La Russie étend son influence au Sahel avec sa nouvelle entité : Africa Corps

Ce qui ne fait aucun doute, c'est que la participation russe a aidé et que les forces armées du Sahel, comme c'est le cas du Mali, disposent aujourd'hui d'un équipement meilleur", affirme Amid Bencherif, chercheur spécialiste du Sahel.

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Après s’être consolidée au Mali, Moscou renforce sa collaboration avec le Burkina Faso et le Niger à travers une structure armée dépendante du ministère de la Défense pour remplacer le groupe Wagner.

José Naranjo

La Russie étend son influence et sa présence militaire au Sahel à un rythme sans précédent. Après s’être consolidée au Mali, où les mercenaires de Wagner ont joué un rôle décisif dans la reconquête de Kidal par l’armée nationale contre les rebelles touaregs le mois dernier, Moscou pose maintenant les bases de son déploiement au Burkina Faso et négocie avec le Niger pour devenir son allié militaire. À cette fin, le gouvernement russe a créé une nouvelle structure militaire, dépendant du ministère de la Défense et appelée Africa Corps, avec l’intention de remplacer Wagner. Ainsi, ils passeront d’un modèle de société privée décentralisée à une formule impliquant un contrôle plus direct de l’État. Parallèlement, début décembre, l’ONU a officiellement annoncé son retrait complet du Mali après la remise de la base de Mopti aux autorités maliennes.

Le 14 novembre dernier, après de violents combats contre les rebelles touaregs, l’armée malienne entrait triomphante dans la ville de Kidal, un bastion des indépendantistes qui échappait depuis plus d’une décennie au contrôle de l’État. Cependant, les soldats maliens n’étaient pas seuls : environ 600 mercenaires de Wagner faisaient partie du vaste convoi qui partait de Gao pour la reconquête. Dans diverses vidéos circulant sur les réseaux sociaux, on pouvait les voir à bord de véhicules blindés circulant dans la ville après sa chute. Quelques jours plus tard, un drapeau arborant le logo de Wagner flottait sur le fort de Kidal jusqu’à ce qu’il soit retiré par les autorités maliennes, qui préfèrent maintenir un discours patriotique attribuant le rôle principal de l’opération à leurs propres forces armées.

« Est-ce que l’armée malienne aurait pu reconquérir la région de Kidal seule ? Qui sait. Ce qui ne fait aucun doute, c’est que la participation russe a aidé et que les forces armées du Sahel, comme c’est le cas du Mali, disposent aujourd’hui d’un équipement meilleur », affirme Amid Bencherif, chercheur spécialiste du Sahel. La présence des mercenaires de Wagner sur le sol malien est avérée depuis au moins décembre 2021, ainsi que leur participation à de nombreuses opérations antiterroristes, en particulier dans le centre du pays. L’armement russe afflue au Mali depuis lors, et le colonel Assimi Goïta, leader de la junte militaire malienne, a attiré beaucoup d’attention de la part de Vladimir Poutine lui-même lors du sommet Russie-Afrique qui s’est tenu en juillet dernier.

Cependant, la mort de Ievgueni Prigojine, chef de Wagner, après s’être rebellé contre le président russe, a changé la manière dont ce pays apporte son soutien militaire à ses alliés africains. Le 22 novembre dernier, une annonce de recrutement pour une structure appelée Africa Corps apparaissait sur Telegram, se présentant comme le nouveau bras armé de la Russie sur le continent, directement lié au ministère de la Défense. Selon l’association All Eyes on Wagner, spécialisée dans les activités de cette compagnie, « Africa Corps servirait de couverture commode pour accueillir le personnel opérationnel du ministère de la Défense russe, mais aussi de ses services de sécurité, avec une autonomie bien plus limitée que le groupe Wagner et sans une figure forte ».

La proximité du Burkina Faso et du Niger

Le Burkina Faso se rapproche également de la Russie. Le 10 novembre dernier, un avion de l’armée russe atterrissait à l’aéroport de Ouagadougou. Une vingtaine de militaires descendaient de l’appareil et s’installaient dans un luxueux hôtel de la capitale burkinabè, selon diverses sources. Pour la première fois, et après un an de rumeurs, des militaires russes étaient vus sans détour dans une usine de produits chimiques et se laissaient photographier dans le laboratoire de substances contre les fièvres hémorragiques virales de Bobo-Dioulasso, la deuxième ville du pays. Quelques jours plus tôt, la télévision publique de ce pays africain diffusait un reportage sur la lutte contre le jihadisme dans la région centre-nord, dans lequel un capitaine de l’armée arborait deux grands logos de Wagner cousus sur son uniforme, selon All Eyes on Wagner.

Bien que le capitaine Ibrahim Traoré, homme fort de la junte militaire burkinabè, ait choisi depuis son arrivée au pouvoir de renforcer ses propres capacités pour la lutte antijihadiste, en menant un recrutement intense, voire forcé, tant pour ses forces armées que pour les controversés Volontaires de la Défense de la Patrie (VDP), il a également reconnu à plusieurs reprises la nécessité d’obtenir un soutien international dans cette lutte, surtout en termes de moyens matériels. Tout comme Goïta, le dirigeant burkinabè a eu plusieurs entretiens avec Vladimir Poutine lors du sommet de Saint-Pétersbourg et par la suite par téléphone, et les délégations militaires russes et burkinabè se sont rencontrées à de multiples reprises au cours de la dernière année.

Au Niger, où une junte militaire gouverne également depuis l’été dernier, les nouvelles autorités ont dénoncé lundi dernier les accords de défense les liant à l’Union européenne. Ce même jour, le vice-ministre de la Défense russe, Iounous-Bek Evkourov, s’est réuni à Niamey avec le général Abdourahmane Tchiani, président nigérien, et le général Salifou Mody, ministre de la Défense. Les réunions avaient pour objectif « le renforcement de la coopération entre les deux pays dans le domaine de la Défense », selon un communiqué du gouvernement nigérien. « Il est évident qu’il y a une stratégie [de la Russie] pour étendre son influence », affirme Bencherif, tout en visant à entraver l’influence occidentale.

Cette expansion russe intervient après que les autorités du Mali, du Burkina Faso et du Niger aient expulsé les soldats français de leurs territoires respectifs et créé l’Alliance des États du Sahel, une organisation d’entraide et de coopération militaire née en pleine menace d’intervention militaire contre le Niger par le reste des pays de la région. Les trois États collaborent également sur le plan économique et commercial pour contrer les sanctions auxquelles ils sont soumis par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). La mission de l’ONU au Mali a également été contrainte de faire ses valises à la demande de la junte militaire.

Pendant ce temps, le jihadisme reste très actif dans la région depuis plus d’une décennie, avec pour acteurs principaux les branches locales d’Al-Qaïda et de l’État islamique. L’attaque massive lancée fin novembre contre la ville de Djibo, dans le nord du Burkina Faso, repoussée par l’armée et ayant causé au moins 22 soldats et des dizaines de terroristes tués, ainsi que les attaques plus récentes des jihadistes dans plusieurs villes maliennes comme Ménaka, attestent de leur capacité opérationnelle. La semaine dernière, l’alliance antijihadiste G5 du Sahel, soutenue par l’Occident, a entamé son processus de dissolution.

Source : El País, 23/12/2023

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