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Terres et métaux rares, un enjeu géopolitique?

Les derniers signaux envoyés au secteur par le gouvernement algérien, témoignent d’une volonté de relancer l’activité minière, le lancement des grands projets miniers structurants pour le fer (Gara Djebilet), le zinc et le plomb (Tala Hamza, Bejaia) ainsi que le projet de phosphate intégré (Bled El Hedba, Tébessa) reflètent parfaitement cette politique.

Etiquettes : terres rares, géopolitique, métaux rares. géostratégie, Algérie,

Dr ISSAAD Mouloud, Docteur en géologie et Maitre de conférences au département de Géologie – USTHB

Les terres et les métaux rares sont devenus, ces dernières années, un enjeu géostratégique qui fait courir les grandes puissances économiques du monde. Quel est l’intérêt de ces matières ? Le monde dispose-t-il d’assez de gisements à même de garantir un approvisionnement continue du marché ? Quel est le niveau de véracité des informations faisant état d’un potentiel important de l’Algérie en termes de terres rares ?

Dr ISSAAD Mouloud, Docteur en géologie et maitre de conférences au département de Géologie de l’USTHB, répond, dans cet entretien, et de manière très didactique et très instructive à toutes ces questions et bien d’autres.

La thématique des terres et des métaux rares a émergé durant la dernière décennie et s’est même imposée comme un des dossiers les plus en vue de l’économie mondiale. D’où vient ce subit intérêt pour ces matières devenues un enjeu géostratégique ?

En fait, cet intérêt n’a rien de surprenant car le lien entre industrie et métaux de toutes natures n’a jamais été rompu. Ce que l’on croit être une spécificité de l’ère des nouvelles technologies, n’en est pas du tout en réalité. Depuis plusieurs siècles, les métaux sont au centre des enjeux de développement. Plus près de nous, c’est la consommation en métaux des technologies liées à la transition énergétique tels que l’éolien, le solaire et les batteries, qui accentue la dépendance de l’industrie aux ressources minérales. Ceci est d’autant plus vrai que certains métaux étaient déjà en tension. Ainsi, de manière générale, les technologies « Bas carbone » consomment bien plus de métaux que leurs équivalents conventionnels. A titre d’exemple, selon l’Agence internationale de l’énergie, un véhicule électrique consomme en moyenne six fois plus de métaux qu’un véhicule thermique, soit 66 kg de graphite, 53 kg de cuivre, 40 kg de nickel, 24 kg de manganèse, 13 kg de cobalt, 9 kg de lithium et 0,5 kg de terres rares[1].

S’agissant de la production d’énergie, un site éolien requiert neuf fois plus de métaux qu’une centrale à gaz pour une même production installée. Plus globalement, la demande mondiale pourrait être multipliée par quatre d’ici 2040. Cette demande concerne essentiellement neuf métaux : le lithium, le graphite, le cobalt, le nickel, le manganèse, les terres rares, le molybdène, le cuivre et l’aluminium. Les besoins ne sont pas les mêmes et varient d’un élément à un autre, ainsi la demande en lithium pourrait être multiplié par 42 entre 2020 et 2040, celle en nickel par 19 et celle en cuivre par trois au cours de la même période. Le tableau brossé ci-dessus serait incomplet s’il n’incluait pas le rôle de certains pays émergents et particulièrement celui de la Chine. Si depuis le début des années 2000, nous assistons à une explosion de la demande mondiale en métaux, celle-ci est essentiellement soutenue par la Chine.

