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Laurence Aïda Ammour
Au cours des deux dernières années, la discrétion et l’inaction diplomatique d’Alger dans les affaires régionales ont irrité le gouvernement malien et ont été fortement remises en question par ses partenaires sahéliens. Depuis que le Sahel est traditionnellement le domaine de l’Algérie, le pays a participé à toutes les négociations sur la question du Nord au Mali depuis les années 1990. Cependant, ces dernières années, l’influence de l’Algérie s’est progressivement détériorée dans la région, à la suite d’une décennie de dissensions entre le gouvernement algérien et l’ancien président malien Amadou Toumani Touré (ATT).
ATT a accusé le président algérien de ne pas avoir réussi à maintenir le contrôle de ses services de renseignement, que le Mali a affirmé agir de manière indépendante au Sahel et alimenter les tensions régionales. Les gouvernements sahéliens soupçonnaient également que l’Algérie cherchait à dominer ses voisins en affirmant son contrôle sur les opérations de lutte contre le terrorisme et les routes de contrebande lucratives.
En 2013, la CEDEAO, la France et les pays sahéliens ont remis en question les contributions de l’Algérie à un processus de négociation avec les groupes armés. En particulier depuis que le chef d’Ansar al-Dine, Iyad Ag Ghali, est bien connu en Algérie et travaille en étroite collaboration avec les services de renseignement algériens (DRS).
Mais en mai de cette année, les gouvernements malien et français étaient en faveur d’une médiation algérienne du dialogue inter-malien. Le ministre français de la Défense a visité Alger pour discuter du rôle de l’Algérie dans la résolution de la crise du Nord-Mali avec le président algérien Abdelaziz Bouteflika. La France avait dépensé une somme énorme pour l’opération Serval et voulait impliquer les partenaires régionaux. La France a également bénéficié de la collaboration de l’Algérie lors de son offensive contre les groupes islamistes armés dans l’Adrar des Ifoghas, dans la région de Kidal au Mali, et récemment, lorsque neuf terroristes traqués par les troupes françaises ont été arrêtés et tués par les forces de sécurité algériennes près de Tinzaouatine (Tamanrasset) en mai 2014.
La nouvelle position du Mali sur le rôle inévitable de l’Algérie dans sa crise interne a été établie lors de la visite du président malien Ibrahim Boubakar Keita à Alger en janvier 2014, et réaffirmée lors de la 2e session du comité stratégique bilatéral algéro-malien en avril 2014 (qui comprend également le Niger, le Burkina Faso et le Tchad). La demande du Mali est enracinée dans le fait que Kidal reste hors du contrôle du pouvoir central, et a toujours été une zone d’influence de l’Algérie, avec toute l’économie de la région encore dépendante des échanges commerciaux avec l’Algérie. Selon le ministre des Affaires étrangères du Mali, Abdoulaye Diop, « l’Algérie représente un partenaire important pour le développement du Mali ».
De plus, l’Algérie est bien consciente que toute nouvelle révolte dans le nord du Mali pourrait déstabiliser le sud du pays, où de nombreux réfugiés touaregs maliens vivent ou se sont installés de façon permanente. C’est pourquoi l’attitude de plus en plus proactive de l’Algérie dans la région est dictée par des circonstances tactiques et des intérêts géopolitiques. Il semble donc qu’une nouvelle ère diplomatique s’ouvre pour l’Algérie, imposée par divers facteurs internes et externes convergents et les développements récents dans les pays voisins d’Afrique du Nord. Les plus importants de ces facteurs sont:
Le remaniement ministériel après la réélection du président algérien Bouteflika en avril dernier, qui a été controversé en raison de la santé fragile de Bouteflika. Le remaniement a abouti à la nomination d’un nouveau ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, un diplomate de carrière et ancien ambassadeur à Washington, le 11 septembre 2013. Lamamra, qui a une solide expérience des affaires africaines, a rapidement plaidé pour une solution négociée au Mali, tout en maintenant de bonnes relations avec les États-Unis et la puissance interventionniste française.
L’aggravation de la sécurité dans la région, principalement en Libye voisine, où le général Khalifa Haftar a lancé une offensive armée contre les milices islamistes en mai, et où la Chambre des représentants élue (HoR), basée à Tobrouk, soutient les frappes militaires de Haftar sur Benghazi. La chute de Mouammar Kadhafi en 2011 a non seulement déstabilisé le gouvernement algérien mais a également affaibli son contrôle lorsque le groupe dissident d’Al-Qaïda au Maghreb islamique a attaqué l’installation gazière d’In Amenas près de la frontière libyenne en janvier 2013. De plus, l’échec de la politique saharienne du pays est devenu flagrant lorsque sept diplomates algériens ont été enlevés à Gao en avril 2012.
