L’Algérie et le Général Hiver

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Enrique Juliana
09/04/2022 00:30
La Russie a commencé jeudi dernier des exercices militaires à grande échelle dans l’extrême est du plus grand pays du monde. Démonstration de force et démonstration d’alliances en Sibérie orientale. Cinquante mille soldats de treize pays, 140 avions et 60 navires de guerre répartis sur sept zones d’entraînement, dont la mer du Japon et, plus au nord, la mer d’Okhotsk, séparée de l’océan Pacifique par la péninsule du Kamtchatka et les îles Kouriles. Mercredi prochain, Vladimir Poutine sera présent aux exercices Vostok 2022.

La participation de la Chine et de l’Inde à ces exercices, ainsi que des troupes de dix autres pays amis, vise à faire passer le message que la Russie n’est pas isolée six mois après le début de l’invasion de l’Ukraine. La République populaire de Chine a déjà participé aux dernières manœuvres Vostok, menées en 2018, mais à cette occasion sa présence envoie un avertissement clair aux États-Unis et à Taïwan : la Russie et la Chine ne se séparent pas. Plus remarquable encore est la présence de troupes indiennes en Sibérie. L’Inde est le rival historique de la Chine en Asie et participe à la Quad Alliance, avec les États-Unis, le Japon et l’Australie, qui tente de contrer la force de la Chine dans l’océan Indien et le Pacifique. L’Inde n’est pas une amie de la Chine, mais elle ne veut pas trop s’éloigner de la Russie. L’Inde nationaliste joue des deux côtés.

En Sibérie orientale, il y a aussi l’Algérie. L’armée algérienne a envoyé une unité de combat aux manœuvres de Vostok, en guise d’apéritif aux exercices militaires qui auront lieu en novembre près de la ville de Béchar, à 50 kilomètres de la frontière avec le Maroc, sous le nom pompeux de Bouclier du désert. Des parachutistes et de l’infanterie mécanisée russes participeront à ces manœuvres, qui simuleront une opération anti-terroriste. Ce sera la première fois que les troupes russes effectueront officiellement des exercices militaires sur le sol algérien.

Desert Shield est une réponse à African Lion, les gigantesques manœuvres militaires que le Maroc et les États-Unis réalisent chaque année, avec la participation d’autres pays invités. Le Lion d’Afrique de cette année a déployé plus de 7 000 soldats au Maroc en juin pour des exercices tactiques près de la frontière algérienne. L’Espagne n’a finalement pas participé aux manœuvres, malgré le fait que sa présence avait été annoncée par le commandement nord-américain.

L’Algérie ne s’est pas séparée de la Russie depuis que, dans les années 1960, l’Union soviétique a apporté son plein soutien à l’indépendance de la plus grande colonie française d’Afrique. Les principaux commandants militaires et les hauts responsables du puissant service de renseignement algérien parlent russe, puisqu’ils ont reçu une formation à Moscou. Poutine s’intéresse beaucoup à l’Algérie, comme il s’intéresse aussi à la désastreuse Libye, comme il s’intéresse à l’Italie, où la Russie dispose d’un important réseau d’influence, comme nous le verrons dans les temps à venir en fonction du résultat des élections législatives du 25 septembre.

L’Algérie reste le principal allié de la Russie en Méditerranée et la Russie est le premier fournisseur d’armes de l’armée algérienne, considérée comme la deuxième plus puissante d’Afrique, après l’Egypte. C’est le marché.

L’Algérie ne se sépare pas de la Russie sur le plan militaire et on se demande si elle s’éloignera de Moscou dans la guerre de l’énergie, le vrai nom de la guerre en Ukraine. Le Général Hiver approche et il n’y a pas d’opinions concordantes parmi les experts du marché du gaz qui connaissent bien l’Algérie. Les plus optimistes estiment qu’en cas de coupure totale des approvisionnements russes vers l’Europe, l’Algérie fera passer ses intérêts commerciaux avant l’alliance politico-militaire avec la Russie et restera fidèle aux contrats signés avec l’Italie, l’Espagne et la France. L’entreprise publique algérienne Sonatrach n’a jamais déçu ses clients. L’Algérie veut maintenir son amitié avec la Russie, qui garantit l’approvisionnement en armes de son armée, mais la guerre en Ukraine lui ouvre aussi la possibilité d’augmenter ses exportations de gaz vers l’Europe. (Avec une précision : pour exporter plus de gaz vers l’Europe, l’Algérie a besoin d’investissements importants dans les techniques d’extraction).

Les observateurs les plus pessimistes craignent que l’Algérie ne puisse prendre complètement ses distances avec la Russie si le général Winter met à exécution ses pires menaces. Dans ce scénario, l’Espagne serait dans une situation très exposée après la crise diplomatique sur le Sahara Occidental et la réconciliation avec le Maroc. L’Italie et la France ont courtisé l’Algérie ces derniers mois, mais les téléphones entre Madrid et Alger ne fonctionnent plus. Peut-être un jour le gazoduc Medgaz (Algérie-Almería) rencontrera-t-il des problèmes « techniques », comme en a à plusieurs reprises le gazoduc Nord Stream 1 qui envoie du gaz russe en Allemagne. La presse algérienne a rappelé ces derniers jours qu’un accord n’a pas encore été conclu entre Sonatrach et ses clients espagnols sur les nouveaux prix du gaz. Ils négocient depuis des mois.

Un problème « technique » sur le gazoduc Medgaz pourrait compliquer la vie en Espagne

Depuis la fin de l’année dernière, depuis la fermeture du gazoduc Maghreb Europe (décision algérienne de punir le Maroc), l’Espagne achète moins de méthane à l’Algérie, mais sa part d’approvisionnement ne descend pas en dessous de 24% à cette heure. Un problème « technique » dans le Medgaz ne serait pas une mince affaire en hiver. Pour cette raison, Pedro Sánchez a déclaré mardi dernier à Berlin qu’il aimerait aussi se rendre prochainement à Alger, comme Mario Draghi et Emmanuel Macron l’ont fait ces derniers mois. Le problème est que les téléphones fonctionnent à peine.

Dans ce contexte, l’Espagne et l’Allemagne poursuivront les discussions avec la France sur Midcat, le gazoduc oublié.

La Vanguardia, 04/09/2022

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