Au moment où les tensions culminent entre les deux pays, le conflit est une option pour les faucons d’Alger
Les faits –
Mercredi 24 novembre, le Maroc et Israël ont signé un accord sécuritaire qui inquiète l’Algérie, alors qu’au début du mois, trois camionneurs algériens ont été tués lors d’une attaque au Sahara Occidental, vraisemblablement menée par un drone marocain récemment livré par la Turquie.
La tension monte chaque jour un peu plus entre l’Algérie et le Maroc, au point que l’on parle désormais de guerre entre les deux pays du Maghreb. « L’Algérie ne veut pas la guerre avec le Maroc, mais elle est prête à la faire », entend-on ainsi dans certains milieux proches de l’armée algérienne. « S’il faut la faire, c’est aujourd’hui, car nous sommes militairement supérieurs à tous les niveaux et ce ne sera peut-être plus le cas dans quelques années », indique une source, qui reconnaît être un « faucon ». Ce qui préoccupe les Algériens, « c’est le soutien d’Israël au Maroc. Cela va changer la donne, dans un délai que l’on estime à trois ans ».
Mercredi 24 novembre, le royaume chérifien et l’Etat juif ont en effet signé un accord sécuritaire, après avoir renoué des liens officiels en décembre 2020, dans le cadre des « accords d’Abraham » entre Israël et certains pays arabes.Les Etats-Unis avaient alors reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, un succès diplomatique historique pour Rabat… au grand dam d’Alger. La coopération sécuritaire entre le Maroc et Israël n’est pas nouvelle, mais elle a longtemps été tenue secrète pour ménager une opinion sensible à la cause palestinienne. Elle s’affiche désormais à visage découvert et prend de l’importance, au-delà des activités de renseignement, comme avec la vente du logiciel Pegasus. Conçu par l’Israélien NSO, cet outil technologique aurait permis au Maroc d’écouter des téléphones algériens et français. Dont celui d’Emmanuel Macron.
« Pour l’instant, les Américains disent aux Israéliens de ne pas fournir de systèmes d’armes qui pourraient provoquer un déséquilibre militaire immédiat en faveur du Maroc », croit-on savoir à Alger. Les armements qui inquiètent le plus les Algériens sont ceux relevant de la guerre électronique et des drones kamikazes, utilisés en 2020 par les Azerbaïdjanais au Karabakh. Le Maroc vient, par ailleurs, de recevoir des drones de fabrication turque Bayraktar TB2, qui s’imposent comme des « game changers » sur différents théâtres d’opérations.
« L’armée de terre, c’est le défaut de la cuirasse marocaine. La monarchie s’est toujours méfiée d’elle, par peur d’un coup d’Etat »
« Riposte graduée ». La tension entre Alger et Rabat est brutalement montée le 1er novembre, quand trois camionneurs algériens ont été tués alors qu’ils circulaient au Sahara occidental. Selon les sources algériennes, leurs véhicules ont été frappés par un drone. L’attaque a eu lieu dans la partie du Sahara occidental qui n’est pas sous le contrôle du Maroc. Le statut du Sahara occidental est contesté depuis 1975, après le départ de l’ancienne puissance coloniale, l’Espagne. Il oppose le Maroc et l’Algérie. Si un conflit armé devait surgir entre les deux pays, c’est vraisemblablement là qu’il débuterait. En 1976, le Maroc a pris le contrôle de cette vaste portion de désert (260 000 km2, mais à peine 600 000 habitants), au terme de la Marche Verte lancée par le roi Hassan II.
