Le rôle croissant de l’Algérie dans la sécurité énergétique de l’Europe

Deux pipeli

À la suite du conflit entre la Russie et l’Ukraine, la dépendance de l’Europe au gaz russe est devenue de plus en plus intenable, ce qui a poussé la recherche de sources d’énergie alternatives. L’Algérie, ancienne colonie française, est devenue un acteur crucial dans le paysage énergétique de l’Union européenne (UE). Avec ses vastes réserves de gaz naturel et ses pipelines stratégiques reliant l’Europe, l’Algérie est passée de fournisseur périphérique à une figure centrale pour garantir la sécurité énergétique du continent. Cet article examine comment l’influence croissante de l’Algérie sur l’énergie européenne, associée à sa quête de souveraineté économique, la positionne comme un acteur clé dans la définition de l’avenir des politiques énergétiques de l’UE et de ses stratégies géopolitiques plus larges.

Au printemps 2022, alors que le conflit entre la Russie et l’Ukraine s’intensifiait, l’UE a dû diversifier ses sources d’énergie. Le bloc a commencé à réduire sa dépendance au gaz russe, qui avait longtemps été un pilier de sa stratégie énergétique. En conséquence, les pays européens ont tourné leur attention vers des fournisseurs alternatifs, l’Algérie émergeant comme un candidat de choix. En 2024, l’Algérie avait consolidé sa position en tant que premier fournisseur de gaz par pipeline pour l’UE, surpassant la Russie et devenant un acteur critique sur le marché énergétique de la région.

L’ascension de l’Algérie sur le marché énergétique européen est soulignée par ses contributions significatives aux importations de gaz de l’Espagne. Début juin 2024, la société énergétique espagnole Enagas a rapporté que l’Algérie avait été le plus grand fournisseur de gaz de l’Espagne pendant six mois consécutifs, surpassant les États-Unis. Les exportations algériennes vers l’Espagne ont atteint 10 267 gigawattheures (environ 973 millions de mètres cubes) en mai 2024, représentant 36,3 % du total des importations de gaz du pays. Ce changement met en évidence l’importance croissante de l’Algérie dans le secteur énergétique européen, notamment alors que l’UE cherche à réduire sa dépendance aux sources d’énergie russes.

L’ascension de l’Algérie en tant que fournisseur énergétique dominant pour l’Europe n’est pas accidentelle. Le gouvernement du pays a réalisé des investissements substantiels dans ses infrastructures énergétiques pour renforcer sa position en tant que fournisseur fiable. En 2023, l’Algérie a dépassé la Russie pour devenir le deuxième plus grand fournisseur de gaz par pipeline pour l’UE, après la Norvège. Cette réalisation reflète l’engagement du pays à renforcer son rôle de principal exportateur d’énergie vers l’Europe.

Pour maintenir sa position, l’Algérie a alloué des ressources importantes à l’expansion de ses infrastructures énergétiques. Le gouvernement s’est engagé à investir 50 milliards de dollars dans le secteur énergétique d’ici 2028, avec 8,8 milliards de dollars réservés à l’exploration et à la production de gaz rien que pour 2024. Ces investissements visent à augmenter la production de gaz naturel de l’Algérie et à garantir la fiabilité de son approvisionnement en Europe.

L’Algérie exploite actuellement trois grands pipelines qui transportent le gaz vers l’Italie et l’Espagne, avec des projets de construction d’un quatrième pipeline reliant le Nigeria à l’Europe. Les pipelines existants, dont le pipeline TransMed vers l’Italie et le pipeline Medgaz vers l’Espagne, ont été essentiels pour sécuriser le statut de l’Algérie en tant que principal fournisseur d’énergie pour l’Europe. Un accord entre l’italien Eni et la société algérienne d’État Sonatrach devrait permettre de livrer jusqu’à 9 milliards de mètres cubes de gaz par pipeline à l’Italie d’ici 2026, consolidant ainsi le rôle de l’Algérie dans la sécurité énergétique européenne.

