Les membres du Conseil royal consultatif pour les affaires sahraouies (Corcas) ont-ils véritablement confectionné et «proposé» au roi un projet d’autonomie ? Ceux qui se sont exprimés en «off» sont unanimes : sous la pression du président et de certains «proches» du roi, ils ont «adopté» un «projet» dont ils ne connaissaient même pas le contenu. Ould Errachid a-t-il donc menti ?
C’est un projet très attendu par l’ONU, même s’il est unilatéral et même si le principe d’autonomie est déjà rejeté par le Polisario. C’est également un projet destiné à faire sortir le Maroc de l’impasse dans laquelle il s’était engagé après avoir remis en cause l’option référendaire. Selon la majorité des observateurs, le Maroc a intérêt à faire une proposition “crédible”, notamment pour placer le Polisario dans une position d’embarras diplomatique. Mais sur le terrain, les faits se présentent différemment. Non seulement aucun détail sur le contenu du projet d’autonomie n’a été “divulgué” par Ould Errachid, président du Corcas, mais son discours, lors de la conférence de presse tenue le mercredi 6 décembre à Rabat, en a surpris plus d’un : «Le projet d’autonomie est la réponse définitive aux revendications historiques de tous les Sahraouis. Il ne fera l’objet d’aucune modification, aussi bien de la part de l’Etat que de la population. C’est un package définitif ». En insistant sur le caractère “définitif” de ce projet, l’Etat marocain entend «sans doute mettre la communauté internationale et le Polisario devant le fait accompli. C’est politiquement dangereux», note un observateur. Mieux encore, au cours de cette même conférence, Ould Errachid a dit … une chose et son contraire. Dans un premier temps, il a souhaité l’adhésion «de nos frères du Polisario à ce projet historique» et juste après, a assuré que ce même Polisario «vit aujourd’hui une crise profonde qui affaiblit de jour en jour sa direction et les campements». Le président du Corcas a ajouté : «Notre objectif est de produire quelque chose de crédible», mais «les grandes lignes de ce projet restent entre les mains du Palais qui en confectionnera « la dernière mouture »». Aucun mot, donc, sur le contenu du texte ou du moins ses grandes lignes : «Tout ce que je peux vous dire, poursuit Ould Errachid, c’est que le Maroc préserve, dans son territoire, tous les symboles de sa souveraineté ainsi que les droits politiques, économiques et sociaux des Sahraouis dans la gestion de leurs affaires. Et que les exigences de la communauté internationale seront garanties. Les détails sont encore secrets».
Il faut dire que ce manque de précision n’a surpris personne. Depuis l’émergence de l’idée d’autonomie au Sahara occidental, les instructions de Mohammed VI en personne étaient très fermes à ce niveau : «Rien ne doit filtrer à la presse». Mais qu’en est-il des membres du Corcas ? A ce niveau, le “black-out” a été instauré, des mois durant, par la présidence. Résultat, un profond malaise parmi la composition du conseil royal, et qui s’est surtout manifesté au moment de la réunion avec la présidence, le lundi 4 décembre 2006 à Rabat. Officiellement, ce rendez-vous de la présidence avec ses membres devait être consacré aux “suggestions” relatives au projet d’autonomie, suggestions qui devraient être, par la suite, portées au roi.
Le lundi 4 décembre 2006, à 9 heures, plusieurs membres du Corcas ont refusé de se réunir avec le président Ould Errachid. Le mécontentement était tel qu’il a fallu l’intervention d’un “proche du roi”, Yassine Mansouri, patron de la DGED (Direction générale des études et de la documentation, contre-espionnage marocain) et de Mohamed Draïss, ex-wali de Laâyoune et actuel directeur de la DGSN (Direction générale de la sûreté nationale). Les négociations avec les membres contestataires étaient ardues et ont duré jusqu’aux environs de 15 heures. «Ils se sont présentés comme des envoyés du roi, avec un message limpide : il faut calmer les esprits car la conjoncture est délicate», confie un membre du Corcas. Deux jours auparavant, une rencontre préliminaire a eu lieu entre Khelli Henna Ould Errachid, Yassine Mansouri et … l’inévitable Fouad Ali El Himma. Là aussi, les recommandations tendaient à faire prévaloir l’apaisement au détriment de la tension.
