Françafrique : Le Sénégal trace une nouvelle ère

Le Premier Ministre sénégalais Ousmane Sonko a encore critiqué l'omerta autour de la souveraineté monétaire et d'une potentielle sortie du franc CFA. Il a déploré que ces sujets ne puissent être abordés librement dans les médias ou au parlement sénégalais.

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Depuis des décennies, les relations entre la France et le Sénégal ont évolué à travers diverses phases, allant de la coopération étroite à des tensions occasionnelles. Avec l’élection de Bassirou Diomaye Faye, les autorités sénégalaises semblent s’engager dans un nouveau chapitre des relations franco-sénégalaises, dans un contexte marqué par des sentiments souverainistes croissants. Cependant, cette évolution suscite des interrogations quant à la nature future de la relation, notamment face aux défis contemporains tels que les mouvements anti-français et les tensions régionales.

Au lendemain du scrutin du 25 mars 2024, Emmanuel Macron avait exprimé au président élu sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, sa « volonté de poursuivre et d’intensifier le partenariat entre le Sénégal et la France », lors de leur premier entretien téléphonique. Paris espère maintenir avec ce partenaire stratégique des relations solides, au moment où elle vient d’essuyer plusieurs revers dans la sous-région. La France a notamment dû rompre toute coopération militaire avec le Mali, le Burkina Faso et le Niger.

Selon nos informations, le Président Bassirou Diomaye Faye va effectuer sa 1ere visite officielle en France le Lundi 20 juin. Avec le président français, ils auront l’occasion de discuter des nouveaux termes des relations que le président nouvellement élu entend construire avec la Métropole.

Dans la mesure où, les discours souverainistes des leaders du Pastef et les positions très critiques de son aile dure, le mouvement Frapp/France dégage, ont entraîné une certaine méfiance vis-à-vis des nouvelles autorités et la France.

Ousmane Sonko, l’actuel Premier ministre, arrivé troisième à l’élection présidentielle de 2019, est considéré depuis longtemps comme l’une des voix les plus critiques d’Afrique de l’Ouest à l’égard de l’ancienne puissance coloniale. Même s’il a récemment tenté de prendre ses distances vis-à-vis de la propagande anti-française.

Pour rappel, la poussée du sentiment anti-français dans les rues de Dakar, où plusieurs entreprises hexagonales avaient été prises pour cible lors des manifestations de mars 2021 et juin 2023, est toujours fraîche dans la mémoire des citoyens français et sénégalais.

Elu en mars, le président Diomaye Faye ne va fouler le perron de l’Élysée que 3 mois plus tard. Ce premier déplacement à l’extérieur du continent sera très scruté. En effet, les chefs d’État du jadis pré carré français en Afrique avaient pris comme tradition de dédier leur premier déplacement international en France pour chercher l’onction de Paris avant toute tournée internationale.

La France continue de choyer le Sénégal

Pour la France, le Sénégal reste le partenaire traditionnel et stratégique en Afrique de l’Ouest, réputé pour sa stabilité démocratique et qui n’a jusqu’à présent pas été gagné par la contagion jihadiste. ‘’La vitalité [de notre relation] est très forte, affirmait le député Bruno Fuchs, vice-président du Groupe d’amitié France-Sénégal à l’Assemblée nationale en 2022, dans les colonnes de ‘’Jeune Afrique’’. Notre histoire commune est ancienne. Et, en Afrique, le Sénégal reste une référence en matière de respect des institutions et de vie démocratique’’.

De l’esclavage en passant par le néocolonialisme et la colonisation, les liens entre l’Hexagone et le Sénégal ont connu des trajectoires en dents-de-scie. Cette coopération non linéaire est confirmée par le Dr Cheikh Guèye qui s’intéresse aux relations France-Sénégal.

‘’D’une part, elles ont une profondeur historique très importante avec la colonisation et la période postindépendance qui a vu ces relations s’inscrire dans une continuité faite d’hégémonie économique et culturelle multiforme qui se poursuit jusqu’en 2024. Mais depuis quelques années, les termes de cette relation et leur contenu sont très contestés en Afrique francophone en général et au Sénégal en particulier. Sonko et Diomaye incarnent cette nouvelle conscience portée par les jeunesses africaines qui revendiquent une relation de rupture, plus égalitaire et c’est cette ligne qui semble avoir pris le pouvoir le 24 mars 2024’’.

