Maroc : Aboubakr Jamaï et le Mouvement du 20 février

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Maroc : « C’est la première fois dans l’histoire du pays que celui-ci est confronté à un mouvement pour un changement de la nature même du régime ».

Aboubakr Jamaï, journaliste, ancien directeur et fondateur de l’hebdomadaire indépendant marocain, Le Journal hebdomadaire, revient pour Affaires-stratégiques sur la portée des mouvements contestataires qui ont secoué le Maroc et la réaction du régime face à celles-ci mais aussi face aux révoltes qui ont secoué le monde arabe. Entretien.


Q : Les manifestations semblent se multiplier au Maroc. Quelle est la réalité de la contestation et que réclament les manifestants ?

Les manifestations du 20 février ont réuni quelques 100 000 manifestants dans tout le Maroc, ce qui peut paraître peu au regard du nombre de manifestants qui ont défilé dans les rues en Egypte et en Tunisie mais en réalité beaucoup de gens qui soutiennent le mouvement ont été surpris par son ampleur et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, c’est la première fois dans l’histoire du Maroc et en particulier depuis son indépendance, que le pays est confronté à un mouvement qui manifeste pour un changement de la nature même du régime. C’est une situation sans précédent au Maroc qui n’avait connu jusque-là que des manifestations contre Israël, contre les Etats-Unis ou des manifestations pour dénoncer la cherté de la vie par exemple.

L’ampleur de ce mouvement est par ailleurs surprenante au vu de la vague de désinformation de la part des journaux proches du gouvernement qui sévissait alors au Maroc. Nous pouvons aussi souligner un point tout aussi important qui renvoie au contenu qualitatif de ce mouvement. En effet, les élites politiques et sociales du pays ont appuyé les revendications, ce qui casse le mythe du consensus autour de la nature du régime marocain. Il n’y pas de consensus, loin de là, autour de la nature du régime marocain, on peut même appuyer l’idée qu’une grande partie des élites politiques allant des partis de la gauche radicale aux parties dits de droite en passant par les partis de gauche gouvernementale et non gouvernemental et intellectuelles du pays sont en faveur du changement de la nature du régime. Certains partis dits de droite se sont exprimés en faveur de ces revendications.

Ce que réclament les manifestants est assez clair : ils veulent une monarchie parlementaire. C’est d’ailleurs très intéressant de se pencher sur les différents types de slogans qui ont été utilisés pendant ces manifestations. Aujourd’hui le mot corruption est associé à l’entourage très proche du Roi. Mounir Majidi, le secrétaire particulier du Roi et donc un proche, Fouad ALI El Himma, ami intime et bras politique de Mohammed VI, ont été fustigés par les manifestants. Le PAM, le parti de l’authenticité et de la modernité qui a été lancé par Fouad ALI El Himma et considéré comme le parti du Roi a été attaqué vigoureusement et a fait l’objet de slogans très négatifs lors de ces manifestations.

Par ailleurs il y a une nouvelle donne insufflée par les révélations de Wikileaks. Les Marocains ont découvert que leur allié le plus solide, à savoir les Etats-Unis pensait que la corruption au Maroc avait empiré et accusait le sommet de l’Etat et son entourage d’être à l’origine de cette corruption. Ces informations ont eu un impact certain sur les revendications de démocratisation des Marocains.

Quel rôle jouent les réseaux sociaux dans ces mouvements ?

Les réseaux sociaux ont eu un rôle absolument central. En effet, il était inutile de lire la presse marocaine, de regarder la télévision publique marocaine pour s’informer en raison de l’abus d’information qui était alors très présent. Pour s’informer, il fallait être sur facebook où l’on pouvait visionner de nombreuses vidéos prises par des manifestants grâce à leur téléphone portable qu’ils téléchargeaient alors sur leur page du réseau social, rendant ainsi ces vidéos publiques, à l’image de ce qui s’est produit en Egypte et en Tunisie. Ces vidéos montraient les manifestations, des gens qui se sont immolés, les violences de la police marocaine. Facebook a donc joué un rôle très important. D’ailleurs son nombre d’adhérents est passé de 800 000 et quelques en 2009 à 3 millions d’adhérents aujourd’hui. Facebook continue de jouer un rôle central dans l’organisation des mobilisations à venir.

