Un espion découvert dans un consulat marocain à Madrid

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L’Audience nationale refuse la nationalité espagnole à un employé du consulat du Maroc à Madrid qui, selon le CNI, avait été recruté pour espionner par le chef des services secrets de Rabat en Espagne.
Par Ignacio Cembrero

Le Centre national de renseignement (CNI) a découvert juste avant la pandémie un complot d’espionnage marocain depuis son consulat à Madrid. Un agent consulaire recruté par les services secrets marocains s’est vu refuser la nationalité espagnole le mois dernier, mais n’a pas encore été expulsé d’Espagne. Les chambres contentieuses-administratives de l’Audiencia Nacional ont, assez fréquemment, refusé d’accorder la nationalité espagnole à des immigrants marocains installés en Espagne sur la base de rapports du CNI qui invoquent des raisons de « sécurité nationale » sans entrer dans les détails. Cette mention n’est généralement pas liée à des liens présumés avec des organisations islamistes radicales, mais aux services secrets marocains opérant en Espagne, notamment la Direction générale des études et de la documentation (DGED), qui opère hors du Maroc.

Le jugement du 14 septembre du troisième tribunal administratif, présidé par le magistrat José Félix Méndez Canseco, rejette, pour la première fois, l’octroi de la nationalité à un employé administratif du consulat du Maroc à Madrid, et met directement en cause le chef des renseignements marocains en Espagne, qui opère depuis son ambassade dans la Calle de Serrano à Madrid. Les ressources de Don Gabriel, comme le demandeur de la nationalité est appelé dans l’arrêt pour ne pas révéler son vrai nom, ont obligé la CNI à fournir plus d’informations aux magistrats qu’elle ne le fait habituellement. Le principal service secret espagnol affirme avoir « des preuves de l’étroite collaboration [de Don Gabriel], depuis son arrivée en 2016, au consulat du Maroc à Madrid en tant qu’agent local, avec l’actuel chef des services de renseignement marocains en Espagne. » [Les juges accordent une pleine validité au rapport des services de renseignement espagnols. Il ne s’agit pas d’une compilation de « simples conjectures sur la personne concernée ». Les informations qu’il fournit sont « suffisamment explicites et concrètes », souligne la sentence qui, en principe, met fin à 12 ans de démarches de Don Gabriel pour devenir Espagnol.

L’avant-dernier épisode, avant le verdict du mois dernier, a été le recours déposé par Don Gabriel contre la résolution de décembre 2019, dans laquelle le directeur général des registres et des notaires a de nouveau rejeté sa demande. Don Gabriel a nié à tout moment « toute collaboration avec les services de renseignement marocains » et a assuré que « son travail au consulat du Maroc est purement administratif et se limite à la gestion des passeports ». Il est également marié à une femme espagnole d’origine marocaine, employée d’une multinationale espagnole, avec laquelle il a deux enfants mineurs. Tant le ministère public que l’état civil et la police se sont prononcés en faveur de l’octroi de la nationalité. Le CNI, selon la sentence, a commencé à enquêter sur lui en 2011, un an après qu’il ait commencé à travailler comme interprète au consulat du Maroc à Séville, bien avant d’être envoyé à Madrid en 2016.

Dans la colonie marocaine d’Espagne, la rumeur a toujours couru que la DGED utilisait certains employés des consulats à son service, mais cet arrêt en apporte la preuve pour la première fois. Un cas assez similaire s’est produit à Las Palmas. Fabio, un homme d’affaires marocain installé dans l’archipel, s’est vu refuser sa demande de nationalité espagnole pour avoir entretenu, entre 2008 et 2016, « une relation de pleine collaboration avec les services de renseignement étrangers marocains », selon un arrêt de 2020 de l’Audience nationale. Les juges ont baptisé l’homme d’affaires « Fabio » pour protéger sa véritable identité. L’homme d’affaires travaillait pour le chef des renseignements marocains au consulat du Maroc à Las Palmas, mais, contrairement à Don Gabriel, il n’était pas un employé administratif de ces bureaux.

Seule l’expulsion d’un espion marocain d’Espagne, Nourendin Ziani, en mai 2013, à la demande du général Félix Sanz Roldán, alors directeur du CNI, a été enregistrée à ce jour. Basé à Barcelone, Ziani avait fondé l’Union des centres culturels islamiques de Catalogne, financée par le ministère marocain dédié à l’émigration. Il a fini par travailler aux côtés de Nous Catalans, une fondation créée par Artur Mas lorsqu’il était à la tête de Convergència Democràtica de Catalunya, ce qui a mis à l’épreuve la patience des autorités espagnoles. En Allemagne, aux Pays-Bas et en Belgique, les expulsions et même les procès de collaborateurs des services secrets marocains sont souvent rendus publics. Le dernier cas connu remonte à juillet 2018, celui d’une femme, Kaoutar Fal, au sujet de laquelle la Sûreté de l’État belge a déclaré dans un communiqué qu’elle avait été expulsée « pour ses activités d’ingérence et d’espionnage pour le compte de services de renseignement étrangers ». « Kaoutar Fal et ses organisations sont fortement impliqués dans des activités d’ingérence pour le compte du Maroc », conclut le texte.

Bien que le gouvernement espagnol ne veuille pas pointer du doigt le Maroc, de hauts responsables de la sécurité désignent le pays voisin comme responsable du piratage des téléphones portables du premier ministre, Pedro Sánchez, et de ses ministres de la défense, de l’intérieur et des affaires étrangères – ce dernier cas n’étant pas officiellement reconnu – avec le logiciel malveillant Pegasus, fabriqué par la société israélienne NSO. Leurs appareils ont été infectés en mai et juin 2021, au plus fort de la crise hispano-marocaine.

El Confidencial, 10/10/2022

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