Maroc / Monarchie et Football : Les liaisons dangeureuses

Histoire d’une récupération permanente
par Hicham Bennani
couv 1:Mise en page 1La décision de Mohammed VI d’allouer 250 millions de dirhams à la fédération de football est avant tout un acte symbolique fort qui s’inscrit dans la continuité de la stratégie politique de Hassan II. Mais elle prouve également que le souverain est au-dessus de tout.
«Le roi renfloue les caisses !», titrait le journal français L’Equipe, le jeudi 25 juin. «Mohammed VI a décidé d’allouer 250 millions de dirhams à la Fédération royale marocaine de football (FRMF), pour la mise à niveau structurelle du football national», ajoute le quotidien sportif. La version marocaine, rendue publique le même jour par le biais d’un communiqué de la Fédération est la suivante : «SM le Roi Mohammed VI a demandé à Bank Al Maghrib, à la Caisse de dépôt et de gestion (CDG) et à l’Office chérifien des phosphates (OCP) d’accorder une aide financière de 75 millions de dirhams annuels chacun pour soutenir les équipes nationales.» Les 25 millions restants proviennent du Fonds Hassan II.

Cinq jours seulement après le match nul de l’équipe nationale contre le Togo à Rabat (qui compromet les chances du Maroc de disputer la prochaine Coupe du monde), la réaction de Mohammed VI ne s’est pas faite attendre. Comment expliquer un tel geste ? «Sa Majesté a constaté que le foot était bancal et tordu, il a donc émis un signal très fort, constate Merry Krimau, ancienne gloire des Lions de l’Atlas. On a touché le fond. Je suis malade comme tous les Marocains de voir mon équipe nationale aussi ridicule. Je ne dors plus.» Malgré cet état de fait, est-il logique que le monarque ordonne à des institutions étatiques d’injecter de l’argent à une fédération ?

Etat de non-droit absolu
«L’argent est incontrôlable, la Cour des comptes ne fait pas son travail, nous sommes dans un Etat de non-droit,on peut donc se permettre le luxe de distribuer les fonds publics», constate l’avocat Abderrahim Jamaï. D’où la question : la FRMF a-t-elle besoin de 250 millions de dirhams ? N’existe-t-il pas d’autres priorités ? «Ceux comme moi qui n’aiment pas le football diront que c’est du gaspillage. Mais l’argent ne sera pas jeté par les fenêtres, il peut générer un pouvoir d’achat», nuance l’économiste Lahcen Oulhaj. «Si on distribue cela à des professionnels du football, cela va créer des activités économiques, mais si c’est des gros bonnets qui vont construire des palais, cela est condamnable», ajoute-t-il. Sur le plan politique, cet argent peut permettre de détourner la jeunesse désœuvrée de ses activités malsaines mais également d’«améliorer la santé physique et mentale des Marocains.» Les propos de l’économiste Najib Akesbi sont plus virulents : «Que le sport ait besoin d’argent est une chose, mais qu’on décide de lui affecter des ressources sans rien changer au système qui a conduit la Fédération au désastre est scandaleux.» La priorité aurait été de changer le système de gouvernance, car Ali Fassi Fihri, président de la FRMF, a été nommé de la même manière que ses prédécesseurs. Les mêmes causes risquent de produire les mêmes effets.Fans Lions P

