Ni paix, ni guerre: la difficile résolution des «conflits gelés»

Le conflit chypriote dure depuis cinquante ans, celui du Sahara occidental aussi

Etiquettes : Chypre, Sahara Occidental, Maroc, Cachemire, Ossétie du Sud, Transnistrie, Crimée, Donbass, Somaliland, Haut Karabakh,

Les derniers soubresauts de l’actualité au Haut-Karabakh ont remis sur le devant de la scène le terme de « conflits gelés ». Des conflits qui, par leur durée, leur alternance entre périodes de trêve et d’affrontements, sont bien souvent oubliés ou négligés alors que leur résolution est d’une importance cruciale pour les populations concernées.

Par : Anne Bernas

Le conflit chypriote dure depuis cinquante ans, celui du Sahara occidental aussi. Et la liste des régions et pays où les guerres se poursuivent s’allonge au fil du temps. Cachemire, Ossétie du Sud, Transnistrie, Crimée, Donbass, Somaliland. Face à ces conflits, la communauté internationale semble être à la peine.

Ce qui caractérise ces « conflits gelés » — terme apparu au début des années 1990 pour définir les rébellions séparatistes et les conflits figés de l’aire post-soviétique – est non seulement la durée du conflit, mais aussi la fin ou tout du moins la relative faiblesse des affrontements armés directs entre les parties. Un conflit qui ne cesse pas pour autant puisqu’aucun traité de paix ni aucun accord politique n’a été trouvé. À tout moment donc, les affrontements peuvent reprendre, comme c’est le cas en Syrie et au Yémen, créant un environnement d’insécurité et d’instabilité permanent.

« C’est un conflit qui se prolonge sans qu’on trouve une solution, mais qui peut resurgir, et le Haut-Karabakh l’a montré, la guerre en Ukraine l’a montré, analyse Alexandra Novosseloff, chercheur-associé au Centre Thucydide de l’Université de Paris Panthéon-Assas, docteur en Science politique spécialisée sur les Nations unies. Tout d’un coup, le conflit se réveille. C’est quelque chose qui est sous-jacent. Il y a un statu quo à un moment donné, une paix précaire, et puis soudainement, parce qu’il n’y a justement pas de solution à ce conflit et qu’il y a eu des traumatismes, un nationalisme exacerbé, tout d’un coup, il peut ressurgir. Le Haut-Karabakh en un exemple presque parfait. »

L’une des autres caractéristiques des « conflits gelés », c’est la notion de fait accompli. « C’est ce qui se passe en Palestine, notamment avec les colonies de peuplement, le mur, etc… Autant de faits accomplis pour éviter de faire bouger les lignes le jour où le gouvernement israélien voudra trouver une solution. Il faudra [alors] partir de ces faits accomplis sur le terrain », poursuit Alexandra Novosseloff.

Des populations entre guerre et paix

Les « conflits gelés », parce qu’ils peuvent repartir à tout instant, sont sources de nombreuses difficultés pour les populations concernées qui ne vivent ainsi ni en paix, ni en guerre. De manière générale, ils ne font plus, ou peu, de victimes, mais la situation économique de ces territoires est souvent catastrophique. En Syrie, où le conflit est entré dans sa treizième année, les conditions de vie de la population ne cessent de se dégrader, aggravées par une forte hausse des prix du carburant. Une situation qui a entraîné en août dernier des manifestations contre le régime de Bachar el-Assad.

À Chypre, le conflit, qui a fait plus de 4 000 morts et un millier de disparus, n’a jamais vraiment pris fin et les tensions persistent. En 1974, 200 000 des 500 000 Chypriotes grecs sont chassés du nord de l’île, 70 000 Chypriotes turcs rejoignent le nord. Mi-août dernier, les tensions ont resurgi : l’ONU a accusé les autorités de la partie turque de cette île divisée d’avoir agressé des casques bleus qui s’opposaient à la construction d’une route considérée comme « illégale » par l’ONU.

« En définitive, explique Alexandra Novosseloff, pour toutes les parties au conflit, le coût de la reprise des hostilités peut être supérieur au maintien du statu quo, compris alors comme un mal nécessaire. » Un statu quo entre belligérants qui ne facilite pas la tâche d’organisations comme celles des Nations unies (présente à Chypre depuis 1964, au Sahara occidental depuis 1991, etc.) ou de l’UE (présente en Géorgie depuis 2008) qui ne peuvent dès lors imposer une paix réelle et durable.

Et la chercheuse de noter que la plupart du temps, ces conflits impliquent la participation, l’influence d’une ou plusieurs grandes puissances, souvent à la fois puissance régionale et poids lourd international. « Ce sont ces puissances qui règlent le métronome de l’évolution de ces conflits par leur entente ou, le plus souvent, leur division, voire leur confrontation. L’une des caractéristiques majeures des conflits gelés est qu’ils sont à la fois des conflits internes et des conflits interétatiques. »

Finalement, un « conflit gelé » ne l’est jamais vraiment. « La meilleure analogie serait une rivière gelée, immobile en apparence. Mais sous la couche de glace, le courant reste toujours aussi fort », relatait Brian Fall,ancien diplomate britannique dansLe Monde. Et face au silence médiatique et politique qui entoure ces zones de tensions, c’est bien souvent la résurgence des affrontements qui nous rappelle que la situation n’était, en fait, en rien réglée.

Source : RFI, 03 oct 2023

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