Un mouvement indépendantiste soutenu par l’Algérie, le Polisario, a toujours refusé cette annexion et a proclamé l’indépendance de la République sahraouie (RASD). Le royaume chérifien considère, lui, qu’il n’a fait que reprendre un territoire qui lui avait été enlevé par l’Espagne. Pour s’assurer du contrôle de la région et repousser les attaques du Polisario, le Maroc a construit un mur de sable — long de 2 720 km du Nord au Sud — que garde son armée. A l’Ouest, environ 80 % du territoire est sous le contrôle des autorités du Maroc. A l’Est, le long de la frontière avec la Mauritanie, se trouve un secteur contrôlé par le Polisario, dont le quartier général est installé à Tindouf en territoire algérien. Vu d’Alger, le facteur déclencheur d’un conflit serait la volonté du roi Mohammed VI de prendre le contrôle de l’ensemble du Sahara Occidental, au-delà du mur de sable. Une manière pour M6 d’achever l’œuvre de son père avant de transmettre la couronne à son fils. A Alger, on estime que « ce serait une humiliation pour nous ».
Côté algérien, plusieurs scénarios militaires seraient sur la table, alors qu’on semble privilégier une « riposte graduée ». L’une des options est une « no fly-zone », une zone d’interdiction aérienne visant les aéronefs marocains — les drones en particulier —, au-dessus de la bande contrôlée par le Polisario. Un appui aérien à ses forces serait également évoqué. On est loin d’une offensive terrestre de grand style, avec divisions d’infanterie et brigades blindées, mais le risque d’escalade est réel. D’autant que l’on observe, à Alger, une forme d’hubris, de complexe de supériorité qui n’incite pas à la prudence. « Militairement, nous sommes très supérieurs aux Marocains », avance un interlocuteur. Ce serait en particulier le cas en ce qui concerne les forces terrestres. « L’armée de terre, c’est le défaut de la cuirasse marocaine. La monarchie s’est toujours méfiée d’elle, par peur d’un coup d’Etat. Contrairement à l’aviation ou à la marine, l’armée de terre, c’est le petit peuple », poursuit-il.
« Nous avons laissé le terrain aux autres et nous devons reprendre notre place en Afrique, avec la mise en place d’une stratégie diplomatique plus agressive »
Bruits de botte. Les spécialistes le savent : la comparaison du nombre d’avions, de chars, d’hommes ou de bateaux n’a souvent guère de sens militaire. Il faut regarder dans le détail pour se faire une idée de la valeur comparée de deux armées : quels systèmes électroniques à bord des avions ? Quel aguerrissement des troupes ? Quelle capacité de commandement ? Quelle stratégie sur le terrain ? Autant de domaines où l’information est rare. Ce que l’on sait, c’est que l’Algérie consacre beaucoup plus d’argent à son armée que le Maroc. Au cours des dix dernières années, Alger a ainsi acheté deux fois plus de matériels (10,5 milliards de dollars) que le Maroc (4,5).
L’attaque du 1er novembre a été le point culminant d’une montée des tensions entre le Maroc et l’Algérie. Les deux pays se sont affrontés militairement lors de la « guerre des sables » de 1963 et depuis lors les relations entre la monarchie pro-occidentale et la république socialisante n’ont jamais été bonnes. Leurs frontières terrestres sont fermées depuis 1994 et tout est prétexte à querelle, jusqu’à — très récemment — la paternité du couscous… L’été dernier, les Algériens avaient déjà accusé leurs voisins d’être à l’origine des gigantesques incendies de forêts qui ont touché le pays.
« Ce qui se joue, c’est le leadership en Afrique du Nord », indique-t-on côté algérien, où l’on souhaite tourner la page des années Bouteflika. « Nous avons laissé le terrain aux autres et nous devons reprendre notre place en Afrique, avec la mise en place d’une stratégie diplomatique plus agressive. » Dont les bruits de botte face au Maroc font sans doute partie. Cette stratégie s’appuie sur une alliance renouvelée avec la Russie. « Bouteflika n’aimait pas la Russie et la Russie ne l’aimait pas », explique un bon connaisseur de la scène algéroise. « Mais il n’a pas pu s’opposer aux li ens étroits en matière de défense, qui relèvent de l’armée, alors qu’il a privilégié les Chinois et les Occidentaux dans le secteur civil. »
Jean-Dominique Merchet
L’Opinion, 30 novembre 2021
https://www.lopinion.fr/international/lalgerie-est-prete-a-faire-la-guerre-au-maroc-sil-le-faut
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