Etonnement face au silence du monde sur les massacres de journalistes à Gaza

"S'il y avait 100 ou 140 journalistes israéliens ou ukrainiens tués, je ne pense pas que la réaction du monde serait la même", dit à Forbidden stories Shourouk Assad, porte-parole du syndicat des journalistes palestiniens.

Un nombre effarant de journalistes – plus de cent, essentiellement palestiniens – ont été tués depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas à Gaza, faisant de ce conflit un des plus meurtriers pour la presse.

Pour Phil Chetwynd, directeur de l’information de l’AFP dont les bureaux à Gaza ont été gravement endommagés par un probable tir de char israélien le 2 novembre 2023, le nombre de journalistes tués est « complètement inacceptable ». « Et la chose qui m’inquiète le plus, c’est que ça ne fait pas scandale. Autour du monde, je ne vois pas les voix des différents gouvernements s’en plaindre. C’est quelque chose qui est extrêmement inquiétant », dit-il.

Les journalistes, dommages collatéraux ou cibles pour l’armée israélienne ? Un consortium de médias internationaux, 50 journalistes représentant 13 organisations, a enquêté sous l’égide de Forbidden Stories, réseau international spécialisé dans l’investigation, pendant quatre mois.

L’enquête publiée mardi par des médias dont Der Spiegel, Le Monde, ARIJ (groupe de presse arabe basé en Jordanie), The Guardian, ZDF et d’autres étudie les cas de journalistes tués ou blessés alors qu’ils couvraient le conflit ou tentaient de raconter la vie quotidienne des Gazaouis en proie à une crise humanitaire sans précédent.

Le nombre de journalistes tués – plus de 100 – est vertigineux. « C’est une des plus flagrantes attaques contre la liberté de la presse que j’ai jamais connues », affirme Carlos Martinez de la Serna, directeur du Comité de protection des journalistes (CPJ), interrogé par le consortium.

L’armée israélienne a rejeté « les fausses accusations selon lesquelles elle vise des journalistes ».

L’armée « ne blesse pas intentionnellement des journalistes, qui ont pu être touchés durant des frappes aériennes ou des opérations visant des cibles militaires », a-t-elle écrit en réponse à des questions du consortium.

Elle affirme aussi que « la plupart des cas mentionnés (de journalistes tués, ndlr) sont des militants tués durant des activités militaires, mais recensés comme journalistes ».

Le consortium a analysé des milliers d’heures d’images et de sons en provenance de la bande de Gaza, enquêté sur des dizaines de cas dans lesquels des journalistes ont été tués ou blessés.

Selon des chiffres compilés par Arij, au moins 40 journalistes ou travailleurs des médias ont été tués alors qu’ils se trouvaient à leur domicile. Quatorze ont été tués ou blessés ou présumément visés alors qu’ils portaient leur veste de presse à Gaza, en Cisjordanie ou dans le sud du Liban, 18 ont été tués ou blessés dans des frappes de drones à Gaza.

Quatre ont été tués ou blessés dans des frappes de drones alors qu’ils portaient leur gilet presse. Et au moins 40 journalistes travaillant pour des médias affiliés au Hamas ont été tués, selon cette étude.

Pour Laurent Richard, cofondateur de Forbidden Stories, « les journalistes gazaouis savent depuis longtemps que leur veste presse ne les protège plus. Pire, elle les expose peut être davantage », écrit-il dans un éditorial publié mardi.

« Cette veste était supposée nous identifier et nous protéger, en vertu des lois internationales et des conventions de Genève, elle est maintenant une menace pour nous », dit en écho Basel Khair Al-Din, un journaliste palestinien à Gaza affirmant avoir été visé par une attaque de drone lors d’un reportage à Beit Lahia, dans le nord de la bande de Gaza.

Pourtant, « les journalistes sont les témoins dont l’Histoire a besoin », souligne Laurent Richard.

Selon le syndicat des journalistes palestiniens, près de 70 infrastructures de presse ont été partiellement voire entièrement détruites depuis le début du conflit.

« S’il y avait 100 ou 140 journalistes israéliens ou ukrainiens tués, je ne pense pas que la réaction du monde serait la même », dit à Forbidden stories Shourouk Assad, porte-parole du syndicat des journalistes palestiniens.

« Je ne souhaite à aucun journaliste de mourir, qu’il soit israélien, ukrainien ou palestinien. Les journalistes devraient être protégés quel que soit le pays dans lequel ils se trouvent », lance-t-elle.

AFP

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