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Ed Rampell à La Nouvelle République :
Ed Rampell est un historien et critique de cinéma américain basé à Los Angeles, auteur de Progressive Hollywood : A People’s Film History of the United States dans lequel il a interviewé de nombreuses personnalités du monde du cinéma, comme les producteurs Jerry Bruckheimer et Robert Greenwald, ou encore des acteurs parmi lesquels Jack Nicholson.
La référence à la lutte du peuple algérien pour sa libération n’est-elle pas lourde de sens ? Ne sommes-nous pas en présence d’un processus révolutionnaire dont les étudiants sont l’avant-garde aux Etats-Unis?
C’est difficile à dire. Dans ‘’Les Damnés de la Terre’’, Frantz Fanon parlait de la spontanéité : sa force et sa faiblesse. La révolte étudiante déclenchera-t-elle la création d’une organisation nationale ? Ou bien restera-t-elle une cause unique, dont l’effervescence s’éteindra lorsque (si ?) la guerre à Ghaza s’éteindra et/ou lorsque les étudiants obtiendront leur diplôme et quitteront le campus ? Si une organisation est créée, deviendra-t-elle intersectionnelle et atteindra-t-elle d’autres secteurs des masses, la classe ouvrière, et embrassera-t-elle d’autres causes autour des intérêts communs de tous les opprimés ?
Ecoutez camarade, je prédis la Révolution chaque année depuis 1969 – et j’attends toujours. LOL ! On ne peut pas prédire l’avenir.
Vous vous intéressez aux œuvres de Frantz Fanon. Que représente Frantz Fanon pour vous ?
J’ai vécu plus de 23 ans dans les îles du Pacifique et, à l’exception peut-être des Caraïbes, l’Océanie est la dernière région géographique de la planète dominée par le colonialisme.
Je ne parle pas d’impérialisme, mais de colonialisme à l’ancienne, comme l’Algérie avant son indépendance.
On se souvient surtout de Fanon pour ‘’Les Damnés de la Terre’’, qui est, à n’en pas douter, la Bible de la libération du tiers-monde.
Cependant, son livre de 1952, ‘’Peau noire, Masques blancs’’, est également brillant dans sa façon de décrire et d’analyser les effets du colonialisme et du racisme sur la psychologie humaine, sur l’âme.
Par exemple, sur le lieu de travail à Hawaï, les autochtones hawaïens s’expriment en « anglais standard », mais entre eux et avec les autres habitants, ils parlent un anglais pidgin (ndlr : langue constituée d’un mélange de termes appartenant à différentes langues) – bien que la plupart d’entre eux ne puissent plus parler ou comprendre la langue hawaïenne en tant que telle.
Sous le colonialisme, les insulaires indigènes endossent un personnage qui masque leur moi intérieur authentique, afin de se conformer aux attentes fixées par l’« autre » colonial dominant, dans le but de survivre, d’aller de l’avant pour s’en sortir. Il est déchirant d’en être témoin, et Fanon a mis le doigt dessus. Je lis actuellement l’excellent ouvrage d’Adam Shatz, 2024 The ‘’Rebel’s Clinic’’, ‘’The Revolutionary Lives of Frantz Fanon’’. Hautement recommandé.
Pourquoi, d’après vous, les Etats-Unis soutiennent-ils inconditionnellement Israël dans le génocide que celui-ci fait subir aux Palestiniens ?
La question est complexe. D’une part, les États-Unis et Israël ont un point commun : ce sont deux États coloniaux dominés par les Blancs.
Dans cette optique, les Palestiniens sont aux pro-sionistes ultra-militaristes ce que les « Indiens » étaient aux visages pâles du « Far West ».
Toujours selon Reuters : « Biden, ancien vice-président et sénateur, est depuis longtemps l’un des principaux bénéficiaires du lobby pro-israélien, ayant reçu plus de 5,2 millions de dollars de soutien au cours des 34 dernières années, soit le montant le plus élevé de tous les bénéficiaires du Congrès, selon OpenSecrets.
D’autre part, les Juifs ont été une minorité persécutée pendant des siècles, en particulier pendant l’Holocauste.
On a le sentiment que tous les peuples méritent une patrie, en particulier ceux qui ont souffert d’un génocide.
Cependant, les Palestiniens n’ont absolument rien à voir avec la « solution finale de la question juive » des nazis – ce sont les Européens aryens à la peau blanche qui s’en sont chargés.
