Il était une fois le Marocleaks, un réglement de compte entre la France et le Maroc

Le logo du profil du hacker français Chris Coleman qui a secoué le pouvoir au Maroc en 2014.

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En octobre 2014, un « hacker » du nom de Chris Coleman a publié sur Twitter et sur divers réseaux sociaux des milliers de documents, dont beaucoup classés « confidentiels » ou « secrets », ainsi qu’une masse énorme de correspondances, de courriels et d’archives de toutes sortes exposant avec force détails le fonctionnement de la DGED (Direction générale des études et de la documentation, l’agence marocaine de renseignement extérieur) et du ministère marocain des Affaires étrangères.

En vue de cacher ses véritables visées, ce hacker a exprimé des sympathies pour la cause sahraouie. Pressé par un journaliste français de dire pourquoi il faisait ce qu’il faisait, « Chris Coleman » a répondu : « pour déstabiliser le Maroc ». D’après un article d’Ahmed Benchemsi, fondateur de l’hébdomadaire TelQuel, « si déstabilisation il doit y avoir, c’est de là et nulle part ailleurs qu’elle viendra.

Parmi les publications du hacker Chris Coleman, cette lettre datée du 20 novembre 2013, envoyée par Laurent Fabius à son homologue marocain où il explique être intervenu à sa demande auprès de l’administration du travail, pour faciliter l’obtention par sa fille d’un permis de travail en France.

La publication par le hacker de documents d’un intérêt à caractère privé et intime comme les photos du mariage de M’barka Bouaida a été largement critiquée par les marocains. Depuis son poste de ministre délégueé auprés du ministre des affaires étrangères, celle-ci s’est montrée très active dans le dossier du Sahara Occidental. Une lettre adressée à son mari dévoilait les difficultées traversées par son couple.

Les documents révélés par Chris Coleman mettent en lumière le travail du service de renseignement extérieur marocain, la Direction Générale des Études et de la Documentation (DGED), dirigée par Yassin Mansouri, pour influencer des think-tanks et des journalistes aux États-Unis et en France – un cas a également été signalé au Royaume-Uni – en faveur de la « marocanité » du Sahara Occidental et pour attaquer l’Algérie et le Front Polisario.

L’acteur clé semble était Ahmed Charai, directeur du magazine L’Observateur du Maroc, chargé des paiements ou effectue des paiements en espèces et en rend compte à Mansouri ou à son chef de cabinet. En raison du transport de grandes sommes d’argent liquide non déclarées, il a été arrêté en septembre 2011 à l’aéroport de Dulles (Washington). Il a reconnu que son courrier était piraté depuis 2010, mais affirme que les documents publiés ont été manipulés. Cependant, il n’apporte pas des détails sur cette prétendue manipulation.

Charai échangeait des courriels avec des journalistes français qui demandaient 6.000 euros par article. L’un d’eux, Vincent Hervouet, présentateur de l’émission quotidienne de TF1, « Ainsi va le Monde » où il demandait un prêt de 38.000 euros en espèces sous prétexte qu’il en avait besoin pour déménager. En retour, ils lui annonçaient que dans leurs articles, ils laisseraient entendre que les terroristes d’Al-Qaïda qui avaient enlevé deux Français au Mali venaient des camps de réfugiés sahraouis de Tindouf ou que le Mouvement Autonome de Kabylie en Algérie gagnait en influence.

Ses courriels ne mentionnent aucun journaliste ni think-tank espagnol, bien que Rabat finance des programmes dans au moins deux d’entre eux par l’intermédiaire de l’entreprise publique Office Chérifien des Phosphates (OCP). Cependant, l’affaire a une dimension espagnole car c’est Charai qui a publié dans son magazine, en septembre 2008, la fausse nouvelle attribuant à l’ancien président José María Aznar la paternité de l’enfant de Rachid Dati. La Cour provinciale l’a condamné en 2011 à indemniser Aznar de 90.000 euros, somme qu’il a payée.

Au Parlement marocain, il n’y a eu aucune question non seulement sur la manière dont les fonds publics du renseignement sont dépensés pour influencer les journalistes – un sujet tabou- mais aussi sur un rapport de la société de conseil McKinsey, commandé par le palais royal sur la stratégie à suivre pour le développement du pays. À Rabat, personne n’a non plus exprimé de soucis quant à la divulgation des courriels de leur service de renseignement.

Les journalistes français dont les noms apparaissent dans les documents de Chris Coleman ne sont pas des inconnus. Trois d’entre eux sont des experts réputés du Maghreb – un quatrième occupe un poste clé dans la télévision la plus regardée – et les révélations de Chris Coleman jettent le doute sur tout ce qu’ils ont écrit et dit lors de leurs débats ces dernières années. Vincent Hervouet, éditorialiste de politique étrangère sur la chaîne LCI aujourd’hui, dont les mails laissent penser qu’il aurait dans ses sujets mis en avant des liens entre les camps des réfugiés sahraouis et Al-Qaida. M. Hervouët est actionnaire à hauteur de 10 % d’une radio détenue par Ahmed Charaï (Radio Med), pour laquelle il réaliait une chronique hebdomadaire. Dominique Lagarde, journaliste à L’Express de 1996 à 2003, et  Mireille Duteil, au Point depuis 1980, ont aussi été citées dans les documents publiées par le hacker. Dans un article paru sur Le Point intitulé « Algérie-Maroc : nous sommes otages d’une machine à salir », ont rappelé le climat de tensions entre les deux pays.

Des années plus tard, il s’est avéré que l’auteur de ces publications était, en réalité, un officier de la DGSE qui opérait dans le cadre d’un réglement de comptes entre Paris et Rabat.

Ahmed Charaï, patron de presse d’un groupe créé par la DGED, selon les documenta divulgués par le hacker
Photo du passeport de l’épouse du ministre Salaheddine Mezouar publiée par le hacker

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