filière marocaine, cité dans le document transmis à la justice italienne, recevrait quant à lui ses ordres d’un autre homme…
Une même organisation criminelle, utilisée pour des motifs différents par les Etats du Qatar et du Maroc. Le dossier de corruption présumée au Parlement européen établit une « Maroc connection » entre Pier Antonio Panzeri et les services secrets du royaume.
« Un type dangereux. » Cest en ces termes quun proche du dossier évoque Mohamed B. Un agent secret de la DGED. Ce fonctionnaire serait l’agent traitant du diplomate Abderrahim Atmoun. Depuis Rabat, Mohamed B. donnerait ses ordres.
Source : Le Soir, 16/12/2022
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