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Le dernier poème du poète palestinien Refaat Alareer, tué par Israël. « Si je dois mourir, tu dois vivre pour raconter mon histoire. Si je dois mourir/que cela amène l’espoir/qu’il en naisse un récit », a-t-il écrit dans la ville de Gaza ravagée par les bombes israéliennes.
L’écrivain Refaat Alareer avait partagé, début novembre, ce poème en anglais sur son compte X. Le 6 décembre, en fin d’après-midi, il a été tué dans un bombardement israélien. Il avait 44 ans. Son frère, sa sœur et quatre de leurs enfants ont été emportés avec lui. Le reste de sa famille a été tué dans des bombardements précédents.
Si je dois mourir, tu dois vivre
pour raconter mon histoire
pour vendre mes affaires
pour acheter un bout de tissu
et quelques morceaux de ficelle,
(fais en sorte qu’il soit blanc avec une longue queue)
pour qu’un enfant, quelque part Ă Gaza
en regardant le ciel dans les yeux
attendant son papa emporté dans une explosion
sans faire ses adieux Ă personne
pas mĂŞme Ă sa chair,
pas mĂŞme Ă lui-mĂŞme
voie le cerf-volant,
mon cerf-volant que tu as fait,
voler au-dessus de lui
et pense, un instant,
qu’un ange est lĂ .
Pour ramener l’amour.
Si je dois mourir,
que cela ramène l’espoir.
Que cela devienne un conte.
En octobre, Refaat Alareer hésitait à rester chez lui au cœur de la ville de Gaza ou à fuir plus au sud avec sa femme et ses six enfants.
Alors que des avions de guerre israĂ©liens bombardaient le nord de Gaza, les Forces de dĂ©fense israĂ©liennes (FDI) demandaient aux civils d’Ă©vacuer immĂ©diatement leurs domiciles et de se diriger vers le sud.
Des civils comme Alareer Ă©taient confrontĂ©s Ă une situation impossible. Rester Ă la maison et risquer d’ĂŞtre tuĂ©, ou essayer de fuir sans protection. Ă€ l’Ă©poque, le Ă©crivain et universitaire de 44 ans avait dĂ©clarĂ© Ă CNN que lui et sa famille n’avaient d’autre choix que de rester dans le nord, car ils « n’avaient nulle part ailleurs oĂą aller ».
« C’est une image archĂ©typale palestinienne d’une discussion, d’un dĂ©bat sur le fait de rester dans une seule pièce, afin que si nous mourons, nous mourions ensemble, ou de rester dans des pièces sĂ©parĂ©es, afin qu’au moins quelqu’un puisse survivre », a-t-il dit.
Professeur de littĂ©rature comparĂ©e Ă l’UniversitĂ© islamique de Gaza, Alareer Ă©tait cĂ©lèbre pour son rĂ´le dans la chronique des expĂ©riences des habitants de Gaza. Il a jouĂ© un rĂ´le clĂ© dans l’encouragement de jeunes Ă©crivains palestiniens et les a aidĂ©s Ă raconter leurs histoires en anglais, selon des amis et des collègues.
Alareer a parlĂ© Ă CNN depuis la ville de Gaza les 12 et 13 octobre. Il a donnĂ© son consentement par Ă©crit pour partager l’enregistrement en cas de son dĂ©cès.
Des semaines plus tard, le 7 décembre, Alareer a été tué par une frappe à Shajaiya, dans le nord de Gaza, a confirmé son ami et collègue, Jehad Abusalim, à CNN. Il séjournait avec son frère, sa sœur et ses quatre enfants, qui ont également été tués, selon Abusalim, écrivain de 35 ans basé à Washington, DC.
Il laisse derrière lui sa femme et des enfants âgĂ©s de 7 Ă 21 ans. CNN n’a pas pu joindre les membres de la famille d’Alareer.
En 2014, Alareer a Ă©ditĂ© « Gaza Writes Back », une collection de nouvelles d’Ă©crivains jeunes documentant leur vie sous le blocus israĂ©lien. Il Ă©tait Ă©galement co-Ă©diteur de « Gaza Unsilenced », une collection d’essais, de photos et de poĂ©sie publiĂ©e en 2015 qui documentait la douleur, la perte et la foi des Palestiniens sous le siège israĂ©lien. Il a Ă©galement contribuĂ© à « Light in Gaza: Writings Born of Fire », une anthologie publiĂ©e en 2022. Originaire de la ville de Gaza, il a Ă©tudiĂ© Ă University College London et Ă SOAS, Ă Londres.
Il a été co-fondateur de « We Are Not Numbers », une organisation à but non lucratif qui vise à amplifier les voix des jeunes Palestiniens vivant à Gaza et dans les camps de réfugiés.
« Nous avons la foi, nous croyons que nous avons une cause juste, une cause juste, pour lutter pour la libertĂ©, pour les droits fondamentaux de l’homme. On nous a dĂ©pouillĂ©s de cela », a-t-il dĂ©clarĂ© Ă CNN.
