Maroc: Du nucléaire pour la production d’électricité?

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Est-ce une course à l’atome au Maghreb ? Le Maroc se lancerait dans la production d’électricité à partir de l’énergie nucléaire. Cette annonce faite par le ministre marocain de la Transition énergétique risque de susciter l’intérêt d’Alger, qui pourrait être tentée de suivre les traces de son voisin.

Ce n’est pas la première fois qu’on le dit, mais cette fois c’est sérieux : le Maroc s’apprête à miser sur l’énergie nucléaire. C’est ce qu’a annoncé au début du mois Leila Benali, la ministre de la Transition énergétique devant la Chambre des conseillers (Sénat marocain). « Le Maroc a investi dans le solaire et l’éolien et envisage maintenant de le faire dans le nucléaire pour répondre à ses besoins futurs en électricité », a déclaré la ministre. « Maintenant, une décision nationale doit être prise pour commencer à produire de l’électricité à partir de l’énergie nucléaire », a-t-elle ajouté.

Le ministère dirigé par Benali a déjà publié un rapport sur l’option nucléaire en 2015 qui a été consigné dans les tiroirs. Aujourd’hui, la ministre l’a dépoussiéré et l’a mis à jour. « Le document comprend des recommandations pour opter pour le nucléaire, de l’infrastructure à la législation nécessaire », a-t-elle révélé dans son intervention.

Depuis 2009, le Maroc dispose d’un petit réacteur nucléaire de deux mégawatts dans la forêt de Maâmora, près de Rabat, dans le cadre d’un projet de recherche convenu avec les États-Unis en 1980. Il y a un mois, le 14 mai, la ministre marocaine avait déjà signé un protocole d’accord sur la coopération en matière d’énergie avec son homologue saoudien, le prince Abdulaziz bin Salman. Le mémorandum d’entente annonce que les deux pays développeront des projets de conception, de construction et d’exploitation de centrales nucléaires, ainsi que de gestion des déchets générés par cette industrie.

Rafael Grossi, directeur de l’AEIA, s’est rendu à Rabat le 20 juin et a rencontré la ministre Benali. A l’issue de la réunion, il a déclaré : « L’expérience du Maroc en matière de science nucléaire est un atout précieux pour le développement du pays. » « Le débat a porté sur l’économie marocaine, les perspectives de l’énergie nucléaire et les petits réacteurs modulaires » Plusieurs facteurs peuvent expliquer pourquoi les autorités marocaines sont désormais prêtes à franchir le pas. La fermeture par l’Algérie, en octobre, du gazoduc Maghreb-Europe, qui passait par son territoire avant d’aboutir à Cadix, leur a donné un certain sentiment de vulnérabilité énergétique, malgré le fait que le pourcentage de gaz algérien qu’ils consommaient était très faible.

Avant que le gazoduc ne soit coupé, le Maroc avait déjà fait un gros pari sur les énergies renouvelables. Le gouvernement du pays prévoit qu’en 2030, 52% de l’électricité qu’il produira devra provenir d’énergies renouvelables.Se lancer dans l’aventure du nucléaire civil nécessite, en revanche, un soutien politique international sans obstacles. A cet égard, le Maroc a approfondi ses liens avec les Etats-Unis, notamment depuis fin 2020, après la reconnaissance par Washington de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, et depuis, il entretient une relation étroite avec Israël.

La presse officielle marocaine a réagi positivement à l’annonce de Benali. « Compte tenu de notre dépendance énergétique, du faible prix du kWh et du caractère exceptionnel des incidents survenus, la balance penche nettement en faveur de l’option nucléaire », écrit Adnan Debbarh, chroniqueur pour Le 360 un site d’information considéré comme proche du palais royal. Cette même presse indique que la première centrale nucléaire serait installée au bord de l’Atlantique, près de Sidi Boulbra, à une centaine de kilomètres au nord d’Agadir sans indiquer quelle entreprise pourrait la construire. Il y a plus de dix ans, l’entreprise publique russe Atomstroyexport a publiquement exprimé son intérêt pour la construction d’une centrale nucléaire au Maroc, mais dans la situation actuelle de guerre en Ukraine, il semble exclu que ce soit elle qui soit choisie.

Le principal risque de l’option nucléaire civile marocaine n’est pas qu’elle finisse par être dénaturée pour en faire une option militaire, comme l’Iran est soupçonné de le faire, car le Maroc n’a pas cette tentation. Le plus grand risque est que son voisin algérien veuille suivre la même voie et que les deux « poids lourds » du Maghreb se mettent au nucléaire. À plusieurs reprises, les ministres algériens de l’énergie ont évoqué la possibilité de construire des centrales, mais ces projets ne se sont jamais concrétisés. En 1991, les États-Unis ont soupçonné l’Algérie de vouloir fabriquer la bombe atomique avec l’aide de la Chine. Un rapport du Cesid (services secrets espagnols), révélé par « El País », confirmait cette hypothèse. Washington demande alors à plusieurs pays amis, dont la France et l’Espagne, gouvernée par Felipe González, de prendre des dispositions avec Alger pour l’en dissuader. « Il ne s’agissait pas d’un atome militaire », a déclaré le ministre algérien des Affaires étrangères, Mohamed Salah Dembri, lors de la cérémonie d’inauguration en 1993 du petit réacteur nucléaire expérimental d’Es Salam, construit avec l’aide de la Chine à Birine, à environ 250 kilomètres au sud d’Alger.

Si l’annonce marocaine se réalise et que l’Algérie imite son exemple, l’Espagne verra que tant au nord – la France a prévu de construire 14 petites centrales nucléaires – qu’au sud, cette énergie connaît une résurgence, alors qu’en Espagne un moratoire nucléaire est en vigueur depuis 1983.

Par Ignacio Cembrero

El Confidential, 23 juin 2022

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