En Tunisie, la dérive du président Kaïs Saïed continue

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Le président conduit son pays sur un terrain dangereux en s’obstinant à soumettre une nouvelle constitution qui n’a pas fait l’objet d’une consultation au référendum du 25 juillet.

L’horizon s’assombrit en Tunisie. Le président Kais Saied poursuit imperturbablement sa dérive autocratique, malgré de multiples avertissements y compris de ses amis. Élu en 2019 à la faveur d’un vote anti-establishment – une de ces  » insurrections électorales  » que l’on voit aussi ailleurs dans le monde démocratique – M. Saied persiste à imposer une nouvelle structure institutionnelle, pleine d’abstractions.

Il a fixé au 25 juillet la date d’un référendum sur une Constitution entièrement remaniée, marquée par une caricature de présidentialisme, à l’opposé de l’inspiration parlementaire du régime issu de la révolution de 2011 qui a vu la chute du dictateur Zine El-Abidine Ben Ali. Parallèlement à ce changement substantiel du paradigme démocratique en Tunisie, les méthodes autocratiques et brutales affichées par M. Saïed ont plongé le pays dans des turbulences dans une région déjà fragilisée par la crise du Covid-19 et l’impact de la guerre en Ukraine.

Avocat et ancien professeur de droit constitutionnel, le chef de l’Etat n’a jamais caché sa volonté de supprimer la démocratie représentative et le rôle des partis politiques qui, selon lui, réquisitionnent le suffrage populaire. Pour ce faire, il a imaginé un modèle – « construire la démocratie par le bas » – qui ancre la légitimité du pouvoir au niveau local, tout en vidant l’Assemblée nationale de sa substance au profit d’une présidence omnipotente, rappelant la figure du raïs familière dans la région.

Un texte « dangereux

Le 25 juillet 2021, il exécute la première phase de son plan, auquel il s’accroche d’autant plus farouchement qu’il y voit une mission quasi prophétique. Profitant du blocage des institutions parlementaires résultant de la Constitution de 2014, il prend les pleins pouvoirs et impose un régime. Le peuple a applaudi cette démarche, impatient d’échapper aux dérives d’un système parlementaire dévoyé. Un an après, il entend désormais passer à la deuxième phase de son plan en organisant le 25 juillet, date anniversaire de son coup de force, un référendum lourd de dangers.

Son projet de nouvelle Loi fondamentale n’a fait l’objet d’aucune consultation sérieuse. S’il a confié à une commission consultative, présidée par le constitutionnaliste Sadok Belaid, la tâche de rédiger un avant-projet, il n’y a prêté aucune attention. Il s’en est tenu à ce qu’il avait lui-même produit. Furieux de cette duplicité, M. Belaid a qualifié le texte du président de dangereux dans une interview au Monde. Il évoque les risques de dictature et de reconstitution du pouvoir du clergé, estimant que M. Saied insiste pour rattacher la Tunisie à l’Oumma islamique (la communauté des croyants). Il a également mis en garde contre une régionalisation confuse qui menace de « fracturer l’unité nationale. »

Après cette dénonciation, le président tunisien va-t-il persévérer dans sa croisade personnelle ? Si oui, la Tunisie a beaucoup à craindre dans les semaines à venir. L’opposition, écrasée après le coup d’État de juillet 2021, va se réveiller. Et, alors que le pays est au bord de la faillite, le risque d’une colère généralisée ajoute à la tension. Une tempête se prépare.

Le Monde, 04/07/2022

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