Suite à la demande du roi, un organisme, censé protéger les fonds publics, va finalement être utilisé en dehors de ses prérogatives. Après avoir assisté avec stupéfaction à l’éviction brutale de leur directeur général (Mustapha Bakkoury), les trésoriers de la CDG se voient désormais contraints de refaire leurs comptes. Ils doivent réagir à une décision qui n’a pas été concertée et décidée au sein de l’organe de gouvernance. Najib Akesbi parle d’un Etat de non-droit absolu. «Le chef de l’Etat, de manière arbitraire, décide de prélever un impôt. Il faut remonter au Moyen-âge pour trouver un cas similaire.» Les trois entreprises concernées vont prendre des ressources sur leurs programmes d’investissement et leurs activités sans le moindre cahier des charges. Un autre économiste explique sous couvert d’anonymat que «pour chaque ligne de conduite, la CDG a un budget bien précis. Mais lorsqu’une décision vient du Palais, cela transite de manière informelle.» Et d’ajouter : «Ces institutions obéissent à des statuts bien précis qui ne leur permettent pas de sortir de l’argent sans garanties financières.» Dans les statuts actuels dudit organisme, on peut lire : «La CDG cherche à maximiser son rendement financier à travers la prise de participations, généralement minoritaires et opérées dans une logique financière relevant en quasi-totalité des secteurs industriel, financier et des services.»

Le fait du prince
Quelles seront les modalités d’application du financement de la FRMF ? «Je n’ai aucune réponse à votre question. La CDG est composée d’une cinquantaine de filiales et c’est une instance bien spécifique qui est chargée de cela», répond Hatim Seffar, responsable de communication à la CDG. Pour couronner le tout, Bank Al Maghrib et l’OCP se retrouvent dans la même problématique que la CDG… Ceci étant, peut-être que «tout cela va prendre la forme d’une convention entre la Fédération et ces entités», pense Abderrahim Bouhmidi, président de l’Institut marocain des juristes francophones. L’octroi pourrait se faire sous forme d’un prêt, d’une aide, ou en contrepartie de quelque chose comme de la publicité. Si cette hypothèse se vérifie, le financement de la Fédération par l’Etat posera-t-il problème ? «Il fallait injecter cet argent pour donner un espoir de redémarrage en appliquant à ce wagon financier tout un programme de mise à niveau. Pour certains clubs comme le stade marocain, qui a la centrale laitière qui finance un peu, l’essentiel des fonds émane des particuliers. Quel est le lien juridique ? Il n’y a pas de règles», tranche Abdallah Benhsaïn, ancien trésorier à la FRMF. A noter que la CDG a toujours sponsorisé le football au niveau de l’équipe du FUS de Rabat depuis l’avènement du parrainage des clubs en 1989. Et Bank Al Maghrib donne 10 millions de dirhams chaque année pour l’équipe nationale depuis 1996 (lire encadré).

Juridiquement parlant, le roi, même s’il est le chef de l’Etat, peut-il demander à une institution censée être souveraine de subventionner un secteur déterminé ?
Deux conceptions s’opposent. La première est que, vu sa position, le souverain peut intervenir comme bon lui semble. C’est le fait du prince. Il n’existe aucune clause constitutionnelle qui ne lui donne pas le droit d’agir ainsi. «Lorsque Sa Majesté donne des ordres à des entités déterminées, ce n’est plus un don, c’est dans l’intérêt du sport», indique le juriste Abderrahim Bouhmidi. Cela semble donc faire partie de ses prérogatives. Deuxième point de vue : selon Abderrahim Jamaï, cette décision est un abus de pouvoir. «Le roi ne peut pas donner l’ordre de céder des fonds, cela ne fait pas partie de ses attributions constitutionnelles, cela est illégal», tranche le président de l’Observatoire marocain des prisons. Ce dernier étaie ses propos : «Il a des pouvoirs dictés par la Constitution, ce sont les fonds publics qui doivent distribuer l’argent, il faut une loi et un budget votés.»

Un acte politique
Concernant son aspect symbolique, le message royal est en premier lieu une manière pour Mohammed VI d’être en phase avec le peuple marocain dans son mécontentement, selon Abderrahim Bouhmidi qui précise que «c’est un acte politique très fort au-delà de l’argent. Il déclare à tout le monde : le sport, c’est moi ! Et dit au nouveau bureau fédéral : montrez-moi maintenant ce que vous allez faire».

