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Selon Ali Lmrabet, bien que la France ait récemment montré sa volonté de renforcer ses liens avec le Maroc, la guerre d’espionnage entre les deux pays continue de faire rage.
Qui est derrière la publication de milliers de documents confidentiels marocains, dont beaucoup sont aujourd’hui mis en lumière dans la presse internationale pour étayer les accusations de corruption contre d’actuels et anciens députés européens au cœur du Qatargate et du Marocgate?, s’interroge le journaliste marocain Ali Lmrabet dans un article détaillé paru sur le site Politics Today.
Soulignant qu’il s’agit d’une « affaire mystérieuse », Lmrabet rappelle qu’en 2014, un « hacker » du nom de Chris Coleman a publié sur Twitter et sur divers réseaux sociaux des milliers de documents, dont beaucoup classés « confidentiels » ou « secrets », ainsi qu’une masse énorme de correspondances, de courriels et d’archives de toutes sortes exposant avec détails le fonctionnement de la DGED (Direction générale des études et de la documentation, le service marocain de renseignement extérieur) et du ministère marocain des Affaires étrangères.
Il y avait de tout : des rapports sur tout et sur tous, des études, des correspondances, des demandes d’instructions, et surtout les noms des collaborateurs réguliers de la DGED. Pas les habituels mouchards de la police, mais des personnalités de la société, marocaines et étrangères, journalistes, politiques, experts, hauts fonctionnaires, membres de la société civile, etc. Des listes de cadeaux et de sommes d’argent généreuses versées à certains politiques, ont clôturé cet incroyable inventaire.
Par exemple, les noms de Pier Antonio Panzeri, l’ancien député européen italien, et de son assistant Francesco Giorgi, tous deux actuellement emprisonnés à Bruxelles pour l’affaire du Qatar Gate et du Morocco Gate, apparaissaient dans ces documents sans que personne n’y prête attention.
Un autre exemple est celui de Fight Impunity, l’association créée par Panzeri à Bruxelles, et qui se trouve aujourd’hui au centre du scandale, dont l’idée a été révélée par l’ancien ambassadeur du Maroc auprès de l’Union européenne, Menouar Alem, dans un rapport confidentiel envoyé au ministère marocain des Affaires étrangères en 2012.
A l’époque, en 2014, certains avaient rapidement accusé « Chris Coleman » d’être un faussaire et s’étaient moqués de ce « Marocleaks », avant de se rétracter. L’Etat marocain n’avait à aucun moment mis en doute l’authenticité de cette immense documentation tandis que certains médias accusaient l’Algérie voisine d’être à l’origine de cette énorme fuite.
Mais qui est ce « Chris Coleman » ? Qui se cache derrière ce génie de l’informatique qui a réussi à pomper près de cinq gigaoctets, et sûrement plus, de données des serveurs de la DGED et de la diplomatie marocaine pour les disperser sur la toile ? C’est une question qui a été posée mille fois. Certains ont affirmé qu’il s’agissait bien d’un « hacker », d’autres l’ont présenté comme un ex-patron de la DGED en rupture avec sa direction, et il y a même ceux qui y ont vu la main d’un autre service secret marocain pour discréditer la DGED, dirigée depuis 2005 par Mohamed Yassine Mansouri, un ami du roi Mohamed VI. Bref, une guerre de services.
Il y a toujours eu beaucoup d’imagination dans le monde des espions. Dans ce cas, la vérité est simple si l’on examine attentivement les hauts et les bas des relations entre le Maroc et certains pays considérés comme des « alliés ».
Celui qui a choisi le nom de « Chris Coleman », du nom de l’ancien footballeur international gallois, est apparemment un fan de foot, mais il n’est pas un hacker caché quelque part dans un bureau miteux entouré d’écrans d’ordinateurs. Et l’Algérie, détestée par certains Marocains, n’est absolument pas impliquée dans cette affaire, comme certains ont tenté de l’accréditer.
Selon Ali Lmrabet, la structure – étatique – qui se cache derrière « Chris Coleman » et qui a mis en évidence le contre-espionnage et la diplomatie marocains est probablement la DGSE française (Direction générale de la Sécurité extérieure).
Ce qui suit, afirme-t-il, est le résultat de plusieurs semaines d’enquête et de recoupements qui révèlent qu’une guerre souterraine et très hostile se déroule depuis une décennie, ou peut-être plus, entre la DGSE française et la DGED marocaine.
Tout a commencé le 24 mai 2014, avec un article paru sur le site marocain le360 . L’article intitulé « Convocation de l’ambassadeur de France : nouvelles révélations » a été rédigé par Mohamed Chakir Alaoui, ancien collaborateur du bureau de l’Agence France-Presse (AFP) à Rabat.
