Etiquettes : Mali, Algérie, Azawad, touaregs, Sahel, Accords d’Alger,
Par Mostefa Zeghlache, ancien diplomate
zeghodmus@yahoo.fr
2- Les faux-fuyants de Bamako
En décembre 2023, les relations algéro-maliennes sont entrées dans une zone de turbulences à l’instigation du pouvoir militaire malien issu du coup d’État d’août 2020, réitéré en mai 2021. Un discours va-t-en-guerre des maîtres de Bamako à l’encontre des autorités algériennes s’est exprimé sous la forme de reproches et, par moments, d’accusations d’«actes inamicaux, d’hostilité et d’ingérence dans les affaires intérieures du Mali» qui porteraient «atteinte à la sécurité nationale et à la souveraineté du Mali». Les accusations ont pour fondements la question azawade du nom de l’ethnie malienne du nord du Mali en sédition contre le pouvoir central depuis les 1res années de l’indépendance, et l’accord de paix et de réconciliation au Mali issu du processus d’Alger de 2015, censé fixer le cadre politique et juridique de règlement de cette question.
Ce discours portant de telles accusations use d’un ton inédit dans les relations entre les 2 pays depuis leurs indépendances, surprend et inquiète quant à l’avenir que réserve le pouvoir malien aux relations entre les 2 pays. Il s’illustre par l’usage de termes qui, par moments, laissent planer le doute sur le sérieux et la fiabilité de ces accusations au point où l’on se trouve logiquement menés à penser qu’il leur a été dicté par des officines occultes étrangères en vue d’entraîner le pays et, par là, la région sahélienne dans une spirale de violence jamais connue auparavant et dont ne profiteraient que les forces étrangères et la myriade de groupes terroristes qui essaiment dans le pays.
L’illustration la plus probante de ce discours est le communiqué du gouvernement de la transition n°064 du 25 janvier 2024 qui reprend le reproche déjà formulé à l’encontre des autorités algériennes d’ingérence dans les affaires intérieures du Mali, objet du communiqué du 20 décembre 2023 du ministère malien des Affaires étrangères, publié dans le sillage de la convocation de l’ambassadeur algérien à Bamako le même jour.
Non satisfait de ces critiques, le pouvoir de transition a estimé utile et nécessaire de donner le «coup de grâce» à l’accord de paix et de réconciliation en y mettant fin «avec effet immédiat» estimant qu’il était devenu «caduque» et «absolument inapplicable».
Dans son argumentaire, ce gouvernement avance 2 éléments. Le 1er, un «changement de posture de certains groupes signataires de l’Accord … devenus des acteurs terroristes» ayant «commis et revendiqué des actes terroristes».
Le second, «l’incapacité de la médiation internationale à assurer le respect des obligations incombant aux groupes armés signataires» et précise que ces faits avaient été signalés à Alger, chef de file de la médiation internationale, en février 2023. Plus que des reproches, le gouvernement malien accuse l’Algérie «d’actes d’hostilité et d’instrumentalisation de l’Accord».
Pour sa part, l’Algérie, par la voix de son MAE, a annoncé le 26 janvier 2024 avoir appris «avec beaucoup de regrets et une profonde préoccupation la dénonciation par les autorités maliennes de l’accord pour la paix…», et «prend acte de cette décision dont elle tient à relever la gravité particulière pour le Mali lui-même et pour toute la région…».
Arrêtons-nous aux récents faits. La réception accordée par le Président algérien à l’imam et homme politique malien Mahmoud Dicko, le 19 décembre 2023, a servi de déclencheur de la «furia» de Bamako. Cette rencontre qui entrait dans le cadre des contacts menés de longue date par les autorités algériennes avec les signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, l’Algérie assumant le rôle de chef de file de la médiation internationale et en charge du comité de suivi de l’accord en question, avait irrité au plus haut point les autorités militaires maliennes et abouti à la convocation de l’ambassadeur d’Algérie.