De manière générale, la monarchie a toujours implicitement considéré le sport, et en particulier le football, comme un domaine réservé (lire encadré). D’ailleurs, il n’y a pas toujours eu de ministre des Sports au Maroc, puisque juste avant la nomination de Nawal Moutawakil en 1997, il n’existait qu’un ministre de la Jeunesse pendant quatre ans. Une partie de la légitimité même du régime vient donc du système sportif. Or, le bilan du sport, et en particulier du football, sous le règne de Mohammed VI pose problème car il n’y a jamais eu de participation en Coupe du monde en dix ans de règne. Alors que Hassan II avait attendu neuf ans avant que les Lions de l’Atlas ne disputent cette compétition. Le seul exploit à retenir sous l’ère Mohammed VI reste la finale de la Coupe d’Afrique 2004 en Tunisie. Et les échecs de l’organisation du Mondial par deux fois n’ont rien arrangé. Quant à la fabuleuse épopée de l’athlète Hicham El Guerrouj qui a fait vibrer le peuple marocain, elle est à mettre sur le compte d’un self made man et non pas du système sportif en place. Aujourd’hui, l’arbre El Guerrouj n’est plus sur les pistes pour cacher la forêt. «Le football et l’athlétisme sont une véritable soupape de sécurité pour le régime. Car cela mobilise et fait rêver les gens. Le match Raja-Wydad réunit parfois 120 000 personnes, ce qu’aucun parti ne peut faire ! Lorsqu’il y a une crise dans le domaine sportif, le roi a toujours été sauveur», note le politologue et amoureux du ballon rond Mohamed Darif.

Un sport rentier
Le geste royal peut aussi être perçu comme une manière de sauver l’image de Ali Fassi Fihri, nouveau président de la FRMF, qui n’a pas encore eu le temps de trouver ses marques et dont la nomination s’inscrit finalement dans la continuité puisqu’il est un homme du sérail. A ce titre, on peut se demander pourquoi une personne qui gère déjà une multitude d’activités a été parachutée au sommet d’une fédération qui aurait besoin qu’on lui consacre tout son temps. Fassi Fihri sera contraint de déléguer ses pouvoirs. Il restera donc relativement loin des réalités de la FRMF. 
Par ailleurs, cette décision peut être perçue comme la suite logique de la lettre royale adressée aux participants des Assises nationales du sport le 24 octobre 2008. Morceaux choisis : «Le sport est en train de s’enliser dans l’improvisation et le pourrissement, il est soumis par des intrus à une exploitation honteuse pour des raisons bassement mercantilistes ou égoïstes», dénonce le document. Plus dans le vif du sujet, on peut lire : «Dans la gestion des fédérations et des clubs, les responsabilités ne sont pas toujours claires… ceci pose évidemment le problème du financement qui demeure la clé de voûte du sport moderne». Même s’il est indispensable, l’argent ne résoudra pas les problèmes à lui seul. «Le don royal est une manne donnée à la Fédération pour qu’elle aille de l’avant, mais il faut maintenant la volonté politique pour impliquer les collectivités locales», indique Abdallah Benhsaïn, président du comité directeur du Stade marocain. (lire entretien). Et cet élan politique ne peut pas venir de la seule Fédération. Il faut souligner que celle-ci est un organe purement technique. Elle ne fait partie ni du gouvernement ni du Parlement. La FRMF est sous tutelle du ministère de la Jeunesse et des Sports, mais celui-ci n’intervient pas sur le plan de la gestion technique (organisation du championnat, programme, etc). «Tant que le sport, et en particulier le foot, resteront des sports rentiers, il n’évoluera pas», conclut le juriste Bouhmidi. Force est de constater que le sport ne rapporte pas d’argent et ne crée pas d’emplois. Pendant que dans d’autres pays, il est rentable à défaut d’être rentier. Et c’est justement cela qui fait la force des grandes nations du ballon rond.

