Vérités sur le drapeau, l’hymne et l’emblème marocain

Tags : Maroc, Maréchal Lyautey, Protectorat, drapeau, hymne national, emblème, colonisation,

Jusqu’au début du 20ème siècle, le drapeau marocain s’ornait d’une étoile à six branches. L’hymne national a été composé par un capitaine français et ses paroles n’ont été écrites qu’en 1969… Vérités méconnues sur les deux symboles nationaux.

C’est bien connu, les symboles de souveraineté d’appartenance nationale, c’est d’abord un drapeau et un hymne. Au Maroc, ces notions “modernes” étaient évidemment floues pendant toute la durée du protectorat, et même avant. Alors qu’aucun chant fédérant la nation n’existait encore, l’on ne pouvait considérer les étendards brandis lors des guerres, des obsèques ou des fêtes comme des drapeaux dans le sens le plus strict du terme.

Bref rappel historique : “Siba” et “Makhzen” ont longtemps coexisté dans le système politique qui régissait le Maroc, jusqu’à l’arrivée du protectorat français et plus précisément du Général Lyautey. C’est ce dernier qui instaura la notion d’Etat-nation, en renforçant l’autorité centrale, en installant ses relais dans l’ensemble du territoire chérifien et en instituant les usages et protocoles du Makhzen.

Un drapeau signé Lyautey

Il n’est pas étonnant que Lyautey soit derrière la réinterprétation du drapeau marocain et la création de l’hymne national, comme nous les connaissons aujourd’hui. L’homme était un monarchiste au service de la république, qui avait trouvé un terrain d’expression idéal après la signature du Traité du protectorat et sa nomination comme résident général : il avait enfin l’occasion de mettre ses idées monarchistes en pratique. Après avoir prestement écarté le sultan Moulay Hafid (1908 – 1912), il le remplaça par son frère, plus malléable, Moulay Youssef (1912-1927), en vue d’accélérer la signature de dahirs mettant en place les institutions du royaume chérifien.

La première mesure a été de pousser le sultan Moulay Youssef à signer un dahir relatif au drapeau marocain, dès le 17 novembre 1915. Celui-ci stipulait “qu’en raison du développement qu’a connu notre royaume chérifien, eu égard au rayonnement qu’il a désormais, dans l’objectif de lui donner un symbole qui le distingue des autres nations et pour qu’il n’y ait point de confusion entre les drapeaux créés par nos ancêtres et d’autres pavillons, notamment ceux usités dans la marine, nous avons décidé de distinguer notre bannière en l’ornant au centre d’un sceau de Salomon à cinq branches, de couleur verte”. Ce dahir, qui signe l’acte de naissance du drapeau marocain, est en fait truffé de contre-vérités historiques, comme le signale Simon Lévy, le directeur du musée judéo-marocain. Hormis l’emphase incongrue (“développement”, “large rayonnement”), le texte escamote une vérité historique essentielle : le drapeau marocain n’était pas d’un rouge uni, sans ornement, comme le sous-entend le dahir. Il comportait en réalité une étoile verte, mais à six branches, comme le montrent les documents et les photos de l’époque, ainsi que les sceaux officiels et les monnaies en circulation jusqu’à la seconde moitié du 20ème siècle. Mais l’occupant a préféré y substituer une étoile à cinq branches pour une raison… que seul Lyautey connaissait.

La seconde contre-vérité qui s’est glissée dans ce dahir, concerne ledit “sceau de Salomon”. Ce dernier n’avait pas cinq, mais huit branches ! Des documents attestent de l’existence de drapeaux à huit branches, bien avant le dahir de 1917, aux côtés des bannières ornées de l’étoile de David, à six branches. Salomon et David étaient tous les deux des prophètes sacrés, chez les israélites comme chez les musulmans. Et c’est pour cette raison que l’étoile à six ou huit branches était apposée sur les bannières marocaines, sans que les Marocains y trouvent une quelconque gêne. Mais le Maréchal Lyautey, avec sa mentalité européenne de l’époque, devait voir dans l’étoile de David un symbole “déshonorant”. Il a alors décidé d’en supprimer une pointe.