En effet, le ministre malien des AE avait convoqué le 20 décembre 2023 l’ambassadeur d’Algérie à Bamako pour «élever une vive protestation» de son gouvernement «suite aux récents actes inamicaux posés par les autorités algériennes, sous le couvert du processus de paix au Mali».
La raison reviendrait aux «rencontres récurrentes, aux niveaux les plus élevés en Algérie, et sans la moindre information ou implication des autorités maliennes, d’une part avec des personnes connues pour leur hostilité au gouvernement malien, et d’autre part, avec certains mouvements signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, ayant choisi le camp des terroristes».
Le communiqué ajoute que le ministre a déclaré «avec insistance» à l’ambassadeur algérien que ces «actes constituent une ingérence dans les affaires intérieures du Mali et «invité la partie algérienne à privilégier la voie de la concertation avec les autorités maliennes, seules légitimes pour entretenir des échanges d’État à État avec les partenaires du Mali».
Aux propos véhéments du pouvoir malien, Alger répondit sur un ton empreint de responsabilité, la réaction algérienne qui s’en est suivie étant marquée par la pondération.
En effet, le lendemain 21 décembre, l’ambassadeur du Mali en Algérie avait été convoqué au ministère algérien des Affaires étrangères qui a publié un communiqué révélant que le ministre Ahmed Attaf a rappelé à l’ambassadeur «de manière appuyée» que, de tout temps, les «contributions de l’Algérie à la promotion de la paix, de la sécurité et de la stabilité au Mali» ont reposé sur trois principes cardinaux dont elle n’a jamais dévié», à savoir «l’attachement de l’Algérie à la souveraineté du Mali, à son unité nationale et à son intégrité territoriale, la conviction de l’Algérie que seuls les moyens pacifiques peuvent garantir la paix, la sécurité et la stabilité en République du Mali de manière permanente et durable et que la réconciliation nationale, et non les divisions et ruptures récurrentes entre frères, reste le meilleur moyen qui permettrait à l’État du Mali de s’engager dans une voie globale et inclusive pour l’ensemble de son peuple, sans aucune discrimination, préférence ou exclusion».
Le communiqué du 20 décembre reprochait à Alger ses contacts avec des «mouvements ayant choisi le camp des terroristes».
Ce reproche est mal à propos du fait que les mouvements armés du nord du Mali visés constituent une partie à l’accord de 2015 au même titre que le gouvernement malien.
Quant aux «personnes connues pour leur hostilité au gouvernement malien», il s’agit évidemment de l’imam Mahmoud Dicko qui, fort de son engagement politico-religieux, s’est imposé comme un médiateur écouté dans le conflit entre le gouvernement central et les mouvements de l’Azawad. En effet, en décembre 2021, l’imam avait lancé un appel au boycott des assises nationales chargées de «fixer» le délai de la transition en cours et en juin 2023 s’était opposé publiquement au référendum destiné à mettre en place une nouvelle Constitution qui consacrerait le putsch militaire.
Dans ce cadre, son interview au magazine Jeune Afrique le 10 juin 2021 à Bamako donne un aperçu de son programme politique. Dans cette interview, Dicko réitère son attachement au dialogue et s’interroge : «Pourquoi ne devrait-on pas parler avec des gens qui sont nos compatriotes ? Certes, ils ont eu, à un moment, un comportement non républicain. Mais ce sont nos enfants, nos élèves, nos fils.» Il ajoute : «Pourquoi refuser de parler avec eux plutôt que d’essayer de trouver une approche qui puisse les ramener ? Pourquoi refuser que le Mali parle avec ses compatriotes pour chercher une solution ? Doit-on s’installer dans une guerre sans fin qui va embraser tout le Sahel ?» L’imam exprime également sa conviction que la paix ne pourra résulter que du dialogue entre Maliens, sans ingérence étrangère, en soulignant que «le Mali doit régler les problèmes du Mali» et que la paix ne viendra «ni de la Russie, ni de la France, ni des États-Unis…». Et de conclure : «Ne nous trompons pas d’adversaire. Notre adversaire n’est pas un pays, il n’est pas la communauté internationale. Le premier adversaire du Mali, c’est son propre comportement, la corruption endémique, la mauvaise gouvernance, le sous-développement et l’ignorance qui permettent au tout venant de venir s’installer et de s’accaparer notre pays.»