Les entraîneurs sous l’ère Mohammed VI
Henri Michel : 1995-2000
Le sélectionneur français a assisté à l’intronisation de Mohammed VI. Il touchait 520 000 DH par mois.
Henry Kasperzack : 2000
Cet ex-joueur polonais est resté 6mois à la tête de l’équipe nationale. Il n’a jamais convaincu.
Mustapha Madih : 2000
Simple roue de secours, le Marocain n’aura disputé qu’un seul match officiel en équipe nationale.
Humberto Coelho : 2000-2002
Avec un salaire mensuel de 450 000 DH, le Portugais n’est pas parvenu à qualifier les Lions de l’Atlas en Coupe du monde.
Baddou Zaki : 2002-2005
Le chouchou du public marocain gagnait 150 000 DH par mois avant de voir ses gains passer à 300 000 DH après la CAN 2004.
Philippe Troussier : 2005
Avec 500 000 DH par mois, le sorcier blanc voulait les pleins pouvoirs mais il n’a pas obtenu gain de cause.`
M’hamed Fakhir : 2005-2007
Celui qui empochait chaque mois 300 000 DH n’a pas été jugé assez costaud pour disputer la CAN 2008.
Henri Michel : 2007-2008
La Fédération a voulu ressusciter le football, en le faisant revenir comme un messie avec 450 000 DH par mois.
Fathi Jamal : 2008-2009
En tant qu’entraineur et directeur technique, il touchait 85 000 DH par mois. Son rôle au sein de l’équipe a toujours été très flou…
Roger Lemerre : 2008-2009
Avec 480 000 DH par mois et un contrat qui courait jusqu’en 2010, le bouc émissaire de tout un peuple a été limogé le 7 juillet 2009.
* Les salaires indiqués ci-dessus ne prennent pas en compte les primes et autres avantages.

Les Gestes Royaux
La première fois que Mohammed VI a eu recours à l’argent avec l’équipe nationale remonte à la Coupe d’Afrique 2004 lorsque les Lions de l’Atlas se sont hissés en finale. Il avait offert un million de dirhams à chaque joueur et deux millions à Baddou Zaki et Nourredine Naybet à leur retour de Tunisie. Avant la décision d’injecter de l’argent à la Fédération, le budget de la FRMF était d’environ 60 millions de dirhams par an, subventionnés par le ministère de la Jeunesse et des sports. La retombée des matchs télévisés est une cagnotte distribuée aux différents clubs : dix millions de dirhams par an pour la première division et 600 000 pour la deuxième. Sans oublier l’apport de Maroc Telecom qui verse 15 millions de dirhams par an à la Fédération et de Bank Al Maghrib avec 10 millions de dirhams par an. Du temps de Hosni Benslimane, ancien président de la FRMF, l’homme d’affaires Jean Claude Darmon avait versé pendant neuf mois la somme de trois millions de dirhams mensuellement. Il avait obtenu un accord de sponsoring de Maroc Telecom, Sidi Ali et Coca Cola. Mais Darmon s’est retiré suite aux contre-performances de l’équipe nationale. «Le roi défunt finançait l’équipe nationale. A chaque fois qu’elle avait besoin de quelque chose, il était là», raconte l’ancien joueur Merry Krimau. Hassan II a toujours encouragé ou récompensé les joueurs de l’équipe nationale à l’aide de primes. «Les primes sont négociées avec le ministère et la Fédération. Maintenant, lorsqu’un joueur demandait de l’argent il obtenait toujours gain de cause, mais ce sont des choses qui relèvent du domaine privé», souligne Krimau.