IsraĂ«l a lancĂ© son opĂ©ration militaire Ă Gaza dans le but dĂ©clarĂ© d’Ă©liminer le Hamas et de sauver les plus de 240 otages pris lors de l’attaque du groupe militant le 7 octobre, qui a fait plus de 1 200 morts en IsraĂ«l.
Les frappes israĂ©liennes ont jusqu’Ă prĂ©sent tuĂ© environ 17 700 Palestiniens Ă Gaza du 7 octobre au 9 dĂ©cembre, selon un rapport publiĂ© dimanche par le ministère de la SantĂ© palestinien Ă Ramallah. Le rapport cite des sources mĂ©dicales de l’enclave contrĂ´lĂ©e par le Hamas. Au moins 70% des personnes tuĂ©es Ă Gaza Ă©taient des femmes, des enfants et des personnes âgĂ©es, indique le rapport.
CNN ne peut pas confirmer de manière indépendante le nombre de morts et de blessés à Gaza, mais dimanche, les Forces de défense israéliennes ont déclaré avoir frappé plus de 22 000 cibles à Gaza depuis le 7 octobre.
Les FDI affirment chercher Ă minimiser les pertes civiles et accusent le Hamas de se retrancher dans des infrastructures civiles. Le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de l’ONU, AntĂłnio Guterres, a averti qu’il n’y a « aucune protection effective des civils » Ă Gaza.
Des groupes de dĂ©fense des droits de l’homme ont dĂ©clarĂ© que les attaques d’IsraĂ«l contre les civils constituent un crime de guerre, tout comme leur Ă©vacuation forcĂ©e.
Pendant son entretien avec CNN, Alareer a appelĂ© la communautĂ© internationale Ă voir « l’humanité » du peuple palestinien, ajoutant : « Ressentez leur douleur. Mettez-vous Ă leur place. »
Il avait Ă©crit un poème anticipant qu’il pourrait ĂŞtre tuĂ©, intitulĂ© « Si je dois mourir. »
Suite Ă la mort d’Alareer, des veillĂ©es ont Ă©tĂ© organisĂ©es Ă New York et Ă Londres pour honorer sa mĂ©moire.
Bien que la mort d’Alareer soit en deuil parmi les Palestiniens, certains de ses commentaires ont suscitĂ© des critiques. Dans une interview Ă la BBC, il a dĂ©crit les attaques du 7 octobre comme « une attaque prĂ©ventive de la rĂ©sistance palestinienne » qui Ă©tait « lĂ©gitime et morale. »
Souvenirs de guerre
Les civils de Gaza ne sont pas Ă©trangers Ă la menace de la mort, ayant vĂ©cu des annĂ©es sous le siège. Alareer a dĂ©clarĂ© que les rĂ©centes frappes israĂ©liennes sur l’enclave palestinienne ont rĂ©veillĂ© ses premiers souvenirs de guerre.
Né à Shajaiya, dans la partie est de la ville de Gaza, il a déclaré que sa famille avait été contrainte de déménager dans la région de Tel-al-Hawa à Gaza, après la destruction de leur maison par un bombardement israélien lors de la guerre de 2014, qui a également coûté la vie à son frère cadet Hamada, âgé de 27 ans.
« C’est quelque chose dont nous ne parlons pas. Nous ne voulons mĂŞme pas penser Ă comment ces enfants, ces maisons, ces vies sont dĂ©truites encore et encore tous les quelques annĂ©es », a-t-il rappelĂ©.
Le bruit des frappes sur un bâtiment donne l’impression que « la terre entière rĂ©sonne », a-t-il dit.
« MĂŞme le claquement d’une porte parfois vous ramène ces souvenirs », a-t-il dit. « C’est pourquoi nous disons gĂ©nĂ©ralement qu’il n’y a pas de traumatisme post-guerre pour les Palestiniens. C’est incessant. »
Neuf ans plus tard, Alareer a dĂ©clarĂ© ressentir, tout comme de nombreux autres parents de Gaza, « impuissance et dĂ©sespoir » car ils n’ont aucun moyen de se protĂ©ger, ni eux ni leurs enfants, des frappes persistantes d’IsraĂ«l.
Il a décrit le traumatisme émotionnel et physique subi par les enfants palestiniens sous les bombardements.
« Les choses commencent généralement par une peur totale les premiers jours », a-t-il dit. « Cela se transforme ensuite en engourdissement plus tard, en indifférence totale, en soumission totale.
« Si vous voulez prier, vous raccourcissez parce qu’il y a des bombardements autour. Si vous voulez manger, vous arrĂŞtez de manger parce qu’il y a des bombardements autour.