Pour mettre fin à l’agitation médiatique engendrée par sa visite à Alger, Dicko a publié le 25 décembre une vidéo dans laquelle il informe que cette visite répondait à une initiative algérienne (comité de suivi) prévue pour regrouper également les représentants des groupes rebelles et ceux du pouvoir qui ont décidé de ne pas effectuer le déplacement à Alger.
Cette information s’inscrit en droite opposition avec celle des autorités de Bamako qui se plaignaient que les contacts avaient lieu à leur insu.
Les prises de position politiques de l’imam dérangent plus d’un. En effet, avant son retrait du Mali, la France et le pouvoir malien l’accusaient de tenir un discours extrémiste soutenant le terrorisme au Mali. Autre signe du raidissement du pouvoir à l’encontre de Dicko est la dissolution, le 6 mars, de la Coordination des mouvements, associations et sympathisants (CMAS) de l’imam Mahmoud Dicko.
La politique du tout sécuritaire que privilégie actuellement le pouvoir pour gérer la question azawade aux dépens du dialogue qui est l’essence de l’Accord de 2015 est la conséquence de bouleversements politiques intervenus récemment au Sahel.
Dans cette région, le Mali ne fait pas exception. Depuis l’indépendance acquise le 22 septembre 1960 sous le leadership de Modibo Keita, le pays a souvent été dirigé par des régimes militaires. Wikipédia nous révèle que, depuis l’indépendance, le Mali a eu 9 chefs d’État dont seulement 3 ont été élus de manière démocratique.
Aujourd’hui, dans la majorité des pays du Sud, le recours au coup d’État militaire est une pratique politique révolue qui relève d’un passé en nette opposition avec la volonté et l’aspiration des peuples du XXIe siècle à vivre en démocratie.
Depuis le 1er coup d’État au Mali en 2020, les putschs militaires se sont enchaînés dans une grande partie de l’Afrique francophone du Sahel.
Les condamnations par la communauté internationale et les sanctions imposées aux régimes militaires par les organisations régionales, l’Union africaine et la Cedeao n’ont pas dissuadé les putschistes de se maintenir au pouvoir en se fixant leur propre transition censée aboutir à des régimes civils.
Dans la région francophone du Sahel, une des plus pauvres régions du monde, ce procédé antidémocratique s’identifiait à une fatalité que, fort heureusement, la dernière élection présidentielle au Sénégal en mars 2024 vient contrarier de façon éloquente.
En effet, le plus jeune Président du Sénégal (44 ans), le panafricaniste de gauche Bassirou Diomaye Faye, élu sur la promesse de rupture avec le système en place, a prêté serment le 2 avril 2024 après un scrutin démocratique dans un pays sahélien qui n’a jamais connu de coup d’État. L’alternance démocratique au pouvoir est possible et réalisable dès lors que le peuple peut choisir librement et souverainement ses dirigeants.
Les coups d’État et la fraude électorale sont des causes majeures de l’instabilité politique et institutionnelle dans le continent africain.
C’est le cas du Mali où les coups d’État menés par le colonel Assimi Goïta le 18 août 2020 contre le président de la République civil, Aboubacar Keita, et le 20 mai 2021 contre le président de la transition Bah N’Daw, pourtant installé dans cette fonction par les militaires putschistes de 2020 eux-mêmes, donnent l’impression que ce pays serait devenu en quelque sorte une victime expiatoire permanente de la mauvaise gouvernance, du totalitarisme et de la violence qui se matérialisent par un cycle de coups d’État récurrents vécus par le citoyen malien comme une malédiction.