Le Makhzen tient les manettes
Le ballon rond a toujours été une force politique. Un moyen de mobilisation. Beaucoup de ténors du makhzen ont supervisé des clubs : Mohamed Mediouri, homme de confiance de Hassan II, pour le Kawkab de Marrakech, Driss Basri, ex-ministre de l’Intérieur, pour la Renaissance sportive de Settat et le général Hosni Benslimane pour les Forces armées royales. Leur départ a provoqué la chute ou la baisse de régime de leurs clubs protégés. Autre exemple, en 1976, le pouvoir se méfiait de l’USFP (Union socialiste des forces populaires) et voulait lui couper la route par la voie de l’UC (Union constitutionnelle). Cette dernière s’est imposée à Casablanca par le biais du Raja. Une force politique qui s’impose donc en utilisant la popularité d’une équipe. C’est ce que tente de faire actuellement Mounir El Majidi avec l’équipe du FUS. Depuis l’ Istiqlal, le Palais a cherché à préserver l’équilibre entre les élites fassies et amazighes, «un conflit qui s’est exprimé à travers les matchs entre le Wydad (fassis) et le Raja (Amazighs)», atteste le politologue Mohamed Darif. Jusqu’en 1983, le Makhzen tablait surtout sur le foot. Il a ensuite également compté sur l’athlétisme, suite aux victoires de Saïd Aouita et Nawal Moutawakil qui ont fait rêver les Marocains.

Interview :
Benhssaine (DR) PAbdallah Benshain, ancien secrétaire général de la FRMF
Que pensez-vous du geste royal ?

Le premier sportif du pays, c’est Sa Majesté et la Fédération est une fédération royale. Son apport à la FRMF est un ballon d’oxygène pour qu’elle puisse mettre sur pied un programme qui se tienne en attendant que tous les intervenants puissent se manifester.

Est-il normal que le roi intervienne ainsi ?

Le foot étant la locomotive du sport, il fallait lui insuffler cette manne. Les rois ont toujours soutenu le football, peut-être qu’ils n’ont pas trouvé en face des gens capables de concrétiser leur volonté.

Quels sont les problèmes du football national ?

On constate qu’il y a un manque partout : il n’y a pas le spectacle voulu ni les spectateurs voulus. Le football est presque invendable. Le problème numéro un pour moi concerne les infrastructures. Vous ne pouvez pas demander aux gens d’aller dans des stades pour s’asseoir sur du goudron, du ciment, pour regarder un football approximatif dans des terrains qui n’en sont pas, sans parler de l’environnement où il n’y a ni vestiaires ni rien du tout.

Le mal est donc profond…

En tant que président de club, qui est passé voir les amateurs, je vous invite à voir où on joue à Souk Larba, à Assilah, à Fkih Ben Salah. Ces équipes n’ont pas de terrain et sont cependant aux portes de la première division. Aujourd’hui à Rabat, il n’existe pas de terrain de football, à part le complexe Moulay Abdallah. Comment transformer le Wac et le Raja, les professionnaliser alors qu’ils n’ont même pas un terrain ?

Ce n’est donc pas un problème d’ordre financier ?
L’argent n’est pas une solution, il faut sensibiliser les collectivités locales et répercuter cela sur les gouverneurs et les walis. La Fédération doit créer un cahier des charges. Là où je rejoins la volonté royale, c’est que la Fédération peut inciter les gouverneurs et les walis à rendre les équipes professionnelles et s’attacher à monter des stades, à avoir des clubs performants. Si on continue comme cela l’année prochaine, Oujda sera en deuxième division et le football national s’arrêtera à Fès. Tout l’oriental sera exclu. En prenant la carte du Maroc, 50% des clubs jouent sur un espace de 70 kilomètres. Il faut une sorte d’émulation entre les villes pour faire partie d’une ligue professionnelle. La Fédération, quel que soit l’apport de l’argent qu’elle a, ne peut pas le faire car la base, qui est le terrain, n’y est pas.


Vous mettez les clubs et les équipes nationales dans le même sac ?

Une équipe nationale n’est que la résultante d’un football national. Il y a quelque chose contre-nature qui se passe au Maroc. On apporte 120% de joueurs de l’étranger sans aucun égard pour le joueur marocain. On a même eu la stupidité d’aller chercher des gens du Moyen-Orient en ignorant les gens d’ici. Peut-être que le football marocain n’est rien à côté de celui pratiqué en Europe, mais ne me dites pas que le Maroc n’est rien à côté du Qatar ! Les joueurs qui évoluent là-bas sont des pré-retraités. 

