Algérie, Espagne, Pedro Sanchez, Sahara Occidental, Maroc,
La crise politique et diplomatique entre l’Algérie et l’Espagne ne semble pas avoir des lendemains qui chantent. Entre les deux pays, la fracture s’est aggravée durant ces derniers jours avec la décision prise par Alger de suspendre le traité d’amitié signé avec Madrid en octobre 2002. Cet ambitieux document prend aujourd’hui une eau qui déborde les relations de notre pays avec l’Union européenne.
Par Feriel Nourine
Depuis que la crise politique s’est emparée des relations entre l’Algérie et l’Espagne, suite au revirement du Premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, dans la question du Sahara occidental annoncé le 18 mars dernier, aucun signe de détente n’est venu s’inscrire au profit d’un retour à la normale entre les deux pays, notamment de la part du même Sanchez.
Ce dernier reste de marbre face aux multiples remises en cause dans son pays, mais aussi sur la scène internationale, lesquelles n’ont pu le ramener à la raison de la charte de l’ONU et provoquer une opération diplomatique capable de faire baisser la tension entre Alger et Madrid.
Bien au contraire, après le rappel immédiat par l’Algérie de son ambassadeur en Espagne, en guise de première riposte diplomatique à la volte-face du gouvernement espagnol, cette crise a emprunté une tendance ascendante, traversant une série de pics, avant de connaître un épisode de rupture mercredi dernier, avec la décision de l’Algérie de couper les ponts avec l’Espagne en suspendant le traité d’amitié, de bon voisinage et de coopération qui les lie depuis 2002.
S’en est suivi, quelques heures après l’annonce de cette suspension, l’instruction de l’Association des banques et des établissements financiers (ABEF) à destination des banques algériennes, les instruisant de geler toutes les domiciliations bancaires des opérations commerciales de et vers l’Espagne, à partir de jeudi 9 juin.
Cette première mesure, par l’Algérie, dans le cadre de la rupture annoncée a eu l’effet d’une bombe chez les autorités espagnoles et de l’ensemble de la classe politique dans ce pays ainsi que chez de nombreux opérateurs économiques qui exportent leurs produits vers l’Algérie.
L’inquiétude est d’autant plus grande que la mesure économique prise par Alger risquait de s’étaler à l’approvisionnement de l’Espagne en gaz algérien qui constitue actuellement le souci principal de Madrid. Ce qui n’est finalement pas le cas, et les autorités algériennes n’ont pas tardé à rassurer le peuple espagnol en réitérant l’engagement de l’Algérie sur ce registre.
Entre-temps, la troisième vice-présidente et ministre de la Transition écologique et du Défi démographique, Teresa Ribera, n’a pas hésité à déclarer que si l’Algérie «décidait de couper l’approvisionnement de l’Espagne en gaz», son pays «ira devant les tribunaux et à l’arbitrage international».
La ministre espagnole s’est néanmoins montrée rassurante face à un média espagnol en indiquant être «convaincue» que l’approvisionnement en gaz «continuera à fonctionner tel quel», expliquant que «c’est inclus dans des contrats commerciaux entre la société algérienne Sonatrach et des sociétés espagnoles».
Mme Ribera a, par ailleurs, réitéré ses déclarations faites préalablement au sujet des relations entre son gouvernement et le gouvernement algérien. L’Espagne a «un grand respect pour le gouvernement algérien», a-t-elle-dit.
«Nous n’avons pas aimé la décision de rompre le traité de bonne amitié», a encore indiqué la même responsable, faisant savoir que son pays restait «ouvert à la reprise de cette relation dès que possible».
Une reprise difficile
Une reprise qui semble difficile, sinon impossible à accomplir avec un gouvernement espagnol qui continue à défendre sa position vis-à-vis de la question du Sahara. Ce qu’a d’ailleurs fait de nouveau Mme Ribera en défendant d’une manière à peine voilée le revirement de son Premier ministre. Les relations entre le Maroc et l’Algérie «concerne ces deux pays, et ceci ne devrait en aucun cas affecter la bonne relation entre l’Espagne et chacun d’eux», a-t-elle estimé, soulignant que son gouvernement aimerait aussi «avoir de bonnes relations avec le Maroc».
