Services secrets. Quand Mansouri parle

Par Driss Bennani
Services secrets. Quand Mansouri parle
Le très discret Mohamed Yassine Mansouri est récemment sorti de sa réserve légendaire. Répondant à la fameuse “accusation de génocide au Sahara”, il menace de porter plainte pour diffamation. Une première.

La dépêche en a surpris plus d’un. Le bureau de l’AFP à Madrid y annonce que “le chef du renseignement marocain allait porter plainte” contre les associations sahraouies qui accusent l’Etat marocain de génocide au Sahara. Les responsables de ces associations avaient, en début de semaine, réactivé une plainte contre 32 personnalitésmarocaines, coupables, selon eux, de crimes et de tortures au Sahara, entre 1970 et 1986. Les grands généraux (comme Benslimane, Kadiri et Laânigri) y figurent au grand complet, aux côtés de quelques civils comme Driss Basri et Mohamed Yassine Mansouri qui, à l’époque, n’était encore que stagiaire au ministère de l’Intérieur. “Le projet de plainte traîne depuis septembre 2006, mais le juge espagnol a demandé aux plaignants de constituer un dossier plus solide et de supprimer quelques noms improbables, comme celui de Mansouri, pour qu’il puisse ouvrir une enquête”, affirme un observateur sahraoui. Finalement, sur les 32 noms initiaux, seuls 13 seront retenus dans le cadre de l’enquête ouverte par le juge Balthazar Garzon. Et comme prévu, la liste définitive ne comportait plus le nom de Mohamed Yassine Mansouri. L’affaire aurait donc très bien pu s’arrêter là. Mais notre espion en chef a cette fois décidé (et le fait est rare) de marquer le coup sur la scène publique. De passage à Madrid “dans le cadre de ses responsabilités”, il envoie une déclaration écrite à quelques médias locaux. Mansouri les gratifie même de quelques confessions personnelles. “Il est encore heureux que la justice espagnole se soit finalement aperçue que la plainte en question concernait aussi l’enfant âgé d’une douzaine d’années que j’étais dans les années 1970 (…) Mon nom a été cité dans la plainte initiale (…) Un tel préjudice vise à porter atteinte à mon honneur et à salir ma personne (…) (il) ne peut être passé sous silence et doit être aujourd’hui dénoncé”, a notamment déclaré Mansouri au bureau de l’AFP à Madrid. Le grand muet a finalement parlé. Mieux, il s’expose au grand jour et menace de porter plainte devant un tribunal espagnol pour “injures et diffamation”, “comme n’importe quel citoyen dont l’honneur aurait été bafoué”, précise une source proche de Mansouri.

Mansouri dans la ligne de mire ?
Selon plusieurs observateurs, “la contre-attaque de Mansouri confirme le changement de stratégie de l’Etat dans la gestion du dossier du Sahara, et plus largement celui des droits de l’homme. L’Etat ne compte plus se laisser faire et répond à chaque provocation. En plus, Mansouri n’est cette fois pas cité dans une petite affaire juridique ou technique, il est accusé de torture au moment où il avait 12 ans. Il ne pouvait laisser passer pareille occasion sans réagir”, affirme un membre du Corcas. “En plus, renchérit ce journaliste politique, le roi n’accepte pas que ses hommes ou que ses collaborateurs les plus proches soient mêlés à des affaires d’atteintes graves aux droits de l’homme. Leur virginité est même l’une de leurs plus grandes forces. Ils en ont besoin puisqu’ils mènent des négociations difficiles sur plusieurs fronts et avec plusieurs pays dont l’Espagne”. Depuis le redéploiement de Fouad Ali El Himma, Yassine Mansouri est d’ailleurs perçu par plusieurs capitales internationales comme le nouvel homme fort du régime. Il contrôle un appareil désormais décisif dans la prise de décision et jouit d’une confiance totale de la part de Mohammed VI. “Les services algériens le suivraient même de très près depuis que ses équipes ont réussi à infiltrer plusieurs groupes du Polisario en Europe. Même s’ils savent qu’il n’est en aucun cas responsable de torture dans les années 70, les plaignants sahraouis espéraient obtenir une poursuite contre Mansouri en sa qualité de patron actuel de la DGED. Cela aurait freiné son élan et affaibli sa position de négociateur”, croit savoir un militant associatif sahraoui, très proche des milieux indépendantistes installés en Espagne. Tout indique donc que la sortie de Mansouri était d’abord un signal adressé aux dirigeants du Polisario et à leurs soutiens en Europe et en Algérie. Une manière de dire : “Le Maroc ne baissera plus les bras, nous ne nous laisserons plus faire”. Mais en Espagne, la sortie de Mansouri est passée (presque) inaperçue. Au lieu de convoquer la presse espagnole, Mansouri s’est contenté d’adresser une déclaration écrite à l’AFP (agence peu reprise en Espagne), Europa Press (agence de presse privée) et au quotidien madrilène El Pais. “Très peu de gens en Espagne sont au courant de l’action de Mansouri, alors que la liste initiale de la plainte pour génocide a été largement diffusée, constate un journaliste espagnol à Madrid. Le chef du renseignement marocain a donc fait une très belle opération, mais elle a été très mal vendue, à moins que ça ne soit fait exprès” conclut-il.

