Macron se rend en Algérie pour panser ses blessures

PARIS (AP) — Le président français Emmanuel Macron se rend en Algérie pour une visite officielle de trois jours visant à relever deux défis majeurs : dynamiser les relations économiques futures tout en cherchant à panser les blessures héritées de l’ère coloniale, 60 ans après la victoire du pays d’Afrique du Nord son indépendance vis-à-vis de la France.

Cette visite intervient moins d’un an après une crise diplomatique de plusieurs mois entre les deux pays qui a attisé les tensions postcoloniales et alors que la guerre en Ukraine a renforcé le statut de l’Algérie en tant que partenaire clé pour l’approvisionnement en gaz du continent européen.

Ces dernières années, Macron a pris des mesures sans précédent pour reconnaître la torture et les meurtres commis par les troupes françaises pendant la guerre d’indépendance de l’Algérie de 1954 à 1962, dans le but d’apaiser les relations encore rancunières entre les deux pays. Pourtant, la série de gestes symboliques n’a pas été à la hauteur des excuses de la France pour ses actions pendant la guerre – une demande de longue date de l’Algérie.

Macron doit rencontrer jeudi le président algérien Abdelmajid Tebboune au palais présidentiel El Mouradia.

Lors d’un entretien téléphonique avec Tebboune samedi, il a déclaré que le voyage contribuera à « approfondir les relations bilatérales », selon l’Elysée. Il a exprimé le soutien de la France après les incendies meurtriers dans l’est de l’Algérie .

C’est la deuxième fois que Macron se rend en Algérie en tant que président. Lors d’une brève escale en décembre 2017, il a appelé à un « partenariat entre égaux ». Des mois auparavant, lors d’un voyage à Alger en tant que candidat à la présidentielle, il avait qualifié la colonisation de «crime contre l’humanité».

Macron, qui est le premier président français né après la fin de la brutale guerre d’indépendance de sept ans en Algérie en 1962, a promis un règlement des torts de l’ère coloniale. Le pays a été occupé par la France pendant 132 ans.

En 2018, Macron a reconnu la responsabilité de l’État français dans la mort en 1957 d’un dissident en Algérie, Maurice Audin, admettant pour la première fois l’utilisation par l’armée de la torture systématique pendant la guerre. Il a ensuite pris une décision clé pour accélérer la déclassification des documents secrets liés à la guerre, entre autres gestes.

Macron aura une deuxième réunion avec Tebboune vendredi en présence du chef de l’armée française et des ministres de la Défense et des Affaires étrangères pour discuter de la paix et de la stabilité dans la région, après que la France a achevé le retrait de ses troupes du Mali au début du mois. Paris maintient toujours des troupes dans la région élargie du Sahel, le cœur de l’opération étant déplacé au Niger.

La coordination avec les autorités algériennes est cruciale car le pays partage de longues frontières au Sahara avec le Mali, la Libye et le Niger, qui sont des voies empruntées par les passeurs et les extrémistes islamiques, a souligné l’Elysée.

Aucun approvisionnement énergétique ou autre gros contrat commercial n’est prévu pendant le voyage de Macron, mais l’accent sera mis sur les relations économiques futures, selon l’Elysée.

Le statut de l’Algérie en tant que fournisseur clé de gaz pour l’Europe a été renforcé au milieu des craintes que la Russie pourrait couper les gazoducs . Le pays d’Afrique du Nord est le troisième fournisseur de gaz de l’UE, représentant 8,2 % des importations du bloc des 27 pays en 2021.

Alger a déjà commencé à augmenter ses approvisionnements en gaz vers le continent, principalement via deux gazoducs qui relient le pays à l’Italie et à l’Espagne. Il a signé un contrat gazier de 4 milliards de dollars avec le groupe américain Occidental Petroleum, la société italienne Eni et le géant français Total.

Le politologue Mohamed Saidj a déclaré à l’AP qu’il considère qu’il s’agit de la visite la plus importante d’un président français depuis 1975, car elle intervient après la crise diplomatique majeure de l’année dernière.

Les tensions entre les deux pays se sont intensifiées à la suite d’une décision française de réduire considérablement le nombre de visas délivrés aux personnes en Afrique du Nord, y compris en Algérie, car les gouvernements refusaient de reprendre les migrants expulsés de France.

Les relations se sont encore aggravées après que l’Algérie a rappelé son ambassadeur en France citant de prétendus « commentaires irresponsables » attribués à Macron sur l’histoire précoloniale et le système de gouvernement postcolonial de l’Algérie. En représailles, l’Algérie accuse Paris de « génocide » à l’époque coloniale.

Les deux pays ont convenu de reprendre leur coopération en décembre.

La situation des visas sera discutée lors du déplacement de Macron, a précisé l’Elysée. Il y a plusieurs millions de ressortissants algériens ou d’ascendance algérienne en France.

Les tensions de l’an dernier ont répandu dans l’opinion publique algérienne un sentiment d’hostilité à l’égard de la France, repris par les pressions des autorités pour remplacer la langue française à l’école et dans l’administration publique par l’anglais.

L’Elysée a déclaré que Macron soulèverait également des questions de droits de l’homme, dans un pays où les militants critiquent un système de gouvernance injuste qui considère les dissidents comme des criminels et n’autorise pas la liberté d’expression.

L’analyste politique Hassan Moali a souligné que la visite « devrait être l’occasion de clarifier toutes les questions et de dire la vérité. … La France est certes un partenaire économique, mais la question historique reste centrale dans les relations bilatérales.»

Le président français se rendra vendredi au cimetière chrétien et juif de Saint-Eugène à Alger. Il visitera également la Grande Mosquée.

Il prendra ensuite la direction d’Oran, deuxième ville du pays, où il assistera samedi à un spectacle de breakdance, qui deviendra sport olympique en 2024 à Paris.

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