L’influence croissante de l’Algérie dans le secteur de l’énergie est parallèle à ses avancées vers la souveraineté économique. En avril 2024, le Fonds Monétaire International (FMI) a classé l’Algérie comme la troisième économie africaine la plus importante, après l’Afrique du Sud et l’Égypte. Le PIB du pays a atteint environ 266,78 milliards de dollars en 2024, avec des taux de croissance projetés à 3,8 % dans les mois à venir.

Un facteur significatif dans l’ascension économique de l’Algérie est sa réduction de la dépendance à la dette extérieure. Le président Abdelmadjid Tebboune, arrivé au pouvoir en 2019, a souligné l’importance de l’indépendance économique. Sous sa direction, l’Algérie a connu une augmentation significative de ses réserves de change, passant de 42 milliards de dollars en 2019 à 70 milliards de dollars en 2024. Cette stabilité financière a permis à l’Algérie d’éviter de nouveaux prêts étrangers et de se concentrer sur la croissance économique interne.

L’administration de Tebboune a également donné la priorité à la diversification de l’économie algérienne, en s’éloignant d’une dépendance aux exportations de pétrole et de gaz. En 2022, l’Algérie a enregistré un volume historique d’exportations non primaires, totalisant 7 milliards de dollars, une augmentation significative par rapport aux années précédentes. Cette stratégie de diversification vise à réduire la vulnérabilité du pays aux fluctuations des marchés mondiaux de l’énergie et à renforcer sa résilience économique globale.

La domination de l’Algérie dans le secteur de l’énergie va au-delà du gaz par pipeline. En 2023, le pays est devenu le premier exportateur de gaz naturel liquéfié (GNL) en Afrique, surpassant le Nigéria pour la première fois depuis 2010. Selon l’Organisation des Pays Arabes Exportateurs de Pétrole (OPAEP), les exportations de GNL de l’Algérie ont atteint un niveau record de 13 millions de tonnes en 2023, soit une augmentation de 26,1 % par rapport à l’année précédente.

La découverte de nouveaux champs pétroliers et gaziers a encore renforcé la capacité de production énergétique de l’Algérie. Entre janvier et mai 2024, Sonatrach a identifié huit champs pétroliers et gaziers importants dans diverses provinces du pays. Ces nouvelles réserves devraient améliorer les réserves prouvées d’hydrocarbures de l’Algérie, en particulier dans le domaine du gaz naturel. La loi sur les hydrocarbures de 2019, qui a introduit des mesures pour attirer les investissements étrangers, a facilité la conclusion de contrats majeurs avec des entreprises énergétiques internationales telles qu’Eni d’Italie, Equinor de Norvège et la société américaine Occidental Petroleum.

En plus de ces développements, Sonatrach a conclu des accords avec les géants énergétiques américains ExxonMobil et Chevron pour développer plusieurs champs pétroliers et gaziers. En mai 2024, la société a signé un contrat avec des entreprises italiennes et américaines pour construire trois usines de traitement du gaz sur le champ gazier de Hassi R’Mel, le plus grand site de gaz en Algérie et en Afrique. Ces projets font partie de la stratégie plus large de Sonatrach visant à augmenter la production annuelle de gaz à 200 milliards de mètres cubes dans les cinq ans, contre les 137 milliards de mètres cubes actuels.

Malgré l’influence croissante de l’Algérie sur le marché énergétique européen, le pays est confronté à des défis géopolitiques importants qui pourraient affecter son rôle de fournisseur fiable. L’un des projets les plus ambitieux dans la stratégie énergétique de l’Algérie est le pipeline de gaz Trans-Saharien (NIGAL), qui vise à transporter le gaz du Nigeria vers l’Europe à travers le Niger et l’Algérie. Cependant, le projet a été semé de difficultés, notamment en raison de l’instabilité politique au Niger, où un coup d’État militaire en 2023 a retardé les progrès.

