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Maroc : l’obligation du pass vaccinal provoque colère et confusion

Le pass vaccinal imposé au Maroc est depuis dix jours au centre d’une grande polémique. Un front s’est constitué pour faire annuler la décision, pour l’instant sans succès

Sans débat préalable, le gouvernement marocain a annoncé le 18 octobre, par voie de communiqué, l’entrée en vigueur d’un pass vaccinal obligatoire, le premier dans un pays du Maghreb, à partir du 21 octobre.

Depuis cette date, tout déplacement « entre les préfectures et les provinces, à travers les moyens de transport privés et publics », est conditionné à la présentation du document, lequel est aussi obligatoire pour accéder aux cafés, aux restaurants, aux établissements touristiques, aux commerces et à tous les espaces fermés.

« Les fonctionnaires, les employés et les usagers des administrations sont également tenus de fournir le pass vaccinal pour accéder aux administrations publiques, semi-publiques et privées », ajoute le communiqué du gouvernement d’Aziz Akhannouch.

Après avoir entièrement vacciné contre le COVID-19 plus de 22 millions de personnes en moins de dix mois, soit 76 % de la population cible, et administré une troisième dose à plus d’un million de personnes, le gouvernement aspirait, à travers cette mesure, à pousser les récalcitrants à se ruer vers les centres de vaccination.

C’était sans compter le mouvement anti-pass qui s’est constitué sitôt la décision annoncée.

« Nous voilà de nouveau confrontés au manque de communication et au non-respect des craintes ou contraintes de certains citoyens », fustige un collectif créé le 19 octobre par plusieurs figures politiques et médiatiques, dont les chefs de partis d’opposition Nabila Mounib et Nabil Benabdallah ainsi que Jaafar Heikel, un célèbre professeur d’épidémiologie spécialiste des maladies infectieuses.



Le collectif critique « une démarche qui exposera des millions de Marocains à l’inquiétude, au risque de ne pas accéder à leurs emplois, de se retrouver incapables d’accéder à une administration en cas d’urgence, aux transports en commun ou encore de jouir d’autres droits plus élémentaires ».

« Le temps de faire de la pédagogie »
Dans une pétition signée par plus de 35 000 personnes, le « collectif citoyen » regrette une décision « sans aucun préavis ou délai raisonnable, ni débat national sur la question ».

« La vaccination n’ayant jamais été obligatoire, il est incompréhensible que des citoyens soient restreints dans leur libre circulation et dans leurs droits, sans en avoir été informés dans un délai raisonnable », écrivent-ils, prenant le soin de préciser qu’ils ne sont pas « par principe contre le pass vaccinal dès lors qu’il répond à des impératifs épidémiologiques et/ou sociaux et/ou économiques mais en prenant le temps de faire de la pédagogie pour convaincre ceux qui n’ont pas encore été vaccinés, ou accompagner ceux qui ne le peuvent pas ».

Le Syndicat des avocats du Maroc (SAM) ne dit pas autre chose en dénonçant des « décisions portant atteinte aux acquis en termes de droits humains ».

« Les circonstances exceptionnelles que connaît notre pays en raison de l’état d’urgence sanitaire, même si elles nécessitent un renforcement des efforts de la part des individus et des institutions, ne doivent pas justifier l’adoption de décisions impliquant un recul et compromettant les acquis en matière de droits humains », explique dans un communiqué diffusé le 23 octobre le syndicat des robes noires, qui juge la mesure anticonstitutionnelle en ce qu’elle porterait atteinte à plusieurs droits garantis par la loi fondamentale, comme la liberté de circulation et l’égalité entre les citoyens en matière d’accès aux services publics.

Même son de cloche du côté de l’ordre des avocats du Maroc, qui, remettant en cause le fondement juridique de l’obligation du pass vaccinal, a appelé dans un communiqué « tous les professionnels et toutes les composantes du mouvement marocain des droits humains à s’unir et unifier leurs visions et positions, dans la défense des droits et libertés, ainsi que des acquis en matière de droits humains que notre pays a accumulés grâce aux sacrifices de combattants honorables ».

Du côté des professionnels, l’Association nationale des cafés et restaurants du Maroc a rejeté, dans un communiqué diffusé le 21 octobre, la mesure gouvernementale, allant même jusqu’à appeler les employés « à ne pas demander aux clients de présenter leurs passeports vaccinaux, dans le respect de leur vie privée et afin d’éviter tout conflit avec eux, et de laisser la responsabilité de ce contrôle aux autorités habilitées par la loi ».

Opposée au vaccin, la députée Nabila Mounib, par ailleurs secrétaire général du Parti socialiste unifié (gauche), a été empêchée d’accéder au Parlement bien qu’elle ait brandi un test PCR négatif.

« En tant qu’élue de la nation, je suis empêchée d’accéder à une institution constitutionnelle qu’est le Parlement […]. La lutte pour la sauvegarde des droits et des libertés dans notre pays doit continuer. On a tous vu la répression de manifestations pacifiques contre des citoyens normaux qui expriment leur peur de vacciner leurs enfants et leur peur de perdre leur travail », a-t-elle déclaré, en colère, à quelques médias en faisant référence à des manifestations empêchées par les forces de l’ordre depuis le 21 octobre.

« Esprit de patriotisme »
Le front anti-pass espérait, sinon annuler la décision, du moins repousser son entrée en vigueur.

Mais l’exécutif ne l’entendait pas de cette oreille. Le 28 octobre, durant un conseil de gouvernement, Aziz Akhannouch a fait l’impasse sur la colère des détracteurs du pass en se contentant de saluer « le grand rôle joué par les citoyens, louant l’esprit de patriotisme dont ils ont fait preuve, ainsi que leur forte adhésion à la campagne nationale de vaccination », ainsi que l’indique un communiqué du porte-parole du gouvernement.

« Plus notre pays se rapproche de la réalisation des objectifs souhaités, consistant à atteindre l’immunité collective, plus nous sommes proches d’un retour à la vie normale auquel chacun de nous aspire », a-t-il insisté.

Le Conseil national des droits de l’homme (CNDH) a adressé au chef du gouvernement une lettre l’invitant à remplacer le pass vaccinal par un pass sanitaire pour inclure un test PCR négatif ou une attestation de guérison du COVID-19. Une proposition à laquelle le gouvernement n’a pas encore réagi.

Le Maroc, où la courbe de contaminations et de décès décroît régulièrement depuis dix semaines, veut immuniser 80 % de la population (soit 30 millions de personnes).

Rachid Bouanani

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