Maroc, Mohammed VI, maladie, château de Betz,
Ahmed Benchemsi
Sache-le, France : le roi du Maroc te boude. C’est du moins l’analyse du quotidien marocain Akhbar Al Youm, qui explique que Mohammed VI s’est abstenu de prendre ses quartiers d’hiver en son château de Betz, dans l’Oise, « comme il fait chaque année à cette période », en rétorsion contre une série d’« impairs » français à l’égard du royaume. « À la place », le roi s’est rendu en visite privée aux Émirats Arabes Unis.
Rien ne confirme que l’éventuel boycott de Betz soit, comme le dit le journal, un « signe du mécontentement royal à l’égard de la France ». Mais cette hypothèse n’est pas absurde pour autant. Pour qui connaît les mœurs de la cour royale marocaine, elle est même très plausible. Hassan II avait pour coutume d’annuler ses vacances dans l’un ou l’autre de ses nombreux palais, en rétorsion contre une jacquerie enregistrée dans la région en question. Ainsi, Sa Majesté punissait les émeutiers en les privant de l’honneur d’un séjour royal. La geste politique de l’époque prévoyait que les dignitaires de la région honnie se rendent en procession au palais royal afin d’implorer le pardon (et une prochaine visite) du monarque. Que Mohammed VI annule ses vacances en ses terres royales de France pour marquer son mécontentement de la façon dont ce pays le traite serait bien dans la continuité des traditions de cour.
Sauf que nous sommes en 2015, et que la monarchie marocaine est bien la seule à ne pas voir ce que ces traditions ont de risiblement suranné. À l’époque des médias sociaux et de la démocratie numérique, se comporter en suzerain féodal acariâtre est politiquement pathétique, et diplomatiquement embarrassant.
On ne sait pas si la visite du roi Mohammed VI aux Émirats Arabes Unis remplace vraiment une visite prévue en France. Ce qui est sûr, c’est qu’elle survient 4 jours à peine après l’annulation, à la dernière minute, d’une visite officielle en Chine. Raison officielle, délivrée via un communiqué du médecin personnel du roi : Sa Majesté souffrait d’un « syndrome grippal avec fièvre à 39,5 degrés compliqué d’une bronchite ». La maladie était-elle une excuse diplomatique ? Il y a des chances, vu la rapidité avec laquelle Mohammed VI s’en est relevé. Les Chinois qui avaient officiellement exprimé leur sympathie et vœux de rétablissement au roi, n’ont pas dû être ravis de le voir enchaîner les activités d’extérieur à Abu Dhabi à peine quatre jours plus tard, manifestement en pleine forme. Même s’il avait vraiment eu une bronchite carabinée et en avait vraiment récupéré très vite et très bien, s’afficher ainsi relevait, pour le moins, d’un manque de tact vis-à-vis des Chinois. Une telle légèreté a de quoi gêner…
Un incident comparable s’était produit en septembre dernier. Mohammed VI devait aller à New York pour intervenir devant l’assemblée générale de l’ONU, à l’instar de dizaines de ses pairs chefs d’Etat. Selon une source au palais royal, « l’avion était sur le tarmac, avec la délégation officielle dedans qui attendait le roi pour décoller. Il était en route vers l’aéroport quand tout à coup, il a ordonné à son chauffeur et son escorte de faire demi-tour, sans explication. » Résultat : la délégation marocaine est partie sans le roi, et son discours a l’ONU été lu, en son nom, par le Premier ministre. À ce jour, aucune explication officielle n’a été donnée à ce brusque changement de programme. À l’aune de ce précédent, communiquer sur la bronchite était un « progrès », une concession accordée avec bienveillance par un monarque qui considère qu’il n’a de comptes à rendre à personne.
La crainte du virus Ebola, justification fort peu convaincante avancée par le Maroc pour renoncer à l’organisation de la Coupe d’Afrique de football en janvier 2015, relève de la même logique. Pour qui connaît le fonctionnement du royaume, il est impensable qu’une décision aussi importante ait été prise ailleurs qu’au Palais royal. Quelles sont ses véritables motivations ? Aujourd’hui encore, le monde en est réduit à spéculer. Le faux pas vis-à-vis des pays d’Afrique subsaharienne, où le football est souvent une affaire d’Etat, est avéré — surtout quand on sait que le Maroc organise, dans les prochaines semaines et sans crainte de la contradiction, la Coupe du monde des clubs. Que cette malheureuse affaire ait sérieusement affaibli les avancées diplomatiques réalisées par le Maroc sur la scène africaine ces dernières années (sous impulsion royale, d’ailleurs) a de quoi laisser perplexe…
Pour faire court : tant pis pour les éventuels dommages diplomatiques et l’image d’immaturité renvoyée par le royaume, Sa Majesté fait ce qu’elle veut, quand elle veut, point final. C’est le principe de fonctionnement de la monarchie absolue de droit divin qu’est le Maroc, malgré tous les efforts des agences de RP payées rubis sur l’ongle pour vanter la « démocratisation » du royaume. Parmi tous les adjectifs qui pourraient décrire cette situation (affligeante, regrettable, inquiétante), on ne sait que choisir.
Le Monde, 06 jan 2015
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