Des décennies plus tard, l’histoire officielle racontera que le pentagramme renvoyait, avec sa couleur verte, à “la filiation du trône alaouite au prophète et la continuité de ses lignes, sans début ni fin, symboles de grandeur et d’éternité, alors que ses cinq branches sont les piliers de l’islam”. C’est d’ailleurs avec ces termes qu’est décrite la genèse du drapeau marocain sur… le site Internet du ministère des Habous et des Affaires islamiques, qui participe ainsi à enfouir un pan essentiel de l’histoire du Maroc.

Un hymne “sur concours”

Lyautey ne s’arrêta pas en si bon chemin puisque, en bon militaire, il ordonna la création d’un hymne pour le royaume. Cette musique, composée à l’époque de Moulay Youssef, n’était à l’origine qu’un simple “salut royal”, comme l’assure le musicologue Ahmed Aïdoune, un air sans paroles, connu comme “l’hymne chérifien”. Le Capitaine (français) Léo Morgan, chef de musique à la garde chérifienne, ne se doutait pas que la musique qu’il a composée allait lui survivre aussi longtemps…

Après l’indépendance, il y eut certes des tentatives de composer d’autres hymnes, plus en phase avec le nationalisme et l’identité marocaine. Mais sans succès. Les notes de Léo Morgan, musique sans textes, resteront ainsi l’hymne marocain, joué lors des fêtes nationales et des visites royales. Et le nom de son compositeur se fondra dans l’oubli, à tel point que certains Marocains en attribuaient la paternité à… Mohammed Abdelouahab, Abdelkader Rachdi ou Ahmed El Bidaoui.

Quant aux paroles (“manbita al ahrar…”), elles ne seront finalement écrites qu’en 1969, dans des circonstances pour le moins originales. L’équipe marocaine de football venait de se qualifier à sa première phase finale de Coupe du Monde, qui se déroulait une année plus tard au Mexique. C’est alors que Hassan II décida d’accoler un texte à l’hymne national, histoire de permettre à la bande de Driss Bamous, capitaine de l’époque, d’avoir quelque chose à fredonner durant la traditionnelle présentation des hymnes, dûment retransmise par les télévisions du monde entier.

Un concours de poésie fut alors organisé à la demande du Palais, en vue de sélectionner les textes les plus expressifs. Plusieurs poètes y participèrent et c’est finalement le poème “Manbita al alhrar”, de Moulay Ali Skalli, qui sera sélectionné par Hassan II lui-même. Ce dernier ira même jusqu’à lui apporter de légères retouches.

Ironie de l’histoire, le 3 juin 1970, lorsque l’hymne national marocain a retenti dans un stade mexicain, Faras, Houmane et leurs coéquipiers n’avaient même pas eu le temps d’apprendre correctement les couplets de Skalli, il est vrai gavés de formules alambiquées et d’expressions savantes. Du coup, le monde entier a effectivement pu admirer onze Marocains en shorts, essayant tant bien que mal de remuer les lèvres, chantant tant bien que mal l’hymne national…

Avant Lyautey. Aux origines du drapeau marocain

Au Maroc, le drapeau a été utilisé comme symbole de l’Etat pour la première fois sous le règne des Almoravides (1056 – 1147). Auparavant, les drapeaux n’étaient que des bannières en soie blanche, soulevées durant les grandes occasions et les fêtes. En période de guerre, elles recevaient des inscriptions de versets coraniques et étaient portées par les soldats sur les champs de bataille. En cela, elles se différenciaient peu de celles utilisées dans la péninsule arabique. Youssef Ben Tachfine sera le premier à donner au drapeau un caractère marocain. Il mettra en exergue sa symbolique dans les batailles qui ont mené son pouvoir jusqu’en Andalousie, après avoir assujetti les règles du drapeau à un protocole savamment concocté : les soldats se devaient de lever un drapeau blanc immaculé, tandis que leurs chefs brandissaient un drapeau sur lequel était inscrite la phrase “Il n’y a de Dieu qu’Allah et Mohammed est son prophète”. Les Almohades, comme les Saâdiens plus tard, conservèrent les mêmes étendards blancs, tandis que les Mérinides y ajoutèrent une étoile à six branches. Quant aux Alaouites, ils allaient rompre avec la tradition en optant pour des drapeaux rouges, après que le sultan Moulay Rachid (1666 – 1672) eut défait les tribus berbères dans l’Atlas et dans plusieurs régions du royaume. Les drapeaux, ornés d’une étoile à six branches de couleur verte, étaient levés le matin et baissés le soir sur les tours des fortifications…

TelQuel-Online.com, 2 février 2008

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