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Au Maroc, la santé du roi est l’ultime tabou. En parler, un blasphème. Mais depuis quelques temps, ses apparitions à la télévision suscitent des inquiétudes et quelques discrets commentaires
Tout le monde en parle au Maroc, mais toujours mezzo voce. Les plus téméraires murmurent que le roi a pris du poids, beaucoup de poids, et que les soucis des affaires l’éloignent malheureusement des sports qu’il affectionne, dont celui de chevaucher des scooters de mer, hobby qui lui a valu au début se son règne le sobriquet de «Sa Majetski» par l’humoriste Bziz.
Son apparition dans la province de Nador où il inaugurait des installations sportives a créé le buzz sur les réseaux sociaux et dans la presse éléctronique indépendante. «L’image est déroutante pour un roi qui n’a pas 50 ans» note un facebooker : on le voit marcher s’aidant d’une béquille.
«Auparavant, nous avions peur du roi, aujourd’hui nous avons peur pour lui», l’expression qui avait fleuri lors de son accession au trône en 1999 pour expliquer l’affection d’un peuple pour un jeune monarque que l’on disait humaniste et fragile à contrario de son père Hassan II, un dictateur aussi fascinant que craint, est subitement revenue aux devants de la scène commente la presse locale qui a publié la photo du roi éclopé.
Il y a quelques mois, après son discours du Trône, sur une terrasse de café à Rabat deux journalistes évoquaient le même sujet à bâtons rompus:
-«Tu as suivi le discours de roi?»
-«Oui, mais c’est son état physique qui a retenu le plus mon attention. Il a l’air malade, tu ne trouves pas?»
-«Chut! Ne dis pas ça. Sa Majesté n’est pas malade, il est en petite forme, c’est tout».
«Il a l’air bizarre… »
Sur les forums des réseaux sociaux, même discrétion quand la question est abordée. Et il faut dire que malgré son caractère sensationnel, elle n’attire pas les foules. Sur celui de Bladi, le débat reste confiné à des souhaits de prompt rétablissement au monarque.
Un internaute se risque à faire son propre diagnostic : «Il à l’air bizarre, de petits yeux mi-clos, le visage bouffi et ce rictus si visible doublé d’une respiration haletante…».
D’autres comparent son image cathodique avec la sveltesse qu’il affichait lors de son intronisation en juillet 1999.
Mais treize années ont passé et beaucoup l’oublient tant la communication du régime, surtout à l’adresse des médias étrangers, insiste encore et toujours sur le « nouveau règne ».
En 2008, le journaliste espagnol Pedro Canales ouvrait le bal des supputations en affirmant dans les colonnes d’El Imparcial que Mohamed VI avait subi une opération chirurgicale en France, une allégation jamais confirmée et surtout vivement démentie par la presse officielle qui y voyait «une tentative de destabilisation orchestrée de l’étranger».
En juillet 2009, pour le dixième anniversaire de son accession au trône, le roi démentait une quelconque faiblesse physique et affichait encore les traits juvéniles de ses débuts de règne.
Mais en novembre de la même année, le changement devient, pour nombre d’observateurs, subitement palpable.
Que s’est-il passé entre les deux images?
«Quelques médias français m’ont informé que Mohamed VI souffre d’une insuffisance rénale ou une maladie de foie qui l’oblige à se déplacer régulièrement en France» affirmait, encore lui, le journaliste d’El Imparcial, évoquant même une maladie incurable. Mais là encore, il était bien seul à affirmer de telles assertions.
Pedro Canales réagissait à un communiqué de la Maison royale qui annonçait fin août 2009 que le monarque, 46 ans à l’époque, avait été placé en convalescence de cinq jours pour une «infection» qui ne présente «aucune inquiétude sur sa santé».
«Sa Majesté le roi Mohamed VI […] présente une infection à rotavirus avec signes digestifs et déshydratation aiguë nécessitant une convalescence de cinq jours», avait indiqué le communiqué signé par le Pr. Abdelaziz Maaouni, médecin personnel du roi et directeur de la clinique du Palais royal.
«La maladie annoncée dans la déclaration est simplement le résultat d’une maladie chronique» renchérissait El Imparcial qui dans un article alarmant faisant état d’une vive inquiétude des milieux diplomatiques et pronostiquait même une régence imminente. L’article, comme celui de 2008 avait provoqué une levée de boucliers contre son auteur.
«Des problèmes pulmonaires»
«Au Maroc, on ne communique pas sur l’état de santé du roi Mohammed VI. Ses visites répétées en France dont beaucoup soufflaient le but chirurgical? De simples « vacances » avaient rectifié les autorités marocaines. Le souverain souffrirait de problèmes pulmonaires» écrivait L’Express en 2010 dans un diaporama consacré à «ces dirigeants rongés par la maladie»
«Son père, le roi Hassan II, souffrait de la maladie de Crohn, une inflammation de l’intestin grêle. Ses malaises intestinaux, soignés par des médecins américains, étaient dissimulés sous le terme de « bronchites ». Il meurt en 1999, après 38 ans de règne» ajoutait L’Express dans le même dossier.
Une presse échaudée par la censure
Le bulletin de santé du roi annonçant son «infection à rotavirus», une première au Maroc, a eu des incidences bien plus dommageables sur la presse locale qui, profitant de cette transparence inédite a tricoté sur l’information, oubliant que parler de la santé du roi peut nuire gravement.
Le lendemain de la diffusion du communiqué de la Maison royale, le quotidien casablancais Al Jarida Al Oula, aujourd’hui disparu, citant une source «médicale anonyme», proposait une version sensiblement différente et affirmait que «l’origine du rotavirus contracté par le roi serait dû à l’utilisation de corticoïdes contre l’asthme et qui sont responsables du gonflement du corps et de la diminution de l’immunité». La presse marocaine, dans son ensemble avait largement commenté ce qui allait devenir «l’affaire rotavirus».
En une semaine, dix journalistes de trois publications ont été entendus par la police, tous accusés de «publication malintentionnée d’une fausse information» et «allégations et faits non véridiques».. Cinq d’entre eux seront inculpés dont trois seront condamnés à une peine privative de liberté.
Peu de temps plus tard, lorsque la presse française annonçait que le prince Moulay Rachid, frère cadet du roi, avait été «hospitalisé à Paris dans un état sérieux», leurs confrères marocains ont, dans leur grande majorité, préféré regarder ailleurs.
Avec l’émergence des médias électroniques qui échappent tant bien que mal à la censure, l’évocation de la santé du roi revient parfois aux devants de la scène, comme l’a fait Demain online en commentant la génuflexion pénible de Mohamed VI durant sa prière.
Mais pour la plupart des journalistes, «la petite forme» du roi, avérée ou pas, se résume à quelques chuchottements dans les cafés.
Pourtant, quand on scrute cette dernière vidéo, on a le droit de se poser de sérieuses questions.