Le Maroc reflète le dilemme du Sud global : eau ou nourriture ?

L'accent mis par le Maroc sur l'agriculture d'exportation a également réduit la superficie des terres consacrées aux céréales, ce qui le rend plus dépendant des importations étrangères.

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Alors que le changement climatique aggrave la sécheresse et les déplacements de population, le Maghreb doit faire face à la faim et à la soif.

Le Maroc, comme de nombreux pays du « Sud global », est confronté à un dilemme de plus en plus aigu : s’il a amélioré sa production alimentaire pour réduire l’insécurité alimentaire et la sous-alimentation, ces progrès ont mis à rude épreuve les ressources en eau limitées du pays, avec des pratiques agricoles industrielles gourmandes en eau. Alors que le changement climatique intensifie la sécheresse structurelle dans tout le Maghreb, le Sahel et ailleurs, ces régions doivent élaborer des politiques qui traitent l’insécurité alimentaire et la pénurie d’eau comme des crises interdépendantes. Le soutien des États-Unis et de la communauté internationale à ces changements sera essentiel.

Pénurie d’eau : amplification des conflits mondiaux

La pénurie d’eau est un problème mondial. Depuis 1960, les prélèvements d’eau à l’échelle mondiale ont plus que doublé , passant de 1 750 milliards de mètres cubes à 4 000 milliards en 2014. Au total, 17 pays abritant un quart de la population mondiale sont confrontés à un stress hydrique « extrêmement élevé » (consommant en moyenne 80 % ou plus de leurs ressources en eau disponibles chaque année) – en particulier pour l’agriculture irriguée, les industries et les municipalités. Le changement climatique de la planète et l’inadéquation des mesures prises par l’homme pourraient aggraver suffisamment la pénurie d’eau pour forcer 700 millions de personnes cette décennie à fuir leur foyer dans des régions aussi disparates que le Maghreb, le Sahel et la Corne de l’Afrique, le Levant et le « corridor sec » d’Amérique centrale, selon les estimations de l’ONU. Ce déplacement massif serait près de dix fois supérieur au niveau récent, historiquement élevé, des déplacements humains dus aux conflits dans le monde.

Dans ces régions, la gestion non durable de l’eau est source de migrations, de troubles sociaux, de troubles et de conflits entre pays voisins. Le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord sont touchés de manière disproportionnée par la pénurie d’eau. Sur les 17 pays du monde qui connaissent un stress hydrique « extrêmement élevé », 12 se trouvent dans cette région, et sept autres pays de la région sont confrontés à un stress hydrique « élevé ». Les conditions socioéconomiques rendent également le Maghreb particulièrement vulnérable. La mauvaise gouvernance, le malaise économique et le taux de chômage élevé des jeunes ont déclenché des manifestations généralisées. La relation étroite entre l’eau et la politique (le Maroc en 2011 et la Tunisie en 2014 ont spécifiquement inscrit le droit à l’eau dans leurs constitutions) ne fait qu’accroître le risque que les problèmes de pénurie d’eau et d’équité en matière d’eau deviennent des enjeux politiques fondamentaux.

L’Afrique du Nord, en particulier, a augmenté sa consommation d’eau : de 346 % en Algérie, de 337 % en Libye et de 240 % en Tunisie entre 1962 et 2017. Ces trois augmentations nationales figurent parmi les 15 plus importantes au monde.

Ces pays sont confrontés au dilemme de la pénurie d’eau et d’un autre facteur majeur d’instabilité : l’insécurité alimentaire. La dépendance du Maghreb aux importations alimentaires et sa vulnérabilité aux hausses de prix, notamment du blé, ont contribué à alimenter les mouvements de protestation qui ont renversé le président Zine El Abidine Ben Ali en Tunisie et ont stimulé les réformes politiques et socioéconomiques au Maroc. Depuis 2020, la pandémie de COVID-19 et la guerre russe en Ukraine ont fait grimper les prix mondiaux des denrées alimentaires, l’ indice des prix des céréales des Nations Unies ayant augmenté de plus de 60 % en avril 2022. La principale mesure prise par les pays pour réduire l’insécurité alimentaire a été d’augmenter la production agricole, mais cela a nécessité une plus grande utilisation de l’eau, ce qui a aggravé l’insécurité hydrique au Maghreb.

Le Maroc a peut-être mieux géré ce dilemme que beaucoup de ses voisins, en améliorant considérablement la sécurité alimentaire et économique grâce au développement agricole, tout en augmentant ses prélèvements d’eau de seulement 12 pour cent depuis 1977. Pourtant, le Maroc s’attend désormais à atteindre une « pénurie d’eau absolue » (moins de 500 mètres cubes par personne et par an) d’ici 2030. Et si le Maroc a été confronté à moins de manifestations de masse ou de soulèvements internes comme ses voisins d’Afrique du Nord, il a été témoin de ce que l’on appelle des manifestations de la soif , déclenchées par des coupures d’eau dans le sud.

Si le Maroc est à la fois l’un des pays les plus stables politiquement de la région et l’un des plus efficaces dans la gestion de ses ressources en eau, alors ses succès, ses échecs et ses perspectives fournissent une base de référence précieuse pour évaluer l’avenir de l’Afrique du Nord en matière de pénurie d’eau, d’insécurité alimentaire et d’instabilité politique.