Les mauvais résultats sont-ils à mettre sur le dos de Lemerre ? 
Il est clair qu’il fallait l’éliminer. Mais personne ne parle d’un certain Jean Pierre Morlans qui a été engagé en même temps. Il s’occupe de la direction technique. Celle-ci doit travailler sur le terrain et non pas dans les bureaux, elle doit élargir le champ d’action. Morlans est en train de se morfondre entre les restaurants, chez lui et le bureau de la Fédération. Nous n’avons pas besoin du travail d’un directeur technique. Cela ne veut pas dire que Morlans est mauvais mais que la Fédération n’a pas les moyens de lui donner un outil de travail. Pour toute guerre il faut une stratégie.

Quel serait l’homme de la situation?

Pour qualifier l’équipe nationale en Coupe du monde, il faut une sorte de kamikaze. Je prendrais Philippe Troussier, que je connais bien, pour un contrat de trois matchs qui se terminerait lors du dernier match contre le Cameroun. C’est un bourreau de travail. Sa résidence est au Maroc et il est disponible actuellement. Il est exigeant sur le plan du travail. Je l’ai embauché pour qu’il remporte la Coupe du Trône et je lui avais donné 50 000 dirhams avant et 50 000 après lorsqu’il a gagné. Peut-être que Baddou Zaki sera l’homme de la situation après ces trois matchs…

On refait l’histoire
La mémoire du football marocain a toujours été intrinsèquement liée à la monarchie.
Hassan II G_2Le Wydad est une équipe nationaliste, vous êtes le symbole de la Nation et vous ne pouvez pas partir», aurait lancé le prince Moulay Hassan dans les années 1950 aux trois joueurs légendaires du Wydad Driss Joumad, Chtouki et Abdeslam. La triplette du WAC avait été approchée par l’Atletico de Madrid. Abdeslam, qui avait des problèmes de santé était pris en charge par Mohammed V. L’intérêt de la monarchie pour le football prenait déjà de l’importance à l’époque. Huit ans plus tard, le prince héritier voulait mettre en place une locomotive qui serve d’exemple au football marocain en créant l’équipe des Forces armées royales. Un club estampillé du cachet makhzenien. En ces temps anciens, l’équipe du FUS de Rabat était présidée par le prince Moulay Abdallah, ce qui provoquait de véritables rivalités footballistiques entre les deux Alaouites. Mais la première véritable offrande footballistique offerte au peuple marocain par un souverain est sans doute la Coupe Mohammed V qui a duré de 1960 à 1979. Il n’y avait pratiquement aucun match toute l’année à la télévision. Durant cette compétition, le vainqueur du championnat disputait des rencontres contre de grands clubs légendaires d’Europe à Casablanca comme le Real Madrid, l’Inter de Milan, Saint-Etienne et le Bayern de Munich où évoluait un certain Beckenbauer. Le tournoi se déroulait chaque année durant le dernier week-end du mois d’août.