Et maintenant ?
Aujourd’hui, en tout cas, rien n’indique que Yassine Mansouri ira jusqu’au bout de la procédure judiciaire. Il l’a dit lui-même en précisant “se réserver le droit” d’obtenir réparation du préjudice moral qui lui a été causé. Sa sortie a déjà créé une petite secousse à Tindouf. Son but (immédiat du moins) a donc été largement atteint. La plainte déposée contre l’Etat marocain suivra, quant à elle, son bonhomme de chemin. Balthazar Garzon, qui a déjà instruit plusieurs grandes affaires comme celle d’Augusto Pinochet, mènera son enquête “et butera sans doute sur des obstacles d’ordre technique, tout comme son confrère français Patrick Ramaël”, ironise un chroniqueur espagnol. Le Maroc a été d’ailleurs le premier à ouvrir le feu. Quelques jours seulement après la publication de la liste, Khalid Naciri, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, taxait Balthazar Garzon de proximité douteuse avec le Polisario. “C’est un juge très populaire qui n’est partisan que de lui-même et de son ego. Il cherche le vedettariat, même si plusieurs personnes lui reconnaissent une grande compétence juridique”, commente notre chroniqueur espagnol. Aux dernières informations, quelques associations marocaines comptent emboîter le pas à Mansouri et déposer différentes plaintes contre le Polisario ou contre … l’Etat espagnol. “Le dossier des armes chimiques utilisées dans le Rif par les Espagnols et la situation des droits de l’homme à Tindouf sont un bon créneau pour ces associations”, analyse un politologue à Rabat, qui poursuit : “le Maroc change de division et joue désormais avec les grands. Ses méthodes se professionnalisent également”, conclut-il. Ce vieux journaliste politique semble lui répondre en affirmant que “tant que le Maroc n’a pas courageusement soldé le dossier des droits de l’homme, en tirant au clair des affaires comme celle de Ben Barka, il se trouvera toujours un juge dans un pays quelconque pour traîner quelques-uns parmi ses responsables dans la boue et salir l’image de ce nouveau règne”.
Espagne. Magistrats superstars

En Espagne, il existe une seule juridiction habilitée à instruire des affaires de torture, de crime contre l’humanité ou de grande corruption : la Audiencia nacional. Cinq juges y siègent en permanence. Ils font généralement partie de l’élite des magistrats espagnols. Ce tribunal fonctionne sept jours sur sept et un juge (parmi les cinq) assure la permanence durant les week-ends et les jours fériés. “Les plaignants sahraouis ont délibérément choisi le week-end où Balthazar Garzon était de garde, pour être sûrs que c’est lui qui instruira l’affaire”, suppose un journaliste espagnol. Garzon est d’ailleurs de loin le juge le plus célèbre de la Audiencia nacional. C’est lui qui a été, par exemple, à l’origine des poursuites contre le général chilien Augusto Pinochet. Friand de coups médiatiques et de grandes affaires à fracas, Garzon jouit cependant d’une grande popularité en Espagne, aussi bien à droite que dans les rangs de la gauche. Il serait même pressenti pour présider un tribunal international. Pour l’instant, il n’a décidé que d’ouvrir une investigation au sujet du “génocide saharien”. Ira-t-il jusqu’à lancer des poursuites contre les généraux marocains ? Wait and see !

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