Merkel a « sacrifié » l’Espagne à Berlin pour tenter de se réconcilier avec le Maroc

La diplomatie espagnole a travaillé intensément pour que le FM, Arancha González Laya, soit invité le 23 juin à la IIe Conférence de Berlin sur la Libye qui a eu lieu dans la capitale allemande. Ce fut en vain. Le gouvernement espagnol avait fait des demandes pour que l’Allemagne, pays hôte avec l’ONU, répare  » l’oubli  » commis en janvier de l’année dernière lorsqu’elle n’a pas été invitée à assister à la première conférence consacrée à débattre de l’avenir de la Libye. Plus précisément, le retrait des forces étrangères et l’organisation d’élections libres dans tout le pays. Le président du gouvernement lui-même, Pedro Sánchez, s’est rendu à Tripoli le 3 juin, où il a annoncé la réouverture de l’ambassade d’Espagne, qui était fermée depuis 2014. Il a ainsi tenté d’ouvrir une brèche pour les entreprises espagnoles dans la reconstruction naissante du pays nord-africain. L’Espagne est un partenaire important de la Libye. En 2019, avant le déclenchement de la pandémie, elle était son deuxième client, après l’Italie, et son cinquième fournisseur. Plusieurs entreprises espagnoles du secteur de l’énergie sont également présentes dans le pays qui possède les plus grandes réserves d’hydrocarbures d’Afrique, à commencer par Repsol. Bien que la réunion ait eu lieu au niveau des ministres des finances, la chancelière allemande Angela Merkel, qui est celle qui a lancé les invitations en dernier ressort, n’a pas assoupli sa position. L’Espagne ne figurait pas parmi les 15 participants qui comprenaient, outre la Libye elle-même, ses voisins d’Afrique du Nord, les États-Unis et certains pays européens dont les Pays-Bas et la Suisse. Ces deux pays ont beaucoup moins de relations avec la Libye que l’Espagne. Mme Merkel et son ministre des finances, Heiko Maas, ont envoyé une invitation à Nasser Bourita, le chef de la diplomatie marocaine. L’Allemagne et le Maroc traversent, depuis le 1er mars, une crise comme celle que connaît l’Espagne avec son voisin du sud. Bourita reproche surtout à Berlin de remettre en cause la décision prise en décembre 2020 par le président américain de l’époque, Donald Trump, de reconnaître les revendications de souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. L’ambassadeur allemand à l’ONU, Christoph Heusgen, qui présidait alors le CSNU, a même convoqué une réunion extraordinaire pour discuter de la question. Quand il est parti, il a parlé de « l’occupation » marocaine du Sahara Occidental. Bourita a également accusé le 6 mai le gouvernement fédéral allemand de « saper le rôle du Maroc au niveau régional, notamment en ce qui concerne la Libye, en excluant indûment le royaume des réunions régionales consacrées à cette question (…) ». Le chef de la diplomatie marocaine n’avait donc pas digéré de ne pas avoir été invité à la première conférence à Berlin, en janvier 2020. En envoyant une invitation au Maroc, Angela Merkel voulait en juin faire un geste qui ouvre la voie à la sortie de crise, selon des sources diplomatiques au fait de l’organisation de la réunion de Berlin. Elle a également conclu que la présence d’une délégation espagnole contrarierait ceux avec qui elle tente de se réconcilier -sans céder sur le Sahara occidental- et elle a exclu de proposer à González Laya de se rendre à Berlin, ajoutent les mêmes sources. « L’Allemagne a sacrifié l’Espagne pour tenter de tourner la page avec le Maroc », résument ces sources. Le geste de Merkel n’a servi à rien. Bourita l’a rejeté et ne s’est pas rendu dans la capitale allemande. « Le rôle du Maroc n’a pas commencé à Berlin et il ne se termine pas à Berlin », a-t-il déclaré avec colère le 24 juin. « Le Maroc ne change pas de position selon qu’on l’invite ou non », a-t-il ajouté. Sur les photos de la réunion de Berlin, le drapeau marocain apparaît parmi ceux des autres délégations alors qu’il n’y avait aucune représentation marocaine à la conférence. Rabat a publié en avril et mai des communiqués exprimant son mécontentement face à l’attitude de l’Espagne et de l’Allemagne et a retiré ses ambassadeurs dans les deux pays. Là s’arrête le parallélisme de l’action de la diplomatie marocaine contre Madrid et Berlin. En ayant une frontière avec l’Espagne, le Maroc a puni son voisin du nord en provoquant, du 17 au 19 mai, une vague migratoire – plus de 10.000 personnes – sur Ceuta. Il a également annulé le développement, à travers l’Espagne, de l’opération Passage du détroit, qui générait des revenus pour sept ports espagnols, les compagnies maritimes qui traversent le détroit et les stations-service. Contre l’Allemagne, le Maroc a appliqué d’autres mesures qui nuisent parfois plus au sanctionneur qu’à la personne sanctionnée. Bourita a ordonné le 1er mars de couper toutes les relations avec les institutions allemandes. Cette décision « a eu les conséquences fâcheuses que les agences » d’aide au développement « ne peuvent mettre en œuvre aucun engagement programmé sans avoir de contacts avec la partie marocaine », soulignent des sources diplomatiques allemandes. Berlin s’est engagé à consacrer 1 400 millions d’euros à la coopération avec le Maroc en 2020, qui seraient acheminés, surtout, par la Banque publique de développement (KFW) et l’agence de coopération (GIZ).

