Diplomatie : à quoi joue le Maroc ?

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Depuis vendredi, le Maroc et la Tunisie sont brouillés. Le royaume reproche la présence du président de la RASD à Tunis, pour le sommet Japon-Afrique. Une invitation pourtant prévue de longue date et légitime…

Août 2017, à Yokohama, au Japon. Alors que la septième Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (Ticad) se termine, les chefs d’Etat et ministres des Affaires étrangères invités au sommet Japon-Afrique posent ensemble, unis. Sur la photo souvenir, le ministre marocain des Affaires étrangères Nasser Bourita, souriant, pose aux côtés de ses homologues. A seulement quelques rangs de lui sur la gauche, on aperçoit Brahim Ghali, président de la République arabe sahraouie démocratique (RASD). Le Japon a toujours pris soin d’inviter ce dernier, sur recommandation de l’Union africaine (UA), depuis le lancement de la Conférence de Tokyo.

Mais cette année, le Maroc a joué des coudes pour que Brahim Ghali ne soit pas présent, à Tunis. Mais ce vendredi, le président de la RASD était bien sur le tarmac de l’aéroport Tunis-Carthage. Le patron du Polisario y a été accueilli dès la descente de son avion par le président tunisien Kaïs Saïed, comme ce dernier l’a fait avec tous les présidents invités au sommet Japon-Afrique. Saïed et Ghali ont ensuite discuté dans le salon présidentiel de l’aéroport. De quoi provoquer l’ire du Maroc, qui a immédiatement annoncé sa non-participation après l’événement après cet « acte grave et inédit ».

La RASD invités aux précédentes éditions

Inédit ? Pas tant que cela. En 2017, au Mozambique, en pleine Ticad, une bagarre avait éclaté entre représentants marocains et sahraouis. La cérémonie d’ouverture avait d’ailleurs dû être retardée de trois heures après ces heurts. Le ministre des affaires étrangères sahraoui Mohamed Salem Ould Salek avait finalement pu s’asseoir, malgré les pressions marocaines… au sein de la délégation mozambicaine.

Si le Maroc feint aujourd’hui la surprise de découvrir la présence de Brahim Ghali à Tunis, on est loin d’un événement inédit. Selon plusieurs sources proches de l’Union africaine, en juillet dernier, le Maroc avait tenté de convaincre l’UA de faire exclure la RASD de la liste des invités de la Ticad 2022. Mais le Conseil exécutif de l’UA avait appelé à la participation du Sahara occidental au sommet de Tunis. Après les déclarations marocaines de ce week-end, le ministère tunisien des Affaires étrangères a rappelé que « la Tunisie respecte les résolutions des Nations unies et celle de l’Union africaine » et indique que l’invitation de la RASD provenait de la diplomatie japonaise, là où le Maroc assurait que la Tunisie avait invité « unilatéralement » Brahim Ghali, « contre l’avis du Japon et en violation du processus de préparation ».

Dans les coulisses du palais de Carthage, l’agacement est de mise. Une source proche du président tunisien estime que « le Maroc a manqué de respect aux hôtes du sommet, la Tunisie et le Japon ». Une « indélicatesse diplomatique » de la part du royaume, qui appelait ses partenaires, il y a quelques jours encore, via le roi Mohammed VI, à se prononcer en faveur du plan marocain au Sahara occidental. Ce sont surtout les propos marocains qui ont choqué Tunis : l’acte dénoncé par Rabat, selon les mots de la diplomatie marocaine, « heurte profondément les sentiments du peuple marocain ». « Les autorités marocaines tentent de dire qu’ils sont soutenus par leur peuple, mais c’est faux. Les Marocains sont majoritairement contre la normalisation des relations marocaines avec Israël », précise un ancien ministre tunisien des Affaires étrangères qui voit là une « israélisation de la diplomatie marocaine ». Autrement dit, une diplomatie de plus en plus agressive.

Un simple prétexte de la part du Maroc ?

D’autant que la brouille entre les deux pays au sujet de la RASD est tout de même étonnante lorsque l’on sait à quel point la Tunisie a toujours affirmé sa volonté de neutralité vis-à-vis de ce dossier. Cet accrochage avec la Tunisie ne serait-il pas un prétexte, pour le royaume, de créer un rapport de force avec la Tunisie ? Quitte à réécrire les événements. Car comme le précise le ministère tunisien des Affaires étrangères, la Tunisie est étonnée de « la désinformation pratiquée par le Maroc ». Selon le politologue tunisien Khelil Rekik, « le Maroc n’a jamais pardonné à la Tunisie le fait qu’elle soit parvenue à obtenir l’organisation de la Ticad et du sommet de la francophonie, prévu en novembre, auxquels les Marocains aspiraient ».

Il y a en effet peu de raisons pour le Maroc d’être étonné de la présence sahraouie à Tunis. « Pourquoi est-ce que Mohammed VI et Nasser Bourita avaient alors accepté d’être sur la même photo que le président Ghali lors des trois dernières éditions de la Ticad », demande un journaliste tunisien.

Reste désormais à savoir quelle sera la suite, après les rappels des ambassadeurs respectifs de deux pays. Du côté de l’Union africaine, Macky Sall tentera certainement d’entamer des discussions entre les deux parties. De son côté, le président de la Cedeao et président de la Guinée-Bissau, Umaro Sissoco Embaló, aurait lui aussi quitté la Tunisie et refusé de participer à la Ticad pour protester contre la présence de la RASD. Là aussi, la réaction du patron de la Cedeao étonne à Tunis.

Mongi Khadraoui est journaliste, ancien secrétaire général du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT).

Le journal de l’Afrique, 29/08/2022

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