En 2022, l’empire du Milieu représentait plus de la moitié de la consommation mondiale de cuivre (57%), d’aluminium (62%), de nickel (58%) et de fer (51%)[2]. Mais pour éviter de donner à la Chine un simple rôle de pays consommateur, il faut voir plus large pour comprendre la stratégie chinoise dans les filières industrielles liées aux énergies renouvelables et la place que le pays veut prendre dans l’échiquier mondial. Dotée de ressources naturelles riches et variées, la Chine est depuis longtemps un grand producteur de métaux. S’il est vrai que beaucoup pays à vocation minière occupent une place tout aussi centrale dans le marché mondial des métaux, la Chine est le seul pays à avoir une production conséquente et diversifiée à la fois. Ainsi, à elle seule la Chine cumule 30 % de la production mondiale de huit minerais et jusqu’à 70 % de cinq d’entre eux[3].

Les limites géologiques étant inévitables, la Chine a très rapidement cherché à compléter sa production et à sécuriser ses approvisionnements avec une politique d’investissement à l’internationale très ambitieuse. Selon l’American Enterprise Institute, les IDE chinois dans le secteur des métaux ont atteint près de 125 milliards de dollars entre 2005 et 2021, soit l’équivalent, à une dizaine de milliards près, de la valeur actualisée du plan Marshall3. Cette politique a fini par payer puisque les entreprises chinoises ont pu mettre la main sur 60 % de la production mondiale de lithium, près de la moitié de la production de cobalt de la République Démocratique du Congo et jusqu’à 40 % de la production brésilienne de niobium.

Enfin, pour asseoir sa domination dans les filières « bas carbone », la Chine a considérablement renforcé ses capacités de raffinage à tel point qu’elle en est désormais le leader mondial. Avec une législation environnementale plus souple et un dumping social conséquent, Pékin a fini par évincer la concurrence internationale pour assurer le raffinage de 80 % des métaux entrant dans la fabrication des batteries. Bref, la place de la Chine actuellement n’est que le fruit d’une vision claire et cohérente allant du minerai brut à l’industrie.

Du fait de la nouveauté de cette question, on confond souvent terres rares et métaux rares. Pouvez-vous nous expliquer la différence entre les deux concepts ?

En effet, il existe une confusion dans les termes utilisés ce qui rend difficile la compréhension de certains aspects spécifiques à ces questions, à commencer par une question simple, c’est quoi un minerai ? Un minerai est une roche contenant un ou plusieurs minéraux ayant un intérêt économique prouvé avec des concentrations suffisantes pour être exploité de manière rentable. Pour rappel, un minéral est un composé chimique inorganique caractérisé par un agencement de ses atomes selon une structure géométrique particulière et répétitive. Si ce dernier est composé d’éléments métalliques, il est dit, minerai métallifère. Si nous prenons en compte uniquement la classification périodique des éléments, ou tableau de Mendeleïev, la famille des métaux parait un peu contre intuitive pour les profanes car elle inclut énormément d’éléments chimiques peu connus, tels que le lithium ou le béryllium.

Ainsi, pour simplifier les choses nous utiliserons deux concepts plus techniques, à savoir leur abondance et leur utilisation. Les métaux les plus abondants sont ceux ayant une concentration supérieure à 0.1 % tels que le silicium, le calcium, le sodium ou le fer. Les métaux rares titrent entre 0.1 et 0.0001% tels que le cuivre, le plomb ou le zinc[4]. Enfin, les métaux très rares sont à moins de 0.0001%, les plus connus étant l’or, l’argent et le platine. A ce stade, il est très important de ne pas confondre les terres rares et les métaux rares (ou minerais rares). Les terres rares correspondent à un groupe spécifique de métaux du tableau de Mendeleïev, qui comprend les lanthanides, l’yttrium et, selon les classifications, le scandium. Il ne s’agit aucunement d’un terme technico-économique relatif à leur abondance.