«Nous n’étions pas seuls»
Le premier vrai geste royal qui ait marqué l’histoire du royaume et du football international date de 1961. La FIFA avait alors décidé d’octroyer une demi-place à l’Afrique pour la Coupe du monde. Ce qui veut dire que le Maroc avait dû disputer un match de barrage contre une équipe européenne (en l’occurrence l’Espagne) pour se qualifier. Après deux défaites héroïques en matchs aller et retour, les Lions de l’Atlas ont été éliminés. Sur initiative royale, le Maroc a donc décidé d’écrire à la FIFA pour demander une place à part entière à l’Afrique en Coupe du monde. Et en 1966, l’Afrique a boycotté le Mondial, refusant même de disputer les éliminatoires. Quatre ans plus tard, l’équipe nationale se qualifie à cette prestigieuse compétition au Mexique. 3 juin 1970, «Al Mountakhab» mène 1 à 0 contre l’Allemagne. Le chanteur marocain Ahmed El Bidaoui, qui regardait le match avec Hassan II, téléphone alors à la RTM qui couvre l’événement pour transmettre un message du roi : «Si le score reste ainsi, ne fermez pas l’antenne, il viendra peut-être faire une allocution et annoncer un jour férié», se remémore le journaliste sportif Najib Salmi qui était présent. Le Maroc a finalement perdu, mais avec les honneurs. En 1983, l’équipe arrive en finale des Jeux méditerranéens. Hassan II convoque les joueurs da ns son palais de Skhirat afin de les encourager. Ils remportent l’épreuve. Et ce n’est qu’en 1986 que les Lions de l’Atlas reviennent en Coupe du monde, encore une fois à Mexico. «Hassan II nous suivait de très près et voulait savoir ce qu’on faisait, il regardait le match, nous appelait au téléphone. Il nous avait à l’œil parce qu’il aimait cette équipe nationale. Nous n’étions pas seuls», déclare Merry Krimau, auteur d’un but historique lors de ce mondial. Et d’ajouter : «On a effectué une tournée de trois mois au Mexique. On était choyés, on n’avait besoin de rien. On a fait un petit tour à New York grâce au roi. On est sensibles à ces gestes-là. C’était trop fort». 
Hassan II accorde même au légendaire gardien de but Baddou Zaki le «privilège» de donner à sa fille le prénom de la princesse Lalla Soukaïna.

Un père spirituel
En 1994, Abdelkhalek Louzani, entraîneur de l’époque, après avoir écarté trois joueurs de la sélection, reçoit un appel du monarque. «Hassan II m’a téléphoné et je lui ai expliqué le problème de l’éviction des joueurs qui sont venus dans un état d’ébriété. Il m’a dit qu’il avait eu d’autres versions. Mes relations avec le président de la Fédération étaient très tendues», témoigne Louzani au Journal Hebdomadaire. Son remplaçant, Abdellah Blinda, aura la particularité d’être plus proche du roi. Lors d’une entrevue au palais royal, Hassan II lui propose de placer de grandes minerves au cou des joueurs. Aussitôt dit, aussitôt fait. «C’était très intelligent de sa part, pour ne pas que les joueurs regardent en bas car il y a beaucoup de joueurs qui ont la tête baissée. C’est une méthode géniale», vérifie Blinda, joint par téléphone. «Hassan II donne ses conseils mais vous dit : c’est toi le patron», ajoute l’intéressé. C’est surtout le Français Henri Michel qui bénéficiera de la reconnaissance du souverain. Il est félicité et décoré après la Coupe du monde 1998. «Le roi a profité de cette occasion pour me confier aussi la responsabilité de l’équipe olympique», déclarait Henri Michel au quotidien L’Equipe le 10 avril 1999. 
Le tournoi Hassan II, une compétition amicale, ayant tout de même amené la France sur le sol marocain, était une volonté du monarque de relancer la machine football. Elle a eu lieu tous les deux ans de 1996 à 2000. Plus récemment, Mohammed VI a reçu toute l’équipe nationale après la finale de la Coupe d’Afrique 2004. «Il était un peu comme un père de l’équipe nationale, parce qu’il les a reçus dans son intimité avec Moulay Hassan dans les bras», constate le savant du football Najib Salmi. 
Mercredi 14 mai 2008, le monarque a donné le coup d’envoi de la création de l’Académie Mohammed VI de football destinée à former de jeunes joueurs. «Le souverain est à l’origine de ce projet», avait déclaré Mounir El Majidi, directeur du secrétariat particulier du roi, lors d’un point de presse. A la lecture de ces lignes, il est clair comme de l’eau de roche que la monarchie a toujours été omniprésente dans le football car ce sport «n’est pas une question de vie ou de mort, c’est bien plus que cela», avait dit un jour le célèbre joueur anglais Bobby Charlton.

Le Journal Hebdomadaire, juillet 2009, numéro 404

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