Un corcas très contesté
Prévue initialement pour le lundi 4 décembre à 9 heures, la réunion du Corcas n’a finalement commencé qu’aux environs de 16 heures. Elle s’est prolongée après 22 heures, et les débats ont porté essentiellement sur la gestion d’Ould Errachid, de plus en plus contestée. Les membres du Corcas (une quarantaine) lui reprochaient «son arrogance et un manque de communication qui renforcent la coupure» avec la population sahraouie. «Le Corcas a été institué par Sa Majesté pour écouter la population et essayer de résoudre ses problèmes. Or aujourd’hui, ce conseil est totalement éloigné de ces objectifs», s’est insurgé l’un d’eux. Ce malaise a pesé sur le déroulement des travaux lors de la réunion du lundi. «Notre silence a assez duré. Si vous ne pouvez pas résoudre nos problèmes, il faut le dire. Nous n’aimons pas parler dans le vide. Nos enfants risquent leur vie dans l’océan tous les jours pour pouvoir demander l’asile politique à l’Espagne. Je n’ai même pas 50 dirhams dans ma poche. Nous sommes tous nommés par le roi, comme vous …», aurait lancé au président un membre du Corcas. Une violente altercation s’est, par ailleurs, produite entre Oul Errachid et Houcine Beida, président de la commission des droits de l’Homme au Corcas et le plus contestataire des membres du conseil royal.
En somme, assurent certains témoins, le Corcas n’a pas été capable de dépasser ses clivages pour aborder le sujet qui intéresse le plus l’opinion publique, nationale et internationale : le contenu du projet d’autonomie. Un membre a affirmé que le président en a parlé vaguement à la fin de la deuxième journée en soulignant qu’il comporte deux volets : juridique (essentiellement judiciaire) et économique (portant surtout sur la politique fiscale et le rôle de l’Etat marocain).
Selon Khelli Henna Ould Errachid, le projet d’autonomie a été élaboré au sein du Corcas, par ses membres. «Une marque déposée Corcas», a-t-il lancé. Cette déclaration en avait fait sourire plus d’un lors de la conférence de presse de mercredi dernier à Rabat. D’abord, il n’y a aucun constitutionnaliste au sein du Corcas. Ensuite, aucune commission du conseil royal ne s’est réunie depuis déjà plusieurs mois, et tout le monde sait que le président a focalisé son action sur une diplomatie parallèle qui a totalement éclipsé le ministère des Affaires étrangères. Enfin, tous les membres qui ont été contactés, en “off”, par les journalistes sont unanimes : le projet d’autonomie n’a pas été discuté au sein du Corcas, encore moins “confectionné”, contrairement à ce que prétend son fringant président.
L’arlésienne
Quelles sont alors les grandes lignes du projet royal ? Selon des sources universitaires ayant participé, au sein de la REMALD (Revue Marocaine d’Administratoin Locale et de Développement), à l’élaboration de ce texte, il contient des dispositions très précises sur la politique fiscale devant être fixée par l’Etat central. Ce même texte prévoit que la justice, bien que liée à l’entité autonome, sera prononcée au nom du roi et qu’elle sera conduite par des magistrats sahraouis formés au sein de l’Institut supérieur de la magistrature à Rabat.
A travers ce qui s’est réellement passé au cours de ces trois journées (lundi, mardi et mercredi derniers), la stratégie de l’Etat marocain semble se préciser : faire croire que le projet d’autonomie est sorti du Corcas, alors qu’en fait, il n’en fut rien. Jusqu’où ira donc le Corcas ? Cette question était dans l’air, ce mercredi 6 décembre 2006, à la fin d’une conférence de presse tenue par le président au lendemain d’une réunion, la première depuis plusieurs mois, avec des membres en ébullition. Pourquoi les autorités marocaines se sont-elles comportées ainsi ? Est-ce pour “protéger la confidentialité” du contenu ? Est-ce pour gagner du temps ? Est-ce pour imposer l’option centralisatrice, avec une mise en scène qui laisserait croire que le Corcas est véritablement représentatif de la population sahraouie, et que c’est à ce titre qu’il a “accouché” du projet ? Toutes ces hypothèses ont été présentes au cours de ces trois jours, et y ont pesé. Elles ont marqué l’action du président du Corcas, fortement épaulé par Fouad Ali El Himma et ses auxiliaires du ministère de l’Intérieur. Déjà élaboré, et en dehors du conseil royal sahraoui, le projet d’autonomie serait particulièrement décevant et ne différerait pas tellement de son prédécesseur, celui-là même qui avait été qualifié “d’insultant” par un certain … James Baker.