Les alliances potentielles avec deux acteurs, le général libyen Khalifa Haftar et le nouveau président égyptien élu Abdel Fatah Al Sissi, qui pourraient annoncer un nouvel axe de pouvoir en Afrique du Nord, favorable à l’Algérie. Sissi, qui a effectué son premier voyage à l’étranger à Alger en juin, a appelé l’Algérie à faire un effort coordonné pour combattre le militantisme islamiste. L’Algérie envisage toujours une coopération avec l’Égypte pour affronter la menace libyenne, via le Comité supérieur mixte algéro-égyptien qui s’est réuni en juin pour la première fois en cinq ans. Il ne fait aucun doute que toute convergence algéro-égyptienne, complétée par l’accord opérationnel de sécurité existant et la coopération entre l’Algérie et la Tunisie, aurait été un facteur clé de sécurité au Maghreb.
Cependant, l’Égypte s’éloigne peu à peu de la position d’Alger et joue son propre jeu en livrant des armes au général Haftar le mois dernier, et en accueillant un certain nombre de hauts gradés libyens et Abdallah al-Thinni au Caire pour discuter d’une aide militaire intensifiée. De plus, en août, le soutien de l’Égypte aux frappes aériennes des Émirats arabes unis contre les milices de Misrata à Tripoli a compliqué les alliances internes et alimenté le conflit. Al Sissi ignore l’initiative algérienne sur la Libye puisqu’il n’a pas été invité à en faire partie. L’Algérie attendait en effet de voir si Haftar pouvait être un élément de stabilité ou un facteur de déstabilisation, même si Haftar accueillerait favorablement une frappe militaire algérienne en Libye.
La pression exercée sur Bamako par la France pour entamer des négociations avec les groupes rebelles du Nord après un an d’inaction. Premièrement, la France, dont les troupes ont repoussé une poussée islamiste vers le centre du pays et dont l’argent est crucial pour la reconstruction, a été stricte quant au respect du calendrier électoral.
Deuxièmement, l’élection présidentielle visait à lancer rapidement les processus de réconciliation nationale et de dialogue. Troisièmement, en février, les États-Unis et la France ont convenu de développer un partenariat étroit pour lutter contre le terrorisme en Afrique, également dans le but de stabiliser le Mali. Plus récemment, la France a décidé de redéployer 3 000 soldats pour combattre les militants à travers la région du Sahel en Afrique, après une nouvelle flambée de violence dans le nord du Mali, où des affrontements meurtriers ont éclaté en mai entre les troupes gouvernementales maliennes et les séparatistes touaregs du MNLA. La détérioration des relations intercommunautaires entre le Nord et le Sud et au sein même de la région de l’Azawad est une grande préoccupation dans les discussions entre Alger et le Mali, comme en témoignent les récentes discussions auxquelles l’auteur a participé à Bamako en juillet, qui ont insisté sur un processus de réconciliation urgent incluant toutes les communautés locales (pas seulement les Touaregs mais aussi les Arabes, les Songhaïs, les Bellahs, les Imghads, etc.) qui ont toutes des revendications légitimes en matière de sécurité et d’économie.
Enfin, l’évasion de 15 détenus islamistes présumés de la prison principale de Bamako en juin dernier, avec la complicité présumée d’islamistes armés du Nord, et plusieurs récentes arrestations de djihadistes dans le nord du Mali et le long des frontières algérienne et nigérienne montrent que certaines katibas sont encore actives dans le pays et que certaines d’entre elles sont capables de frapper la capitale.
Malgré la réticence de certains groupes rebelles à accepter sa médiation, l’Algérie a entamé des discussions et des négociations à Alger en janvier 2014, qui se poursuivront jusqu’à l’automne. Ce qui peut être considéré comme une nouveauté dans la diplomatie algérienne, c’est la manière dont les négociations sont menées : outre les groupes rebelles (MNLA, HCUA, CPA), elles impliquent différents acteurs régionaux, y compris des ministres des pays voisins, la CEDEAO, l’Union africaine, l’Union européenne et la MINUSMA, ce qui n’était pas le cas lors des précédents efforts de médiation privés. Pour l’Algérie, qui tient à utiliser les pourparlers inter-maliens comme modèle dans le processus de dialogue national et de réconciliation en Libye, la crise malienne pourrait être le premier véritable test pour sa nouvelle diplomatie régionale.
En Libye, le défi pour l’Algérie sera de l’emporter sur les acteurs extérieurs qui alimentent le conflit pour qu’ils cessent d’interférer dans les affaires libyennes. Parmi eux, l’ingérence croissante de l’Égypte qui pourrait avoir des conséquences imprévues.
Enfin, le revers représenté par l’invalidation par la Cour suprême libyenne de la légalité de la Chambre des représentants (HoR) non seulement plongera probablement le pays plus profondément dans la crise, mais compliquera le projet algérien d’engager tous les acteurs libyens dans un dialogue politique pacifique et inclusif.
Laurence Aïda Ammour
18 novembre 2014
Source : The Broker, 05/03/2015
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