S’agissant de la question azawade, la conviction qui s’impose à l’esprit est que les autorités maliennes successives ne se sont engagées à signer des accords de paix que parce qu’elles estimaient que la situation, au plan du rapport de force avec la rébellion azawade, n’était pas favorable et que ces accords n’ont été agréés que dans l’attente de «jours meilleurs» où le rapport de force s’inverserait, même momentanément, et permettrait de s’engager dans une voie autre que celle prévue par ces accords.
Cette stratégie du tout sécuritaire engendre des problèmes tant sur la stabilité et la sécurité immédiates du pays que sur son avenir.
L’attitude actuelle du pouvoir militaire à Bamako n’est évidemment pas nouvelle en ce qui concerne le conflit au nord du pays. Et, à l’image des Assises de décembre 2021, les régimes maliens successifs, qu’ils soient civils ou militaires, ont de tout temps organisé des conférences et diverses autres manifestations pour débattre de l’unité nationale avec pour objectif de stigmatiser la population touarègue. Dans ce cadre, on se limitera à évoquer, à titre d’exemple, la Conférence de l’entente nationale qui s’était tenue du 27 mars au 2 avril 2017 et qui, dans son rapport final, considère que «l’Azawad ne peut faire l’objet d’aucune revendication… et n’a jamais été une entité territoriale gérée par un organisme politique». Ce qui correspond bien à la vision actuelle du pouvoir militaire.
En effet, le processus de règlement politique de la question azawade annulé, rien ne semblait en mesure d’empêcher le pouvoir de recourir à la confrontation armée avec les mouvements touaregs au nom de la défense de l’unité nationale.
Dès août 2023, l’offensive des FAMa épaulées par le groupe paramilitaire russe Wagner a commencé contre les éléments de la CMA. Celle-ci a dénoncé le 11 août l’attaque et pris à témoin la communauté internationale sur les «graves agissements et violation des engagements et arrangements sécuritaires» et du cessez-le-feu conclu le 23 mai 2014.
À travers l’offensive, Bamako met en valeur «le récit de la reconquête d’une souveraineté perdue… pour galvaniser la population», indique Adib Bencherif, professeur adjoint en sciences politiques à l’université de Sherbrooke (Canada) et chercheur associé à l’université de Floride (USA). Mais l’évènement qui mit «le feu aux poudres» a été, sans conteste, l’occupation par l’armée malienne des bases et lieux évacués dans le nord du Mali par la Force multidimensionnelle pour la stabilisation au Mali (Minusma) de l’ONU, à la demande du gouvernement malien qui lui avait fixé la date du 31 décembre 2023 pour quitter le pays.
La raison officielle est que le contexte particulier du pays nécessitait une «force de lutte contre le terrorisme», pas «une force de paix». Mais en réalité, ce qui dérangeait les autorités maliennes, c’était plutôt le travail fourni par la division des droits de l’Homme de la mission.
Cette division avait rédigé plusieurs rapports documentés sur la situation sécuritaire au Mali dans lesquels les exactions répétées des forces régulières contre la population étaient dénoncées. C’est le rapport sur l’opération militaire menée dans le village de Moura en mars 2022, publié par les Nations unies, qui accuse l’armée malienne (FAMa) et ses supplétifs de Wagner d’avoir exécuté sommairement plus de 500 personnes, et recense des actes de torture, des viols… contre les civils, qui a irrité les autorités maliennes.
Dans ce contexte, les reproches du pouvoir malien adressés aux autorités algériennes ne s’expliquent pas par une quelconque «intrusion» algérienne dans les affaires maliennes, comme le font ressortir les déclarations et communiqués officiels, mais par la volonté du nouveau régime de tenter de trouver une fausse solution à un problème national réel.
Le recours aux faux-fuyants ne constitue nullement une voie de sortie de crise, comme le souligne Alger.
Le Soir d’Algérie, 29/04/2024
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