« Euro-indigène », Joseph et Aïcha, récit d’un métissage impossible mais vrai

La lecture de ce livre constitue un voyage en compagnie d'un couple d'amants « anormaux », à travers une phase tumultueuse de la grande Histoire de l'Algérie et la colonisation française.

Etiquettes : Euro-indigène, Joseph et Aïcha, Abdelkader Guerine, métissage impossible, France, Algére, colons français, femmes algériennes, roman,

par Abdelkader Guerine*

«Euro-indigène / Joseph et Aïcha (1843-1875) » est un roman mélodramatique qui mêle le parcours intime d’un couple de personnes à une phase cruciale de la grande histoire de l’Algérie pendant les premiers temps du colonialisme. Paru aux Editions Muse (Angleterre) en mars 2023, ce livre de Abdelkader Guerine, écrivain algérien, propose de revivre les faits d’une relation personnelle incroyable entre un colon français et une femme algérienne, quelques dix années après l’arrivée des Français en Algérie.

Ce type de rapport matrimonial métissé était complètement impensable à cette date, sachant que l’adversité était à son extrême lors des premiers contacts des colonisateurs avec le peuple autochtone. Le concubinage entre les envahisseurs étrangers et la population du pays était improbable, intolérable même, encore plus irrecevable lorsqu’il s’agissait d’un rattachement conjugal. Toutefois, l’histoire du lien hybride invraisemblable entre Joseph et Aïcha est bien réelle. Leur rencontre a été conclue par un mariage mixte inédit à cette époque. En dépit des contraintes qui ont entravé à la concrétisation de cette alliance, le couple réussit à forcer le destin en s’unissant pour toujours, après tant de souffrances, de contrariétés et de lutte pour la seule cause de vivre ensemble. Leur union donna naissance à 8 enfants.

« Euro-indigène » brosse le cheminement des faits de cet accord franco-algérien singulier, avec des narrations fictives qui s’appuient sur la trame d’un vécu authentique, inscrit comme une anecdote historique dans le patrimoine immatériel de la région de Sidi Bel Abbes (Zahana plus précisément, Saint Lucien durant l’ère coloniale).

Cet événement inaccoutumé coïncide avec le soulèvement de la première résistance populaire (1830-1847), un arrêt à cette station historique est indispensable pour décrire l’atmosphère hostile qui régnait autour de cette communion exceptionnelle. Le climat était tendu entre l’armée coloniale et les baroudeurs des tribus autochtones. Il y avait la guerre entre eux, il y avait l’affection aussi chez ce couple aux origines antagonistes.

D’un côté, ce mariage mixte était mal apprécié par les Européens, cette circonstance n’était pas un exemple de familiarité avec les sujets colonisés à suivre par d’autres colons. La vulgarisation de ce type de famille, fondée à contre-courant de la logique, était pour eux une démarche inappropriée qui s’opposait à leurs perspectives démographiques futures. Alors que les colonisateurs aspiraient à peupler massivement la colonie avec le genre occidental, les descendants de cette famille, portés par l’instinct patriotique du lien maternel, seront sans doute des citoyens à moitié Français, des Algériens qui pourront perturber leur plan expansionniste et, peut-être, compromettre leur stabilité dans le pays.

D’un autre côté, cette relation maritale était totalement inhibée par la communauté locale, il était formellement interdit de s’allier en mariage avec un élément du camp ennemi, c’était inimaginable. Ce pacte était encaissé comme un scandale honteux par l’ensemble des tribus indigènes. D’autant plus qu’Aïcha n’était pas une femme des moindres, elle était la fille d’une grande famille de notables autochtones. Veuve d’un premier mariage, son mari est mort lors de la prise de la smala de l’Emir Abdelkader (1843). Son père était chef des musiciens du Bey d’Oran pendant le règne des Ottomans. Son oncle, Agha de son statut, respecté et adoré comme un marabout par la population locale, exprima son refus catégorique à la consommation de ce mariage. Il aura fallu l’intervention persistante des autorités militaires françaises, des responsables du bureau arabe et des dignitaires musulmans pour arranger cette union selon le rite islamique.

Vue d’un angle neutre, l’histoire marginale de cette famille décrypte la rencontre brutale du monde musulman avec la colonisation chrétienne. Elle s’insinue, par ailleurs, comme un symbole de cohabitation réussie et un message pour une symbiose possible entre les hommes malgré leurs différences. Elle explique, entre autres, la complexité de la composante démographique de la population algérienne, formée au cours des siècles par le brassage des multiples ethnies qui ont investi le pays.

La lecture de ce livre constitue un voyage en compagnie d’un couple d’amants « anormaux », à travers une phase tumultueuse de la grande Histoire du pays. L’objet évoque leur parcours personnel épineux et l’impact qu’il ait eu dans l’ensemble de la société, et surtout dans la famille de la femme. Ce brassage, perçu dans son temps comme inconcevable, est une conséquence isolée du colonialisme. C’est le doux revers du choc de la rencontre des civilisations. Malheureusement, la douceur de cette plénitude heureuse a toujours été étouffée par l’intolérance des tabous humains et les règles impassibles du commandement céleste. Joseph et Aïcha terminèrent le restant de leur vie ensemble à Ouled Ali, bien que le brassage de leur sang ait été largement dispatché entre les deux rives de la Méditerranée. Joseph est mort en 1875 à l’âge de 65 ans, ses enfants ont tenu à ce que leur père soit enterré dans le cimetière musulman de leur tribu.

Aïcha, surnommée Oumma ou Oum El Hassan, ne vécut pas longtemps après la disparition de son mari, elle décède à son tour peu de temps après et fut enterrée à côté de son compagnon de vie. Leurs enfants ont pris le relais de l’héritage familial par la suite. Ils se sont délayés dans la société autochtone comme du sucre dans l’eau en s’inscrivant dans la communauté arabe comme de vrais indigènes. Toutefois, cette famille franco-algérienne a longtemps été estimée comme une famille chrétienne, avant que cet attribut, regardé comme un tabou ou comme une tare, ne soit oublié, effacé dans le temps par le cumul des générations, la succession des événements et les mutations des populations à travers l’histoire.

*Ecrivain

Documentation

– Revue de l’Orient de l’Algérie et des colonies. Bulletin de la société orientale. 1er janvier 1854. Histoire algérienne : Joseph et Aïcha. Par M. de Massol. Pp. 217 à 221.

– La presse : La prise de la smala d’Abdelkader. 31 mai 1843. Pp. 1 et 2.

– Le Figaro du 28 septembre 1901. « La prise de la Smala ». P4

– La régence d’Alger en 1830 d’après l’enquête des commissions de 1833-1834.

– Xavier Yakono. Revue des mondes musulmans de la Méditerranée. PP. 229 – 244.

– Historique des Beni Amer d’Oranie, des origines au Sénatus Consulte. De Pierre

Boyer. P. 19 à 84.

– Le monde : La crise financière de 1848. Archive du 29 janvier 1848 publiée par Jules Bertaut.

https://www.amazon.ca/Euro-indig%C3%A8ne-Joseph-Aïcha-1843-1875/dp/6204963414

Source : Le Quotidien d’Oran

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