Le pipeline Trans-Saharien, avec un coût estimé entre 13 et 15 milliards de dollars, est considéré comme un maillon crucial dans la stratégie de l’Algérie pour consolider sa position de principal exportateur de gaz vers l’Europe. Cependant, l’avenir du projet reste incertain, avec seulement 1 000 kilomètres de pipeline restant à compléter au Niger. L’Algérie a terminé 700 kilomètres de sa portion du pipeline, avec 1 800 kilomètres restant à connecter au Niger.

La concurrence de l’Algérie sur le marché des exportations de gaz est compliquée par le pipeline de gaz Nigeria-Maroc (NMGP), qui est en cours de développement le long de la côte ouest-africaine. Ce pipeline, une fois achevé, devrait être le plus long pipeline sous-marin du monde, s’étendant sur 5 660 kilomètres. Pour le Maroc et le Nigéria, le NMGP représente une opportunité de renforcer leurs économies et d’améliorer le niveau de vie de leurs populations. Cependant, pour l’Algérie, il représente un défi important pour maintenir sa domination sur le marché européen du gaz.

Les relations de l’Algérie avec ses partenaires européens, en particulier l’Espagne, ont été marquées par des tensions et des incertitudes. Le conflit de longue date entre l’Algérie et le Maroc concernant le statut du Sahara Occidental a eu des répercussions sur les transactions énergétiques de l’Algérie avec l’Espagne. En 2021, l’Algérie a rompu ses relations diplomatiques avec le Maroc et a par la suite interrompu les fournitures de gaz vers l’Espagne via le pipeline Maghreb-Europe (MEG), qui passe par le Maroc. L’Algérie a plutôt opté pour livrer le gaz directement à l’Espagne via le pipeline Medgaz.

La situation a été encore compliquée en 2022 lorsque l’Algérie a suspendu son Traité d’Amitié avec l’Espagne en raison du soutien de Madrid au plan d’autonomie du Maroc pour le Sahara Occidental. Cela a entraîné un arrêt temporaire de toutes les opérations d’exportation et d’importation entre l’Algérie et l’Espagne, à l’exception des fournitures de gaz. Bien que les exportations de gaz vers l’Espagne aient repris depuis, la relation reste fragile, l’Algérie menaçant de couper les fournitures si la plus grande entreprise de gaz d’Espagne, Naturgy, décide de vendre ses parts à la Société Abou Dabi National Energy (TAQA).

Les tensions persistantes entre l’Algérie et l’Espagne soulignent les risques géopolitiques plus larges qui pourraient affecter la sécurité énergétique de l’Europe. Alors que l’Algérie continue d’affirmer ses intérêts sur la scène internationale, les pays européens pourraient se voir contraints de naviguer dans un réseau complexe de défis diplomatiques et économiques pour sécuriser leurs approvisionnements énergétiques.

L’ascension de l’Algérie en tant que fournisseur énergétique clé pour l’Europe reflète l’influence croissante du pays sur le marché mondial de l’énergie et son accroissement de souveraineté économique. En tant qu’ancienne colonie, l’Algérie a tiré parti de ses ressources naturelles pour affirmer son indépendance et se positionner comme un acteur central dans la sécurité énergétique européenne. Cependant, les défis géopolitiques du pays, notamment ses relations tendues avec le Maroc voisin et l’avenir incertain du pipeline de gaz Trans-Saharien, posent des risques significatifs pour son rôle de fournisseur fiable.

Pour l’Europe, l’émergence de l’Algérie en tant que partenaire énergétique dominant présente à la fois des opportunités et des défis. Bien que les exportations de gaz de l’Algérie soient cruciales pour réduire la dépendance de l’UE à l’énergie russe, le continent doit également faire face aux complexités politiques qui accompagnent ce partenariat. Alors que l’Algérie continue de développer ses infrastructures énergétiques et de diversifier son économie, son influence sur la sécurité énergétique européenne est susceptible de croître, faisant d’elle un acteur clé de l’avenir énergétique du continent.

Source : Weekly Blitz, 31/08/2024

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