Pénurie de ressources au Maroc

En 2008, le Maroc a lancé son Plan Maroc Vert pour stimuler la production alimentaire, notamment en développant les chaînes d’approvisionnement et en mécanisant l’agriculture. La production alimentaire a augmenté et le nombre de Marocains sous-alimentés a chuté de 1,8 million à 1,3 million en 2019, soit près de 25 %. Alors que le Plan Maroc Vert mettait l’accent sur les changements structurels de l’approvisionnement alimentaire, un nouveau plan, Génération Verte 2020-2030, met l’accent sur le développement humain dans les régions rurales, notamment la création de richesses individuelles, la diversification des opportunités d’emploi et la promotion de l’entrepreneuriat. Il vise également à moderniser et à diversifier le développement agricole traditionnel.

Cette nouvelle priorité accordée au développement humain est une réponse aux progrès inégaux réalisés dans le cadre du Plan Maroc Vert. Les grandes exploitations industrielles ont été à l’origine d’une grande partie du développement agricole, tandis que les régions agricoles plus petites et plus pauvres ont connu une croissance plus lente et des investissements plus faibles. L’accent mis par le Maroc sur l’agriculture d’exportation a également réduit la superficie des terres consacrées aux céréales, ce qui le rend plus dépendant des importations étrangères.

Comme le montre la guerre en Ukraine, cette dépendance accroît l’exposition du Maroc aux chocs extérieurs sur les prix. Environ 12 % de la population vit légèrement au-dessus du seuil de pauvreté, tandis que les ménages de la classe moyenne consacrent encore environ 40 % de leurs revenus à l’alimentation. Ces statistiques suggèrent que même des chocs marginaux sur les prix pourraient avoir des effets dramatiques sur la consommation des ménages. Jusqu’à présent, les subventions gouvernementales ont protégé les citoyens de l’impact total de la hausse des prix des denrées alimentaires, mais cette tactique ne peut pas être maintenue à long terme.

Face à la menace constante que représente la hausse des prix des denrées alimentaires pour la stabilité intérieure, le pays n’a pris que peu de mesures pour atténuer la menace croissante de la pénurie d’eau, considérée depuis longtemps comme un problème à somme nulle par rapport à la production alimentaire. Le Plan Génération Verte a mis en avant les ressources en eau et la dégradation de l’environnement comme des problèmes fondamentaux, mais ces problèmes restent clairement secondaires par rapport au développement agricole.

Le Conseil économique, social et environnemental (CESE), un organisme gouvernemental, a mis en avant des études qui prévoient que les habitudes actuelles de consommation d’eau, associées aux effets du changement climatique, pourraient entraîner une perte de 80 % de toutes les ressources en eau du Maroc d’ici 2045. Le Conseil met en avant la menace posée par l’épuisement rapide des nappes phréatiques, que le Maroc a largement exploitées pour son expansion agricole. Les nappes phréatiques ont chuté de manière alarmante et leur eau a été dégradée par l’intrusion d’eau de mer, la pollution par les nitrates (provenant des engrais ou des eaux usées) et l’augmentation naturelle de la salinité. Compte tenu du lent taux de recharge de ces nappes, leur épuisement et leur dégradation auront de graves conséquences sur la stabilité socioéconomique du Maroc.

Les chemins à suivre

Jusqu’à présent, le Maroc a considéré la sécurité alimentaire et le développement économique comme un compromis direct avec la gestion durable de l’eau. Cette approche est erronée. Alors que le changement climatique intensifie la sécheresse structurelle et que la surexploitation agricole met encore plus à rude épreuve les ressources en eau, la pénurie d’eau va entraver le développement économique et faire monter les prix des denrées alimentaires. Ces menaces vont accroître le mécontentement à l’égard du gouvernement et la migration irrégulière, augmentant ainsi le risque d’instabilité sociale et politique.

Il est essentiel de changer la politique nationale. Le Maroc a déjà installé la plus grande usine de dessalement du monde et a augmenté sa capacité de stockage d’eau en construisant des barrages. Mais les usines de dessalement sont coûteuses et consomment beaucoup d’énergie, et les barrages, s’ils sont efficaces pour lutter contre les sécheresses cycliques, ne peuvent pas compenser les pertes d’eau dues au changement climatique et à la surexploitation agricole.

Les améliorations en matière de résilience alimentaire et hydrique ne doivent pas nécessairement attendre des décisions prises par le haut. Le Maroc peut continuer à lutter contre l’insécurité alimentaire et la malnutrition tout en réduisant la surexploitation agricole en s’attaquant aux inefficacités de la chaîne d’approvisionnement alimentaire. Les marchés de gros dans des villes comme Fès sont des sources notoires de gaspillage alimentaire au niveau local. Les villes et les zones rurales peuvent également investir des ressources et prêter attention aux organisations locales qui tentent d’apporter une aide alimentaire aux populations traditionnellement défavorisées.

La Tunisie peut également donner des leçons sur la résilience climatique et l’agriculture. Alors que le Maroc a connu une diminution spectaculaire de la diversité génétique de ses cultures, en particulier des espèces indigènes les mieux adaptées aux conditions climatiques changeantes, de nombreux agriculteurs et ONG tunisiens ont travaillé à la reconstitution de ces espèces indigènes résilientes. Les agriculteurs marocains peuvent faire de même.

L’un des défis les plus importants sera d’intégrer les projets et les perspectives nationales, régionales et locales. En associant la programmation locale à l’élaboration des politiques nationales, le Maghreb peut éviter une réflexion coûteuse à somme nulle et ouvrir la voie à un avenir plus prospère.

Martin Pimentel est un assistant de recherche USIP basé à Rabat, au Maroc.

The United States Institute of Peace,15 juin 2022 (Traduction : Maghreb Online)

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