Conséquences du conflit de Gaza sur l’Afrique du Nord (Think tank)

les pays occidentaux devraient prendre en considération les tensions persistantes en Afrique du Nord pour rendre leur processus décisionnel concernant les événements à Gaza plus précis et plus holistique.

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Par Karim Mezran

Dans le paysage mondial actuel en constante évolution, l’attention du monde entier est directement concentrée sur la guerre entre Israël et le Hamas, ce qui suscite des inquiétudes quant à ses éventuelles retombées au Moyen-Orient. Cependant, l’évolution des développements politiques et économiques en Afrique du Nord mérite sa part d’attention, car ils pourraient bientôt occuper le devant de la scène s’ils sont ignorés ou mal interprétés.

Les chercheurs ont souligné à plusieurs reprises l’importance d’une rive sud stable et tournée vers l’avenir – les pays d’Afrique du Nord – pour l’évolution pacifique des régimes politiques de l’Europe du Sud. Malheureusement, cette possibilité est plus éloignée que jamais et la situation actuelle pourrait rapidement empirer.

Tout d’abord, la rivalité maroco-algérienne, toujours centrée sur la question du territoire contesté du Sahara occidental, a poussé les deux pays à s’engager dans une course aux armements qui dure depuis des décennies . Cette question de sécurité, qui concerne avant tout la puissance et la légitimité des deux pays, pourrait très bien conduire à un affrontement militaire. Ce différend sur le Sahara occidental est un prétexte pour avoir un ennemi à la frontière et justifie le pouvoir des classes dirigeantes en Algérie et au Maroc.

Néanmoins, ces dernières années, des efforts ont été déployés pour rapprocher le Maroc et l’Algérie, comme la réouverture des frontières et l’établissement d’une relation diplomatique directe. Beaucoup d’espoir a été suscité par diverses populations arabes de la région au cours de la période du Printemps arabe de 2011. Dans le même ordre d’idées, Marocains et Algériens partageaient un vif intérêt pour le renforcement des liens. Avec le début du processus de démocratisation dans leurs pays respectifs, les citoyens aspiraient à faire pression sur leurs gouvernements pour les amener à un rapprochement.

Toutefois, ce vœu pieux n’a pas duré longtemps et d’autres motifs de confrontation sont apparus récemment. Tout d’abord, en 2020, la normalisation de certains États arabes avec Israël (dont le Maroc) a créé de fortes tensions au sein de l’Algérie, entraînant une réaction radicale qui l’a poussée à se joindre à des États comme la Libye, l’Irak, l’Iran et la Syrie pour s’opposer aux accords de l’époque.

Les conséquences de la réponse algérienne sont importantes dans le contexte de la guerre en cours entre Israël et le Hamas, en particulier pour l’Italie et d’autres pays européens qui en sont venus à compter sur le gaz algérien comme substitut au gaz russe. La migration irrégulière en provenance de Libye, de Tunisie et d’Algérie frappe l’Italie depuis des années et est susceptible de s’intensifier à mesure que les tensions entre ces pays ne sont toujours pas résolues.

Par ailleurs, en Tunisie, le président nouvellement élu Kais Saied a centralisé tous les pouvoirs constitutionnels, tournant le pays vers l’autoritarisme. Mais ce qui pourrait être plus dangereux, c’est que la Tunisie tombe dans les bras de son puissant voisin : l’Algérie. Plus la Tunisie s’enfonçait dans sa crise économique et politique, plus le président Saied avait besoin pour son développement politique et économique d’un soutien qui ne soit pas conditionné par les pays occidentaux.

Cette question suscite également des inquiétudes en Égypte, qui s’efforce d’étendre son régime militaire et politique à sa voisine Libye, ravagée par la guerre civile. Les troubles et les conséquences négatives aux frontières occidentales de l’Égypte ont été partiellement évités en soutenant l’un de leurs mandataires et le dirigeant des provinces orientales de la Libye : le général Khalifa Haftar. L’homme fort, soutenu par les mercenaires russes du Groupe Wagner, a réussi à rétablir un niveau d’ordre modéré grâce à une guerre sanglante contre tous les clans et tribus opposés – qu’il a qualifiés comme terroristes islamistes – ainsi qu’en instaurant un règne de terreur dans le pays.

Cependant, cela n’a pas été remarqué jusqu’à la tragédie des inondations du 9 septembre dans la province de Derna, qui ont tué environ dix mille personnes. Aujourd’hui, beaucoup commencent à remettre en question l’implication de Haftar et, plus précisément, de ses six fils dans les domaines militaire et économique de la province. Depuis lors, des affrontements ont eu lieu et la possibilité d’une révolte des tribus et de la population urbaine augmente de jour en jour.

Le dictateur égyptien Abdel Fattah Al-Sissi pourrait tenter d’intervenir directement pour calmer la région frontalière. Il ne fait toutefois guère de doute que cela provoquerait une forte réaction de la part de l’Algérie, qui considérerait une tentative d’expansion de la puissance égyptienne comme une atteinte à l’équilibre des pouvoirs en Afrique du Nord. Par ailleurs, la puissance qui contrôle la partie occidentale de la Libye, la Turquie, ne restera pas les bras croisés et interviendra très probablement directement en ayant l’Algérie dans son coin. L’idée d’une entente turco-algérienne était difficile à concevoir jusqu’à l’été, lorsque le président turc Recep Tayyip Erdogan a rejoint de facto le front du refus de la normalisation dirigé par l’Algérie.

Compte tenu du scénario actuel, la situation de guerre entre Israël et le Hamas pourrait forcer l’Égypte à faire face à ses contradictions, la conduisant soit à une confrontation avec Israël pour défendre les Palestiniens, soit contre le Hamas pour soutenir son accord de paix avec Israël. Dans les deux cas, les conséquences pour les pays occidentaux seraient impensables.

À la lumière de ces défis multiformes, les pays occidentaux devraient prendre en considération les tensions persistantes en Afrique du Nord pour rendre leur processus décisionnel concernant les événements à Gaza plus précis et plus holistique. La seule solution viable pour une paix durable – plutôt qu’une solution temporaire – est de formuler un plan qui facilite la réconciliation des Palestiniens et des Israéliens et façonne leur progrès politique et socio-économique d’une manière qui ne néglige pas l’ensemble du monde arabe. C’est la seule voie à suivre.

Karim Mezran est directeur du programme Afrique du Nord au sein des programmes Moyen-Orient de l’Atlantic Council.

Source : Atlantic Council, 13/11/2023

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