Alaoui n’était pas connu dans le monde journalistique marocain, n’ayant jamais révélé d’affaire sensible. Mais ce jour-là, il lâche une information qui va mettre le monde en feu. « Agnès Féline, écrit-il, la « deuxième secrétaire à l’ambassade de France » est la « cheffe de l’antenne de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) au Maroc ».
Cette révélation a surpris l’ambassade de France à Rabat et, par extension, la direction parisienne de la DGSE. Diplomates et espions français se sont demandés comment un journaliste qui n’était pas un expert du monde obscur du renseignement pouvait savoir que Féline était bien la « cheffe de l’antenne de la DGSE à Rabat ». En même temps, révéler la véritable fonction de Féline équivalait à la mettre en grave danger.
Le centre de renseignement français est rapidement arrivé à la conclusion que l’information avait été dictée à Alaoui par les services de renseignement marocains, les seuls à connaître le véritable statut de Féline.
Mais pourquoi le site le360 a-t-il révélé la véritable fonction d’un espion français ? Les services de renseignement marocains cherchaient à se venger d’une terrible humiliation subie quelques mois plus tôt par le patron de la DST (Direction générale de la sécurité du territoire). En février 2014, la police française cherchait à arrêter le directeur général de la DST, Abdellatif Hammouchi, à la résidence de l’ambassadeur du Maroc en France à Neuilly-sur-Seine. Un juge souhaitait entendre le chef des espions marocains après des plaintes pour torture au Maroc déposées par plusieurs citoyens français, dont l’ancien champion du monde de kick-boxing Zakaria Moumni. Hammouchi avait dû quitter la France en toute hâte, sans passer par les aéroports parisiens. Une grande humiliation pour le chef des services secrets marocains.
La révélation par le360 de l’identité du patron de la DGSE à Rabat était donc un acte de représailles. Féline devait être exfiltrée du Maroc en 48 heures et la DGSE lui a depuis attribué une nouvelle identité.
Dans le monde du renseignement, on ne brûle pas un agent en livrant son nom à la presse. Surtout s’il s’agit d’un responsable d’un Etat ami et allié du Maroc, précise Lmrabet.
La vengeance est traditionnellement un plat qui se mange froid, mais ici, les espions français n’ont pas attendu longtemps pour réagir.
Cinq mois plus tard, en octobre 2014, le mystérieux hacker apparaît sur Twitter. Et le grand déballage commence. Les tweets sont souvent rédigés en français, mais aussi dans d’autres langues. Parfois même en arabe ou en portugais. Ce qui prouve que les espions français devaient s’amuser, surtout quand « Chris Coleman » prend un malin plaisir à se faire passer pour un défenseur du Front Polisario, le mouvement indépendantiste sahraoui en guerre avec le Maroc au Sahara occidental.
Les efforts pour suspendre le compte qui révélait des secrets d’État marocains n’ont que peu d’effet. Il réapparaîtra aussitôt ou quelques semaines plus tard sous un autre nom et passera d’un réseau social à l’autre avant de disparaître un beau jour, laissant son précieux trésor enfoui dans un coin du vaste réseau.
D’après ce que l’on a appris depuis, la décision de « punir » la DGED a été prise au plus haut niveau de l’Etat français. Le projet de représailles a été décidé par la direction de la DGSE, qui l’a soumis à son ministre de tutelle de l’époque, le chef du portefeuille de la Défense, Jean-Yves Le Drian, qui l’a communiqué au Premier ministre Manuel Valls avant que ce dernier n’obtienne le feu vert définitif du président de la République de l’époque, François Hollande.
Un fin connaisseur des relations franco-marocaines a obtenu confirmation de cet incident il y a quelques années auprès des plus hautes autorités de l’Etat français. Il faut dire que les services de renseignements marocains ont toujours su qui se cachait derrière « Chris Coleman ». Lorsque, il y a quelques semaines, Bernard Bajolet a été inculpé en France pour « complicité de tentative d’extorsion » et « atteinte arbitraire à la liberté individuelle par personne ayant autorité » dans une obscure affaire d’escroquerie de fonds, la presse marocaine s’est étrangement emparée à grand bruit de cette affaire, pourtant sans rapport avec le Maroc.
Bajolet a été directeur général de la DGSE entre 2013 et 2017. En 2018, dans l’ouvrage intitulé Le soleil ne se lève plus à l’est. Mémoires d’Orient d’un ambassadeur peu diplomate publié aux éditions Plon, il affirmait qu’Abdellatif Hammouchi, qui avait fui la France en 2014, ne méritait pas la Légion d’honneur, la plus haute décoration française, que lui avait décernée Hollande.
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