Sous ce rapport, il met en garde ceux qui critiquent cette visite de Mélenchon : ‘’Certains pensent effectivement qu’une visite de Mélenchon si tôt, quelques semaines seulement après l’avènement de Pastef au pouvoir, peut signifier une nouvelle soumission au chef des Insoumis français. Mais moi je pense que la mouvance politique doit trouver des alliances en Europe autant qu’en Afrique, après avoir gagné au Sénégal.’’

Sous l’ère Macky Sall, les relations entre Paris et Dakar sont restées au beau fixe

Pays colonisateur du Sénégal qui a pris son indépendance en 1960 après une lutte de plusieurs années de décolonisation pacifique, pour autant, les deux pays ont gardé des relations intactes, contrairement à d’autres colonies comme l’Algérie dont la rupture avec la France est toujours d’actualité.

De Senghor (1960-1980) à Diouf (1981-2000), les relations sont restées amicales. Cependant, Wade avait tenté de contourner l’Élysée dans la diversification des partenaires traditionnels. Son discours d’ouverture et mondialiste l’avait conduit à échanger avec Téhéran, Pékin, Taipei…

En 2010, le président Wade avait critiqué la décision de Paris de fermer sa base militaire à Dakar. Sous l’ère Macky Sall, les relations entre Paris et Dakar sont restées au beau fixe. Macky Sall était très décrié pour son alignement sur les intérêts de la France, à l’exception de la résolution sur le conflit en Ukraine où il s’était abstenu en mars 2024.

Depuis l’arrivée au pouvoir de Diomaye en mars 2024, c’est une nouvelle histoire qui se dessine. Sous cet angle, le chercheur Cheikh Guèye préconise de nouvelles bases de coopération. ‘’Nous avons besoin de réinventer notre relation avec la France avec des objectifs tournés vers nos propres intérêts et nos propres principes. Nous avons quand même réussi à diversifier nos partenariats, depuis une vingtaine d’années et sommes sortis de l’extrême dépendance qui nous caractérisait dans les années 70 et 80. La France déclare depuis quelques années vouloir tourner la page de sa posture injuste et condescendante avec nos pays, mais je doute qu’elle sache faire autre chose que cela et je ne suis pas sûr qu’elle le veuille vraiment’’, interpelle l’initiateur du Rapport alternatif sur l’Afrique (Rasa).

Dr Cheikh Guèye : ‘’Il va falloir assumer la rupture et les nouvelles amitiés plus conformes à nos intérêts.’’

Dans ce contexte de visite de Mélenchon, une première d’une personnalité politique française, si certains observateurs pensent que le Sénégal a pris la bonne voie en incarnant une relation d’égal à égal, d’autres souhaitent préserver les acquis traditionnels.

Pour le Dr Cheikh Guèye, ‘’il va falloir assumer la rupture et les nouvelles amitiés plus conformes à nos intérêts et plus à même d’influer sur le nouvel agenda que la mouvance souverainiste africaine veut imprimer dans nos relations avec les autres. Je ne pense pas qu’on ira vers un isolement du Sénégal, parce que le parti au pouvoir a rencontré un homme politique français, fût-il Mélenchon. Les relations entre les pays sont beaucoup plus complexes que cela. Je ne pense pas que nous soyons dans une configuration de pays comme le Venezuela ou la Bolivie qui ont été isolés à un moment donné, parce qu’il rejetait l’ordre international’’.

L’Élysée est consciente que le pré carré colonial n’existe plus et elle a perdu son influence dans le giron subsaharien et au-delà, face à la rude concurrence de puissances économiques comme la Russie, la Turquie et la Chine.

Par conséquent, le sentiment anti-français en Afrique subsaharienne a pris de l’ampleur ces dernières années, illustrant une complexité croissante dans les relations entre Paris et ses anciennes colonies. Ce phénomène, bien que variable d’un pays à l’autre, est souvent alimenté par un mélange de griefs historiques, de frustrations économiques et de dynamiques politiques contemporaines.

Source : Enquête Plus

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