En effet, d’un point de vue géologique, plusieurs métaux du groupe des terres rares sont relativement abondants dans l’écorce terrestre, autant que certains métaux usuels tels que le plomb ou le cuivre et bien plus que l’or et l’argent. Cependant, peu de gisements de terres rares sont exploitables d’un point de vue économique. Enfin, il est possible d’établir une classification des métaux selon les usages et les applications industrielles. Ainsi, la catégorie la plus connue correspond aux métaux de base, tels que le fer, le plomb ou le zinc. Ils sont utilisés dans énormément d’industries, telles que l’automobile, l’aéronautique où le bâtiment. Autre catégorie, les métaux liés à l’industrie nucléaire tels que l’uranium ou le thorium. Enfin, nous pouvons parler aussi de métaux technologiques, s’agissant de ceux indispensables aux industries de pointe et à la micro-informatique. Cette classification reste très flexible car les applications industrielles des métaux évoluent au gré des besoins et des avancées de la recherche scientifique.

Qu’en est-il des réserves mondiales de ces matières ? Dans quelle mesure peuvent-elles répondre à la demande de plus en plus pressante de l’industrie mondiale ?

Selon le rapport, Mineral Commodity Summaries[5] publié en 2022 par le service géologique américain (USGS) les réserves mondiales en terres rares s’élèvent à près de 120 millions de tonnes (Mt). Selon les données publiées par l’USGS, la Chine renferme une bonne partie de ces réserves à savoir 44 Mt, viennent ensuite le Brésil, le Vietnam et la Russie avec pour chaque pays plus de 21 Mt de réserves. Enfin de nombreux autres pays possèdent des réserves assez intéressantes dépassant le million de tonnes, à l’image des Etats Unis d’Amérique (1.8 Mt), de l’Inde (6.9 Mt) où du Groenland (1.5 Mt). En termes de production, comme expliqué précédemment, la Chine possède une avance considérable et ceci vaut pour toute la filière aval. Elle produit annuellement 168 000 t de terres rares pour une production mondiale de 280 000 t. En termes de produit fini, l’avance est tout aussi considérable vue qu’elle assure 85 % de la production mondiale d’aimants permanents[6] principale application des terres rares. Au vu des réserves disponibles, il serait plus pertinent de parler de criticité que de pénurie de la ressource.

Cette notion renvoie aux contraintes géologiques, géopolitiques, économiques et socio-environnementales qui pourraient s’exercer sur certains métaux ayant des applications industrielles et stratégiques, telles que l’armement ou la production d’énergie. Ajouté à cela, ces métaux n’ont pas de substitut et présentent un potentiel de recyclage faible. Pour les terres rares, deux éléments reflètent parfaitement cette criticité. Il s’agit du néodyme et du dysprosium. En termes de réserves, les données connues correspondent en moyenne à 400 ans de production (Consommation référence 2014) et à 50 ans pour une croissance annuelle de 6 % (Croissance moyenne sur les dix dernières années). Néanmoins, certaines contraintes rendent la situation critique. En effet, ces deux éléments ne sont pas recyclables (moins de 1 %) et non substituables sans perte de performance dans les aimants permanents. Ajouté à cela l’hyper concentration géographique de la ressource autour de la Chine.

Certaines publications prêtent à l’Algérie un potentiel important en termes de terres rares. Quelle est la réalité de ces réserves ? L’Algérie a-t-elle les moyens d’exploiter ces réserves ?

A l’heure actuelle, dans le milieu de la géologie des ressources minérales en Algérie, les terres rares sont plutôt considérées comme des objectifs de prospection préliminaire et de recherche académique. Aucun projet minier d’exploitation n’est en cours de développement pour le moment. Une mission de reconnaissance organisée au cours du mois d’avril 2024 par les services du ministère de l’Energie et des Mines dans le Hoggar a conclu que le potentiel connu est fort intéressant et mérite des études plus poussées. En prenant en compte les spécificités de la recherche minière, je dirai qu’il nous reste au moins une quinzaine d’années de prospection et d’exploration pour en savoir plus. Proclamer n’importe quel chiffre sans fournir de sources détaillées va à l’encontre de la transparence requise par l’industrie minière. Il est improbable qu’une entreprise investisse des dizaines de millions de dollars sur de simples hypothèses farfelues.

