Miguel Ibarrondo, Bruno Muel et Théo Robichet
u fond d’un Sahara qui serait vide, se joue une pièce secrète qui remue les passions des hommes. » A. DE SAINT-EXUPERY.
Le vide, si fortement lié à l’idée même de désert, constitue un adversaire rétif pour le Front Polisario. La vacuité, la désolation et le dépeuplement présumés du Sahara occidental sont en effet souvent invoqués pour faire admettre l’extension marocaine et consentir à l’actuelle occupation militaire. L’importance de ce film réside précisément dans son application à combler ce vide. Il le sature même avec les images d’un peuple dont le nombre importe moins que la détermination politique de se déployer, libre et indépendant, à l’intérieur des anciennes frontières coloniales, ni plus ni moins arbitraires que celles de la très grande majorité des Etats africains souverains.
Les cinéastes procèdent d’abord à un grattage du pittoresque ; ils ruinent des clichés édifiés complaisamment par un certain cinéma touristique qui accommode sans répit les hommes du Sahara en une hollywoodienne couleur bleue, gonfle leur « fierté solitaire » ou leur « orgueil nomade » et les dispose, le visage drapé dans un litham nocturne, naviguant à perte de dunes, sur des dromadaires ondoyeux égarés de Disneyland.
Les hommes que présente ce film sont inaptes à toute folklorisation ; ils ne se veulent ni Maures ni Touareg (termes trop marqués par l’exotisme), mais simplement des Sahraouis, en lutte précisément pour pouvoir l’être politiquement. Ils ont troqué le voile bleu des méharistes contre des treillis kaki plus aptes aux embuscades dans un désert rocailleux et raviné.
Le film souligne la dureté physique de la patrie de ces hommes qui ont souvent tout quitté, tout perdu, emmenant leurs familles devant eux vers des bivouacs de fortune, fuyant une armée dont ils sont unanimes à dénoncer la violence extrême : « Sur la route de Jdiria, raconte un réfugié, tout ce que les Marocains trouvèrent, ils l’ont détruit ; ils ont tué le bétail, brûlé les tentes, tout… » Et les images montrent les restes encore fumant d’un autre campement sahraoui entièrement saccagé. Les cinéastes, qui ont parcouru le nord-est du Sahara occidental, recueillent ainsi les traces récentes des exactions marocaines et les restes, parfois, du matériel chérifien détruit par les combattants du Front, qui se meuvent à leur aise dans ce territoire et surveillent constamment l’occupant ; ils ont conduit l’équipe de cinéastes à proximité de la ville de Jdiria, que nous voyons, dans un plan stupéfiant pris au téléobjectif, occupée par les militaires marocains. « La guerre sera longue, confie un responsable militaire, et si elle dure nous aurons l’avantage. » C’est Sayid El Ouali, secrétaire général du F. Polisario, – vingt-huit ans, les yeux vifs d’un lycaon, – qui relate, dans un calme imposant, les origines de la situation actuelle, laquelle reposerait, selon lui, sur deux trahisons. La première remonte à 1958 lorsque, majoritaires au sein de « Djeich Tahrir » (l’Armée de libération marocaine), les Sahraouis décidèrent (l’indépendance marocaine ayant été acquise en 1956) d’attaquer l’enclave espagnole d’Ifni (le 26 octobre 1957), puis occupèrent les postes de Smara et La Güelta-de-Zemmour, tenus par des unités du Tercio au Sahara occidental. Le gouvernement marocain refusa de soutenir politiquement cette action armée et retira son appui diplomatique ruinant l’entreprise sahraouie et recevant de l’Espagne, en récompense, un premier morceau de la Saguia-El-Hamra : le territoire compris entre l’oued Draâ et le cap Juby.
La deuxième trahison est plus récente. A l’issue d’une conférence secrète avec le Front Polisario (le 9 septembre 1975), et alors que la délégation espagnole était dirigée par le ministre des affaires étrangères (M. Cortina Mauri), l’Espagne reconnut le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination et à l’indépendance. Ce qui ne l’empêcha point par la suite de signer le traité de Madrid, qui admettait la répartition du territoire sahraoui entre la monarchie alaouite et la République de Mauritanie.
Pour Sayid El Ouali, ces deux trahisons ne sauraient infléchir la détermination de son peuple : « De toute façon, conclut-il, le peuple sahraoui veut l’indépendance. Et il porte les armes pour arracher cette indépendance. »
Le film insiste sur cette volonté des Sahraouis de combattre pour leur liberté ; dans la petite ville de Mahbès, capitale du territoire libéré, toute activité est soutenue par cette détermination : les jeux des enfants, les exemples de l’institutrice, les conversations des adultes, les oraisons des croyants… Un vieil imam, les jambes en tailleur sur son tapis de prière, confie : « Nous marchons sur le chemin que nous ont tracé nos ancêtres et que nous signale le Livre du Prophète » Et il ajoute : « Toute tribu limitrophe du Sahara qui a cherché à pénétrer dans les terres sahraouies a toujours été, sinon exterminée, du moins entièrement repoussée. »
POUR DES PROJECTIONS-DEBATS : « Sahara occidental : indépendance ou génocide », 26 minutes Couleur. 16 mm. Réalisation : Miguel Ibarrondo, Bruno Muel, Théo Robichet. Diffusion : UNICITE, 50, rue Edouard-Vaillant – 93 Bagmolet. Tél. : 858.82.00.
Ignacio Ramonet
Directeur du Monde diplomatique de 1990 à 2008.
Le Monde diplomatique, février 1976
Tags : Sahara Occidental, Maroc, Espagne, Accord Tripartite, Front Polisario, Sahraouis,