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Les chefs d’État algérien et français ont récemment annoncé la création d’une commission d’historiens pour étudier la période coloniale. L’idée est de « regarder ensemble cette période historique », qui va du début de la colonisation, en 1830, à la fin de la guerre d’indépendance en 1962. Mais en ayant accès à quelles archives ? Éléments de réponse.
Pour tenter d’éteindre l’incendie mémoriel, selon l’expression de l’historien Benjamin Stora, qui existe entre la France et l’Algérie, les chefs d’État des deux pays ont décidé, la semaine dernière, de créer une commission mixte d’historiens. Pour regarder ensemble cette période historique, ont-ils indiqué fin août. Cette période va du début de la colonisation (1830) à la fin de la guerre d’indépendance (1962).
Apaiser les mémoires de part et d’autre de la Méditerranée en développant une meilleure connaissance de ce que fut cette période, l’enjeu est à la fois historique et politique. Le problème est que les incendies mémoriels sont allumés par les gouvernements eux-mêmes, note l’historien français Emmanuel Blanchard, directeur adjoint de Sciences Po Saint-Germain-en-Laye et auteur d’une Histoire de l’immigration algérienne en France. En octobre 2021, les propos d’Emmanuel Macron qui s’interrogeait sur l’existence d’une nation algérienne avant la colonisation, avaient ouvert une crise entre les deux pays. On ne peut pas jouer avec l’Histoire. On ne peut pas, d’un côté, qualifier la colonisation de crime contre l’humanité (N.D.L.R. : en 2017) et, de l’autre côté, laisser entendre que c’est la France qui a créé une nation algérienne, ce qui est factuellement faux, relève l’historien algérien Amar Mohand-Amer.
Quelles archives seront accessibles ?
Dans l’immédiat, le fonctionnement de cette commission n’a pas été précisé. Cinq à six historiens de chaque pays pourraient la composer. Pour quelle durée ? Avec quels moyens ? Et surtout, en ayant accès à quelles archives ? La grande majorité des archives sur la colonisation sont conservées en France, note Amar Mohand-Amer. Mais toutes ne sont pas encore accessibles. Pour Emmanuel Blanchard, sur ce sujet, les autorités françaises ont effectué un pas de deux.
En décembre 2021, les archives judiciaires et celles liées aux enquêtes de police durant la guerre d’Algérie ont été ouvertes sans qu’il y ait besoin de dérogations. Mais l’accès aux archives des services de renseignement et celles liées à l’usage des armes chimiques reste plus difficile, relève-t-il. Il faudrait trouver une solution afin que les archives conservées en France soient numérisées ou qu’une partie soit transférée en Algérie, aimerait Amar Mohand-Amer qui vient de passer plusieurs mois à Nantes pour un travail universitaire sur l’année 1962 qui sera présenté à l’automne. Avec cette commission, la question de l’accès aux archives algériennes se posera aussi.
7 millions de personnes concernées en France
Mais si l’accès aux archives est essentiel, pour Emmanuel Blanchard, il ne faut pas partir avec l’idée qu’on va découvrir un tas de secrets. Depuis au moins vingt ans, des travaux ont été menés sur les violences commises par l’armée française pendant la période de conquête au XIXe siècle : les razzias, les enfumades, ces pratiques qui visaient à enfumer des populations algériennes enfermées dans des grottes.
Ne serait-ce qu’en France, ce futur travail d’historiens concerne sept millions de personnes affectivement liées à la guerre d’Algérie, selon les estimations de Benjamin Stora, auteur d’un rapport sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie. C’est aussi une histoire mondiale car l’indépendance de l’Algérie a eu des échos dans le monde entier : à New York, Belgrade, au Caire, rappelle Emmanuel Blanchard. Actuellement, on a tendance à davantage parler de mémoire que d’Histoire. Or, il ne faut pas que la mémoire remplace l’Histoire. J’attends donc que cette commission puisse créer de bonnes conditions de recherches, insiste Amar Mohand-Amer.
Ouest France, 01/09/2022
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