« Vous voulez prendre vos enfants dans vos bras comme d’habitude, ou leur raconter des histoires ou les caresser sur la tĂŞte », a-t-il dit. « Mais vous ne voulez pas le faire parce que vous ne voulez pas ressentir, ou les faire sentir, que c’est comme un adieu.
« Nous comptons les années en fonction du nombre de guerres que nos enfants survivent. »
Il avait Ă©tĂ© un critique vocal d’IsraĂ«l et une source de commentaires qui ont offensĂ© des personnes en dehors de Gaza, acceptant de nombreuses interviews pour dĂ©fendre les droits des Palestiniens.
Dans son interview Ă la BBC dĂ©fendant les attaques du 7 octobre, Alareer les a comparĂ©es au soulèvement du ghetto de Varsovie en 1943, qui a reprĂ©sentĂ© le plus grand effort de rĂ©sistance juive pendant l’Holocauste.
Suite Ă ses commentaires, un porte-parole de la BBC a dĂ©clarĂ© que ses commentaires « étaient offensants et nous n’avons pas l’intention de le rĂ©utiliser (en tant que commentateur). »
Il a ensuite accusĂ© IsraĂ«l de fabriquer des preuves d’agression sexuelle par le Hamas le 7 octobre. CNN a rapportĂ© des tĂ©moignages de survivants affirmant avoir directement Ă©tĂ© tĂ©moins de violences sexuelles ou avoir vu des preuves claires.
‘Figure imposante dans la sociĂ©tĂ© palestinienne’
Alareer a commencĂ© Ă enseigner la littĂ©rature, l’Ă©criture crĂ©ative, la poĂ©sie, la traduction et Shakespeare Ă l’UniversitĂ© islamique de Gaza en 2007. Il se dĂ©crivait comme Ă©crivain et Ă©ducateur.
Sa mort jeudi a suscitĂ© des hommages de la part d’amis, de collègues et d’Ă©tudiants Ă travers le monde.
Ra Page, 51 ans, est un éditeur et fondateur de Comma Press, à Manchester, en Angleterre. Il a travaillé avec Alareer sur de nombreux projets littéraires et ateliers au fil des ans. Ils se sont rencontrés en personne à Gaza City en août 2022.
« Mes souvenirs les plus chers sont de sauter dans sa voiture hilarante – certainement la plus petite, la plus excentrique, peut-ĂŞtre la plus ancienne voiture de Gaza – et de conduire en Ă©coutant des livres audio et des podcasts avec lui. Il adorait la littĂ©rature audio », a dĂ©clarĂ© Page Ă CNN vendredi.
« Le dĂ©crire ; il Ă©tait gĂ©nĂ©reux, par-dessus tout. Gracieux, doux, patient, drĂ´le. Il avait un sens de l’humour malicieux », a ajoutĂ© Ra Page.
« Il soutenait toujours les autres, avant lui-mĂŞme. Il Ă©tait un grand Ă©crivain, mais sa mission Ă©tait de mettre en avant et de soutenir d’autres Ă©crivains. »
Alareer Ă©tait une « figure imposante dans la sociĂ©tĂ© palestinienne », a dĂ©clarĂ© Abusalim, l’Ă©crivain et ami basĂ© Ă Washington, DC.
« La vie de Refaat n’Ă©tait pas sans ses dĂ©fis. MalgrĂ© les tragĂ©dies personnelles et les dures rĂ©alitĂ©s de la vie Ă Gaza, il est restĂ© inĂ©branlable, utilisant sa plume et sa voix pour riposter, pour Ă©crire en retour », a-t-il dit Ă CNN.
« Son enseignement ne consistait pas seulement Ă transmettre des connaissances ; c’Ă©tait une question de responsabilisation, d’utiliser le langage comme une arme contre l’oppression », a ajoutĂ© Abusalim.
Laila El-Haddad, une journaliste et auteure de Gaza basĂ©e dans le Maryland, a dĂ©clarĂ© qu’Alareer avait « élevĂ© toute une gĂ©nĂ©ration d’Ă©crivains palestiniens Ă Gaza ».
Il leur a appris « comment utiliser l’anglais, la langue des pays responsables et complices de leur dĂ©possession, gĂ©nocide et blocus, pour raconter leurs propres histoires », a ajoutĂ© El-Haddad, 45 ans.
Rawan Yaghi, qui a Ă©tĂ© enseignĂ©e par Alareer et est maintenant une Ă©crivaine de 30 ans basĂ©e au Canada, a dĂ©clarĂ© qu’il Ă©tait un « leader de la rĂ©sistance littĂ©raire ».
« Son amour pour la narration Ă©tait contagieux. Il Ă©tait une force du bien, de persĂ©vĂ©rance, d’amour, de camaraderie », a-t-elle dit Ă CNN.
« Nous nous souvenons et perpĂ©tuons l’hĂ©ritage de Refaat. Refaat le conteur, le père, le mari, le fils, le professeur et l’ami. »
Avec CNN
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