Quelle a été la réaction de l’Etat marocain aux révoltes qui ont secoué le monde arabe ?

La première réaction de l’Etat marocain fut le déni. Il n’y avait pas vraiment de reconnaissance de ce qui se passait chez les pays voisins. D’ailleurs, la télévision publique marocaine ne retranscrivait que la violence qui sévissait en Tunisie et en Egypte sans jamais mentionner les revendications des manifestants tunisiens et algériens. Aucun aspect politique de ces deux révolutions n’a été rapporté par la télévision marocaine. Mais certaines décisions prises par le gouvernement montrent bien que la peur du régime marocain était bien réelle, celle d’être confronté à une évolution similaire à celle de la Tunisie et de l’Egypte. Cette peur s’illustre notamment par la décision prise par le gouvernement marocain de doubler la dotation de la caisse de compensation qui est assimilable à un système de subvention qui s’était révélé jusqu’à présent inefficace. En effet, ils subventionnent des catégories sociales qui n’en ont pas besoin et pas assez celles qui en ont besoin. Or voilà qu’on lui a rajouté l’équivalent de 1.3 milliards d’euros, somme absolument énorme qui n’est pas sans conséquences en terme budgétaire. L’Etat a également donné gain de cause à des diplômés chômeurs qui manifestaient dans les rues en leur trouvant comme par miracle des postes dans la fonction publique.

Ce sont des réactions qui sont tout à fait conformes à la notion d’Etat rentier, notion inventée par la science politique pour caractériser certains Etats du Moyen-Orient, qui correspond à leur capacité à acheter la paix, en creusant le déficit budgétaire dans le cas du Maroc.

Le discours du Roi après les manifestations du 20 février nous montre que l’Etat marocain est un Etat autiste par rapport aux événements qui se sont déroulés. Aucun mot, aucune phrase, aucune idée dans ce discours ne montraient qu’il y avait, de la part du régime, ne serait-ce qu’une légère prise de conscience de la légitimité des revendications de ceux qui sont derrière les manifestations du 20 février qui encore une fois sont partagées par la quasi-totalité des élites intellectuelles et politiques du pays.

Le Roi pourrait-il être menacé à terme ?

La probabilité pour que la monarchie soit menacée est plutôt faible mais bien malin est celui qui peut prédire ce qui peut se passer après les différentes vagues révolutionnaires qui ont frappé le Moyen-Orient. En effet, les premières revendications en Egypte et en Tunisie ne demandaient pas le départ des gouvernants. Mais la dureté de la réaction des pouvoirs ont eu pour effet de radicaliser les revendications des manifestants qui ont fini par exiger le départ de leurs dirigeants en place. Dans le cas du Maroc, on peut imaginer un scénario, qui semble peu probable, incarné par une mobilisation populaire réelle avec des phénomènes de sit-in dans les villes les plus importantes du Maroc et des réactions violentes de la part de la police ce qui n’a pas été vraiment le cas jusqu’à présent. Il y a eu un cas d’extrême violence où un jeune homme a été tué après avoir été battu par la police mais, dans les grandes villes, il y a une certaine retenue. Ce qui montre de ce point de vue, que le régime marocain a tiré quelques leçons de ce qui s’est passé en Egypte et en Tunisie. On peut imaginer une situation où le régime se sent débordé et finit par réagir de manière beaucoup plus violente radicalisant alors les revendications qui pourraient alors demander jusqu’au départ du Roi et la fin de la monarchie mais cela semble très peu probable.
Les élites qui soutiennent les manifestations sont dans une attitude réformiste et non dans une attitude révolutionnaire car ils craignent qu’émerge une véritable anarchie avec des émeutes de masse.

A la différence de la Tunisie et de l’Egypte, les partis politiques font partie du mouvement de contestation et devront donc à un moment donné prendre en charge de manière opérationnelle ces manifestations. Le risque pour ceux qui demandent le changement est que le mouvement perde de sa sève. Le scénario le plus positif serait alors pour ceux qui veulent une démocratisation plutôt pacifique, qu’il y ait des révolutions internes à ces partis politiques, qu’on voit émerger de nouvelles têtes qui porteraient de manière plus crédible ces revendications, de façon à atteindre un masse critique qui aurait un pouvoir de négociation beaucoup plus important contre un régime qui à l’ évidence n’a pas l’intention de faire évoluer le Maroc politiquement.

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