Un peuple peut mériter une patrie, mais pas aux dépens d’autres personnes qui peuvent retracer leurs racines ancestrales sur le même territoire.
Vous avez écrit des articles très intéressants et un livre sur Hollywood Progressive Hollywood dans lequel vous avez réalisé des entretiens avec de grands réalisateurs et acteurs connus. Comment expliquez-vous le recul du courant de la gauche à Hollywood ?
Je ne suis pas d’accord avec votre hypothèse. Rustin est un biopic fabuleux qui raconte comment un socialiste noir a contribué à l’organisation de la célèbre marche sur Washington en 1963. ‘’Civil War’’, que vous avez mentionné et qui a été un succès au box-office, n’est pas un film de gauche en soi mais, comme vous l’avez indiqué, il soulève des questions importantes sur la situation politique aux États-Unis. Oppenheimer était imparfait, mais il s’opposait fermement à la peur rouge anticommuniste des années 1950, et le film a remporté les prix académiques, y compris ceux du meilleur film et du meilleur réalisateur.
‘’I Am Gitmo’’, le film de Cinéma Libre qui vient de sortir, est une révélation bouleversante sur la torture des musulmans par les États-Unis à Guantanamo Bay. Le dernier film du socialiste Ken Loach, ‘’The Old Oak’’, sur les réfugiés syriens en Grande-Bretagne, est sorti récemment aux États-Unis.
De nombreux documentaires progressistes sortent également, tels que ‘’Israelism’’, une critique percutante du point de vue « Israël, bon ou mauvais » parmi les Juifs américains.
‘’Beyond Bars’’, de Robert Greenwald, retrace l’histoire du procureur de gauche de San Francisco, qui a été élevé par d’anciens membres du mouvement militant Weather Underground.
‘’A Double Life’’ présente un fugitif de la Nouvelle Gauche qui a été accusé à tort d’avoir participé à la fusillade fatale à la prison de San Quentin impliquant le Black Panther George Jackson. Stamped from the Beginning : ‘’The Definitive History of Racist Ideas in America’’, basé sur le livre du Dr Ibram X. Kendi sorti en 2016, est un film exceptionnel disponible sur Netflix.
Radioactive : ‘’The Women of Three Mile Island’’ traite de la résistance des femmes à la catastrophe nucléaire de 1979 en Pennsylvanie, qui fait état d’un empoisonnement aux radiations. Un certain nombre de documentaires sur la tentative du 6 janvier d’empêcher le transfert pacifique du pouvoir et sur l’extrême droite américaine sont en cours de réalisation. Le film du Danois Christoffer Guldbrandsen, ‘’A Storm Foretold-Roger Stone and Die’’, est sorti aux États-Unis, tandis que ‘’Against All Enemies’’, de Sebastian Junger et Charlie Sadoff, expose le rôle des vétérans des combats américains dans les milices d’extrême droite. Enfin, le grand Oliver Stone prépare un documentaire sur le président brésilien de gauche, Lula.
Autant on voit un grand mouvement de contestation au niveau des étudiants dans les universités américaines qui soutiennent la cause palestinienne, autant on assiste à un grand silence dans le monde du cinéma, notamment à Hollywood, à part quelques rares exceptions. Comment l’expliquez-vous ?
Conformément à ce qui précède, je ne suis pas d’accord avec votre hypothèse. Il y a toujours eu des cinéastes de conscience à Hollywood et il y en aura toujours.
Vous vous intéressez beaucoup à l’Algérie et à son histoire, et en plus d’être un historien, vous êtes un très bon critique de cinéma. Tout cela ne vous encouragerait-il pas à travailler un jour sur le cinéma algérien ? Votre expertise serait en tout cas la bienvenue en Algérie.
Merci pour le compliment. Si l’Algérie souhaite me donner l’occasion de visiter votre pays et d’étudier votre industrie cinématographique, j’en serai ravi. Je pourrais écrire beaucoup de choses sur le cinéma algérien pour mes publications américaines – peut-être même faire un autre livre sur l’histoire du cinéma. J’aimerais voir ce que l’Algérie, le pays qui nous a donné les classiques ‘’La Bataille d’Alger’’ et ‘’Z’’ de Costa-Gavras, a fait avec les films – et ce que vous avez fait avec 62 ans d’indépendance ! Invitez-moi et je viendrai.
(Suite et fin)
Interview réalisée par
Mohsen Abdelmoumen
Source : La Nouvelle République Algérie
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