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PARIS – L’Union européenne (UE) a fourni au Maroc des systèmes de surveillance des téléphones pour contrôler l’immigration, mais les Européens n’ont jamais vérifié si ces outils sont exclusivement utilisés à cette fin, malgré l’existence, au Royaume, de « sérieux risques » que le matériel soit détourné de son objet officiel, selon un article paru dans le site Disclose.
Le site d’investigation français Disclose, en partenariat avec l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, révèle que l’UE a livré au Maroc de puissants systèmes de surveillance numérique. Objectif de ce transfert de technologies: « lutter contre l’immigration irrégulière et le trafic d’êtres humains aux portes de l’UE ».
Pour savoir si ces outils de surveillance sont réellement, et exclusivement, utilisés à des fins de lutte contre l’immigration illégale, Disclose et Der Spiegel ont mené une enquête. « Aucun contrôle n’a jamais été effectué. Que ce soit de la part des fabricants ou des fonctionnaires européens. Dit autrement, le Maroc pourrait décider d’utiliser ses nouvelles acquisitions à des fins de répression interne sans que l’Union européenne n’en sache rien », selon l’enquête.
Un risque d’autant plus sérieux, selon des chercheurs en sécurité numérique cités par Disclose, que les logiciels fournis par l’UE au Maroc, baptisés XRY et Detective, ne laissent pas de traces dans les appareils piratés. Le site rappelle, à ce propos, que le système Pegasus a été massivement employé par le Maroc dans le but d’espionner des journalistes, des militants des droits humains et des responsables politiques étrangers de premier plan, comme l’a révélé le consortium de journalistes Forbidden Stories, en 2021.
Avec les solutions XRY et Detective, « dès que vous avez un accès physique à un téléphone, vous avez accès à tout », souligne Edin Omanovic, membre de l’ONG Privacy international cité dans l’article. Un élément qu’il estime « inquiétant », poursuit-il, « dans un contexte où les autorités ciblent les défenseurs des droits de l’homme et les journalistes ».
Afin de garantir que le matériel ne sera pas détourné de son objet officiel, la Commission européenne affirme qu’ »un document d’engagement a été signé par les autorités marocaines – il ne nous a pas été transmis ». D’après un porte-parole sollicité par Disclose, ledit document stipulerait que ces technologies ne serviront que pour lutter « contre le trafic d’êtres humains. Rien d’autre ».
En réalité, ce transfert de technologies devrait faire l’objet d’une attention particulièrement accrue. Pour cause : les systèmes fournis par l’UE sont classés dans la catégorie des biens à double usage (BDU), c’est-à-dire des biens qui peuvent être utilisés dans un contexte militaire et civil. Ce type d’exportation est même encadré par une position commune de l’UE, datée de 2008. Celle-ci stipule que le transfert des biens à double usage est interdit dès lors qu’il « existe un risque manifeste » que le matériel livré puisse être utilisé à des fins de « répression interne ». « Un risque largement établi dans le cas marocain, comme l’a démontré l’affaire Pegasus », note la source.
Une dizaine de journalistes et militants marocains dont le site d’investigation avait recueilli le témoignage expliquent s’être vu confisquer leurs téléphones à la suite d’une arrestation arbitraire. Selon eux, « cette pratique obéirait à un unique objectif : renforcer le fichage des opposants présumés en collectant un maximum d’informations personnelles. Un contrôle qui, depuis 2019, pourrait être facilité par le soutien technologique et financier de l’Union européenne ».
Au Parlement européen, ces exportations sont loin de faire l’unanimité. « Sous prétexte de sécuriser nos frontières, nous ne pouvons pas nous contenter des promesses d’un régime autoritaire, déplore ainsi l’eurodéputée Markéta Gregorova (groupe des Verts). C’est une négligence délibérée et moralement inacceptable de la part de l’Europe ».
APS
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