La Direction générale de la communication du MAE espagnol soutient, en revanche, que la coopération espagnole, plus modeste que celle de l’Allemagne, se maintient normalement avec le Maroc. D’autres sources espagnoles assurent, cependant, que le Bureau de Coopération Technique a cessé d’avoir une relation fluide avec ses interlocuteurs à Rabat. Leurs courriels ne reçoivent pas toujours de réponse, et ils reçoivent certaines réponses envoyées depuis des courriels privés, comme si les fonctionnaires qui les écrivent ne voulaient pas se compromettre. La diplomatie marocaine mortifie également Berlin en suspendant la collaboration avec les consulats allemands de Rabat et de Casablanca, portant ainsi préjudice aux résidents et aux touristes allemands au Maroc en premier lieu. « Les autorités marocaines compétentes refusent de fournir les services correspondants aux citoyens allemands sans donner aucune justification », indique un communiqué de l’ambassade d’Allemagne à Rabat publié sur son site Internet le 10 juin. Le plus grave est peut-être la suspension, par le Maroc, de la collaboration policière, y compris en matière de lutte contre le terrorisme. « Il n’y a pas de coopération en matière de sécurité avec l’Allemagne », a réaffirmé le 25 juin Habboub Cherkaoui, directeur du Bureau central d’investigation judiciaire marocain (BCIJ). Un porte-parole du ministère fédéral de l’Intérieur a confirmé cette suspension au journal « Franfurter Allgemeine Zeitung ». Avec l’Espagne, elle se poursuit, selon M. Cherkaoui, même si « elle est menacée ». Les autorités marocaines estiment que leurs services secrets se distinguent par l’abondance et la qualité des informations qu’ils accumulent sur le djihadisme. Elles les utilisent comme un outil, au même titre que l’immigration irrégulière, pour faire pression sur leurs partenaires. C’est pourquoi Rabat a coupé cette coopération anti-terroriste, ainsi que la coopération judiciaire, avec Paris entre février 2014 et janvier 2015. Elle l’a également fait avec Madrid en août 2014. La Russie a été la plus critique à l’égard de la décision de Trump sur le Sahara occidental. Le 12 décembre et le 11 juin, la porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova, a affirmé que l’initiative du président américain « porte atteinte au cadre juridique international reconnu pour résoudre la question du Sahara occidental, qui prévoit de déterminer le statut final du territoire par le biais d’un référendum soutenu par l’ONU ». Le Maroc rejette également catégoriquement le référendum convenu il y a 30 ans. Pour l’instant, cependant, Bourita ne s’en prend pas au Kremlin.

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