Selon la CIA : Le Sahara Occidental est devenue une obsession au Maroc (document déclassifié)

Au Maroc, des défis internes potentiellement graves pourraient ouvrir la voie à une nouvelle tentative de coup d'État par l'armée.

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Une analyse du bureau de renseignement et de recherche déclassifiée en 2012. Elle conclue citant des risques militaires qui « pourraient finalement être pris pour faire payer à l’Algérie ses « jeux traîtres » au Sahara ». Une conclusion qui s’impose maintenant que le Maroc s’est assuré le contrôle de l’entièreté du territoire sahraoui grâce aux drones militaires.

Texte intégral du document:

CIA : La perspective marocaine sur le Sahara Occidental (rapport du 12 décembre 1977)
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La direction marocaine considère l’annexion de la partie du Sahara anciennement espagnol par le Maroc comme une question de vital intérêt national. Cette annexion, soutenue par tous les segments de la population du pays, repose sur une base historique et religieuse profonde avec des implications fondamentales pour la stabilité politique du régime. Elle est également directement liée à la capacité du Maroc à faire face à son principal concurrent géopolitique, l’Algérie. Par conséquent, il est inconcevable pour le Roi Hassan de reculer sur la question de la souveraineté du Maroc sur son territoire saharien. S’il devait le faire, il risquerait une perte de légitimité.

Les revendications du Maroc sur le Sahara Occidental

Pour comprendre la force de la fixation du Maroc sur le Sahara Occidental, il est important d’examiner la situation de ce territoire du point de vue marocain, en particulier au regard du dossier juridique formulé contre la manière dont le Maroc et la Mauritanie ont annexé le territoire. Interpréter la politique marocaine comme une saisie de territoire motivée par le besoin d’assurer la domination du Maroc sur le marché international des phosphates est inexact. Au contraire, la revendication du Maroc s’enracine profondément dans l’histoire de la nation.

Avant la période coloniale, les souverains marocains exerçaient divers degrés de contrôle sur une grande partie du nord-ouest de l’Afrique. Du Xe au XVIIe siècle, l’influence marocaine a pénétré le Sahara Occidental, la Mauritanie, le sud-ouest de l’Algérie et même le Mali. Depuis l’indépendance, le Maroc a soutenu, avec une certaine validité, qu’au cours de la période coloniale, il avait été dépouillé de vastes étendues de son patrimoine légitime. Ce n’est qu’en 1970 que Rabat a abandonné ses revendications sur la totalité de la Mauritanie et en 1972 qu’il a négocié un traité (non encore ratifié) avec l’Algérie définissant la frontière sud-est du Maroc avec ce pays. Malgré la résurgence occasionnelle du sentiment irrédentiste pour un « Grand Maroc », une majorité de Marocains ont accepté la perte de la majeure partie du territoire précolonial du Maroc comme un fait accompli. Le Sahara Occidental, cependant, est l’exception notable : depuis le début des années 1970, un courant puissant d’irrédentisme s’est concentré sur l’ancien Sahara espagnol, considéré par le Maroc comme sa dernière chance de récupérer une partie de son territoire « spolié ».

La revendication du Maroc sur le Sahara ne repose pas sur une définition occidentale de la souveraineté. (Un avis consultatif d’octobre 1975 de la Cour internationale de justice a déterminé que les liens de loyauté entre les diverses tribus de la région et le Maroc et la Mauritanie au moment de la colonisation espagnole en 1885 étaient insuffisants pour établir la souveraineté territoriale.) Au contraire, les revendications du Maroc sont de nature historique et culturelle, profondément ancrées dans les concepts islamiques de loyauté jurée envers le souverain et sont liées au contrôle fluctuant du Maroc sur la région avant la colonisation.

Les concepts plus modernes de nationalisme et d’ « honneur » national ont renforcé ces revendications historiques. En conséquence, pratiquement tous les segments de la population marocaine, moderne et traditionnel, ont soutenu de manière écrasante la justesse de la politique saharienne du Maroc.

La question du Sahara Occidental a également eu des implications profondes pour la stabilité politique marocaine. La campagne pour récupérer les provinces « spoliées » a commencé dans un Maroc profondément divisé, incertain de la direction du Roi Hassan. En prenant les devants dans la quête du Sahara, le Roi a désamorcé l’opposition sur cette question et a intégré les opposants dans les services du gouvernement. Les dirigeants de tous les partis – du nationaliste traditionnel Istiqlal aux communistes (le Parti de l’Unité et du Progrès) – ont parcouru le monde pour solliciter le soutien aux revendications marocaines. Le vieux sentiment de malaise, qui avait caractérisé la politique marocaine depuis le milieu des années 1960, a disparu alors que le pays semblait retrouver un sens de but national, comme en témoigne la mobilisation lors de la Marche Verte de novembre 1975. Le soutien national à la politique saharienne du Roi est resté remarquablement élevé malgré les lourds coûts et le nombre croissant de pertes militaires.

La question du Sahara est donc perçue par la direction marocaine comme cruciale du point de vue politique intérieur. Si Hassan tentait de reculer sur les revendications sahariennes du Maroc, il ferait face à une perte de légitimité. Des défis internes potentiellement graves pourraient ouvrir la voie à une nouvelle tentative de coup d’État par les militaires. Bien qu’il soit impossible de prédire si cela coûterait le trône au Roi Hassan, la tension résultante pourrait entraîner la fin de la libéralisation politique du Maroc et de son expérience prometteuse en démocratie.