Il est important de souligner que mon propos concerne exclusivement les terres rares, et non l’ensemble des métaux rares déjà prospectés dans le Hoggar notamment. Certains métaux stratégiques, tels que l’étain, le tungstène, le béryllium, le tantale ou le niobium, font l’objet de très nombreux travaux et représentent des ressources prometteuses pour d’éventuels projets miniers d’envergure. À mon sens, c’est sur ces métaux critiques que nous devrions concentrer nos efforts en priorité. Les réserves mondiales actuellement exploitables ne permettent que 17 ans de production pour l’étain, 18 ans pour le zinc et 36 ans pour le tungstène alors que l’Algérie possède de nombreux gisements de ces métaux. C’est pourquoi il est essentiel de cibler l’ensemble des métaux stratégiques et critiques, sans se limiter uniquement au lithium ou aux terres rares.

Quelle est d’après-vous la meilleure façon de tirer profit de cette ressource ?

La question minière en Algérie est très vaste et nécessite beaucoup de temps pour être expliquée. Sans s’attarder sur le passé et notamment l’impact de la décennie noire sur le secteur nous devons tous réfléchir et travailler à promouvoir ce secteur pour qu’il soit à la hauteur de nos aspirations. Les derniers signaux envoyés au secteur par le gouvernement, témoignent d’une volonté de relancer l’activité minière, le lancement des grands projets miniers structurants pour le fer (Gara Djebilet), le zinc et le plomb (Tala Hamza, Bejaia) ainsi que le projet de phosphate intégré (Bled El Hedba, Tébessa) reflètent parfaitement cette politique. Pour tirer profit de ces ressources, il serait grand temps de développer un ensemble d’orientations stratégiques que nous pourrions appeler vision minière algérienne. La mise en place d’un tel cadre permettrait de donner aux acteurs publics, privés nationaux et étrangers une vision claire et cohérente de la place de l’industrie minière dans le développement du pays et des moyens mis en place pour son épanouissement.

Les axes à développer sont nombreux, il s’agit notamment de l’amélioration de l’infrastructure géologique par le biais de la recherche minière et de la recherche académique sur la géologie des ressources minérales. Nous pouvons citer aussi l’amélioration de l’attractivité minière du pays par l’élaboration d’un cadre légal adapté aux enjeux futurs. Les projets miniers étant fort impactant, il faudra aussi améliorer leur acceptabilité sociale notamment dans le nord du pays. Ceci passe par la prise en charge la question des impacts environnementaux afin qu’ils ne constituent pas un frein aux projets miniers. Enfin, il faudra réfléchir à la place des acteurs privés nationaux dans la recherche minière en favorisant aussi l’inclusion des expertises internationales. Bref, l’élaboration d’un tel programme est un défi titanesque qui doit mobiliser tous les acteurs du secteur, mais qui, une fois relevée, sera le point de départ de la relance tant attendue.

[1] Source : « Comparison of EV motors, the EV sector’s demand of commodities and the Chinese market influence – A brief review », Geological Survey of Finland Mineral Economy Solutions, June 2023

[2] https://www.globalsov.com/wp-content/uploads/2023/10/23.09.21-Chine-et-matieres-premieres-GSA.pdf

[3] Bonnet T., Grekou C., Hache E. et Mignon V., Métaux stratégiques : la clairvoyance chinoise, La Lettre du CEPII, n° 428, juin 2022

[4] https://tinyurl.com/3vuh6hku

[5] https://pubs.usgs.gov/periodicals/mcs2022/mcs2022-rare-earths.pdf

[6]https://www.mineralinfo.fr/fr/ecomine/marche-des-terres-rares-2022-filieres-dapprovisionnement-aimants-permanents#:~:text=La%20Chine%2C%20qui%20repr%C3%A9sente%20d%C3%A9j%C3%A0,son%20positionnement%20sur%20ces%20march%C3%A9s.

Source : Réveil d’Algérie

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