Sauf que les «bonnes relations avec le Maroc» souhaitées par Madrid sont en train d’être tissées au détriment de la cause sahraoui et au profit de l’occupant marocain à travers son plan d’autonomie marocain qu’il tente de faire valoir, quitte à aller à l’encontre de la légalité internationale reconnaissant au peuple sahraoui le droit à l’autodétermination et au respect des frontières de son pays.
Autrement dit, le gouvernement espagnol est en train de camper sur sa nouvelle position et de tenter à faire valoir son revirement. Du coup, toute possibilité de concertations pour détendre l’atmosphère entre Alger et Madrid deviennent nulles, même si Pedro Sanchez est en train d’agir à l’encontre des intérêts économiques de l’Espagne dans son partenariat avec l’Algérie.
En effet, si les livraisons de gaz algérien ne sont remises en cause par les derniers événements venus rendre encore plus difficile un retour à la normale entre les deux pays, les entreprises espagnoles sont nombreuses à risquer de graves conséquences suite à la décision de rupture. Ces entreprises évoluent dans différents secteurs et filières et comptabilisent quelque 2 milliards d’euros d’exportations vers l’Algérie.
L’UE s’en mêle, Alger riposte
Avec la tournure qu’est en train de prendre la crise entre l’Algérie et l’Espagne, l’Union européenne n’a pas tardé, elle aussi à réagir, tentant de donner à l’affaire une dimension européenne et à faire des mesures prises par l’Algérie un risque pour l’accord d’association UE-Algérie.
Dans un communiqué commun, le chef de la diplomatie de l’UE, Josep Borrell, et le vice-président de la Commission en charge du Commerce Valdis Dombrovskis ont jugé cette décision «extrêmement préoccupante».
«Nous évaluons les implications des actions algériennes», notamment l’instruction donnée aux banques «d’arrêter les transactions entre les deux pays, qui semble être en violation de l’accord d’association UE-Algérie, en particulier dans le domaine du commerce et de l’investissement», ont-ils précisé.
«Cela conduirait à un traitement discriminatoire d’un Etat membre de l’UE et nuirait à l’exercice des droits de l’Union au titre de l’accord», ont souligné les deux responsables européens, après une réunion à Bruxelles avec le ministre espagnol des Affaires étrangères José Manuel Albares.
L’UE «est prête à s’opposer à tout type de mesures coercitives appliquées à l’encontre d’un Etat membre», ont-ils menacé.
Des déclarations auxquelles l’Algérie a vite riposté, dans la soirée de vendredi, déplorant «la précipitation avec laquelle la Commission européenne a réagi, sans consultation préalable, ni vérification aucune auprès du gouvernement algérien».
La mission de l’Algérie auprès de l’UE a regretté que la Commission «ne se soit pas assurée que la suspension d’un Traité politique bilatéral avec un partenaire européen, en l’occurrence l’Espagne, n’affecte ni directement, ni indirectement ses engagements contenus dans l’Accord d’Association Algérie-Union Européenne».
«S’agissant de la prétendue mesure d’arrêt par le Gouvernement des transactions courantes avec un partenaire européen, elle n’existe en fait que dans l’esprit de ceux qui la revendiquent et de ceux qui se sont empressés de la stigmatiser», a ajouté la représentation algérienne dans un communiqué.
Concernant une éventuelle interruption des livraisons de gaz à l’Espagne qu’impliquerait la décision de mercredi, Alger a tenu à démentir en rappelant que «l’Algérie a déjà fait savoir par la voix la plus autorisée, celle de Monsieur le Président de la République, qu’elle continuera à honorer tous ses engagements pris dans ce contexte, à charge pour les entreprises commerciales concernées d’assumer l’ensemble de leurs engagements contractuels».
Reporters, 12/06/2022
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