Enjeux géopolitiques au Sahara : Maroc vs. Algérie

La question du Sahara est également devenue un élément vital dans la compétition géopolitique du Maroc avec l’Algérie. Le président Boumediene, qui avait apparemment acquiescé à tout accord marocain et mauritanien sur le Sahara Occidental lors du sommet arabe tenu à Rabat en 1974, a réévalué la position de l’Algérie en 1975. Suite à la prise de contrôle du Sahara par le Maroc et la Mauritanie, l’Algérie s’est retournée contre ses voisins et mène depuis une guerre par procuration efficace, utilisant le mouvement nationaliste saharien comme un outil de sa politique.

Aspirations algériennes

Bien que la raison apparente de l’Algérie pour soutenir le Polisario soit le principe de l’autodétermination, sa compétition historique avec le Maroc pour la prédominance en Afrique du Nord-Ouest est sa principale motivation. L’objectif de l’Algérie dans le conflit est l’établissement d’une république saharienne indépendante, dans laquelle elle s’attend à avoir une influence prédominante. Cela priverait le Maroc des ressources économiques significatives du territoire et freinerait les efforts marocains pour limiter l’accès futur de l’Algérie à l’Atlantique. Boumediene, en résumé, s’oppose à l’assimilation du Sahara Occidental par le Maroc car cela contredirait les aspirations de l’Algérie à la domination en Afrique du Nord.

Perceptions stratégiques marocaines

Le Sahara est perçu par les Marocains comme étant stratégiquement crucial. La création d’un État marionnette algérien dans le Sahara et le renversement du régime pro-marocain en Mauritanie seraient, du point de vue marocain, un déséquilibre permanent du pouvoir en Afrique du Nord en faveur de l’Algérie. Cela menacerait également, selon les Marocains, l’existence de leur régime. En termes plus spécifiques, les Marocains estiment qu’ils ne peuvent pas se permettre d’abandonner leurs revendications sahariennes pour les raisons suivantes :

  • La création d’un mini-État dominé par l’Algérie mettrait le Maroc dans une situation difficile, le coupant de son allié mauritanien et du reste de l’Afrique.
  • Une république saharienne radicale servirait de base subversive pour des groupes révolutionnaires marocains, dont certains ont peut-être déjà établi des liens avec le Front Polisario.
  • La perte du Sahara coûterait au Maroc la vaste richesse phosphatière de la région, le principal moyen sur le long terme de suivre le rythme des revenus en gaz naturel de l’Algérie.

La lutte entre le Maroc et l’Algérie a de fortes connotations idéologiques. Les déclarations des dirigeants marocains ont vu la confrontation comme une compétition entre deux systèmes politiques largement divergents : la forme de gouvernement marocaine ouverte, pluraliste et modérée contre le régime « répressif », radical et autoritaire en Algérie. Les Marocains voient également la lutte dans le contexte des tentatives continues de radicaliser le continent africain par Cuba, la Libye et l’Algérie, tous armés par l’Union soviétique. L’engagement du Maroc à résister à cette radicalisation va au-delà de la rhétorique, comme en témoigne son intervention en faveur du Zaïre. Bien que les allégations marocaines de grands projets soviétiques en Afrique puissent être exagérées pour le bénéfice des États-Unis, les dirigeants marocains perçoivent la radicalisation en cours, comme le montre la politique saharienne de l’Algérie, comme une menace pour le Maroc et tous les régimes modérés du continent.

Perspectives pour la politique saharienne du Maroc

Le Maroc ne renoncera pas à ses revendications de souveraineté sur le Sahara Occidental. La combinaison des facteurs notés ci-dessus – la « justesse » des revendications historiques/religieuses du Maroc sur la région, les implications négatives pour la politique intérieure, et la compétition géopolitique du Maroc avec l’Algérie – a fait de la question du Sahara un intérêt national vital, presque devenu une obsession nationale. Le Maroc, par conséquent, est très peu probable de convenir d’une formule de règlement qui compromettrait ses revendications de souveraineté sur le Sahara, bien qu’il soit probable qu’il fasse preuve de flexibilité concernant d’autres aspects d’un règlement possible (exploitation conjointe des ressources du Sahara, accès garanti à l’Atlantique pour l’Algérie, amnistie pour les guérilleros du Polisario, etc.).

Le Maroc est pleinement préparé à ignorer les pressions diplomatiques et politiques de la communauté internationale appelant à l’autodétermination saharienne. Le Maroc est également prêt à résister aux pressions américaines pour un règlement qui risquerait de compromettre la souveraineté marocaine sur le Sahara. À court terme (18 mois environ), la direction marocaine adoptera probablement la stratégie suivante :

  • Elle ordonnera à l’armée marocaine de maintenir ses positions dans le Sahara, acceptant des pertes continues si nécessaire.
  • Elle soutiendra la Mauritanie autant que possible, y compris en envoyant des unités militaires supplémentaires et en encourageant un rôle français plus actif dans la défense de son allié.
  • Elle continuera et, chaque fois que possible, accélérera son programme de modernisation des armements.

La coopération continue de la France et le soutien financier saoudien, qui semblent assurés, sont nécessaires pour le succès des plans à court terme du Maroc.

À plus long terme, on ne peut pas écarter une posture militaire marocaine plus agressive vis-à-vis de l’Algérie – ce que l’infériorité décidée du Maroc en matériel militaire a jusqu’à présent empêché. Bien qu’il semble peu probable que le Maroc initie une guerre à grande échelle contre l’Algérie (ce qui compromettrait le soutien arabe fort que le Maroc s’efforce de maintenir), les pressions sur la direction marocaine pour une forme d’opération punitive contre le Polisario sur le territoire algérien croîtront, surtout si les pertes militaires au Sahara continuent à leur rythme actuel élevé. Bien qu’il soit improbable que le Maroc « gagne » une guerre contre l’Algérie, l’état d’esprit au Maroc est tel que des risques militaires pourraient éventuellement être pris pour faire payer à l’Algérie ses « jeux traîtres » dans le Sahara.

Source : Archives de la CIA

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