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En 2014, le Maroc a décidé d’interrompre la ccopération judiciaire avec la France suite à l’affaire El Hammouchi. Les français n’ont pas avalé la pillule et ils ont versé sur la toile des milliers de documents confidentiels de la diplomatie et de la DGED marocaines. L’histoire est connue sous le nom de « Marocleaks ». Elle est résumé par Ignacio Cembrero dans un article parue sur El Confidencial le 30 mai 2021.
LES SOUPÇONS SE PORTENT SUR LE DGSE
Lorsque le Maroc a rompu avec la France, ses services secrets sont entrés en guerre.
Rabat a mis fin à la coopération antiterroriste avec Paris et les services de renseignement français se sont vengés en révélant sur Twitter des centaines de documents confidentiels marocains.
Tout à coup, à partir du 2 octobre 2014, à partir d’un profil Twitter anonyme (@chris_coleman24), tout, des câbles secrets d’Omar Hilale, l’ambassadeur marocain auprès de l’ONU pour le Sahara occidental, à une lettre de recommandation pour sa fille du ministre marocain des Affaires étrangères, Salahedin Mezzouar, a été déversé sur le réseau social. Avec des hauts et des bas, jusqu’aux premiers jours de 2015, des centaines de documents de la diplomatie marocaine et de son service secret des affaires étrangères, la Direction générale des études et de la documentation (DGED), ont été mis au jour, ainsi que quelques lettres ou photos privées, comme celles du mariage de la ministre Mbarka Bouida, toutes sans conséquence. Le tweeter anonyme a montré sa sympathie pour le Front Polisario et a affirmé en français vouloir « déstabiliser le Maroc ».
Six ans plus tard, les soupçons sur l’identité des auteurs de ce profil, qui utilisait le nom de l’entraîneur de l’équipe nationale de football du Pays de Galles, ne pointent plus vers un jeune hacker sahraoui pro-indépendance ou vers les services secrets algériens, comme l’avaient dénoncé à l’époque plusieurs ministres et journalistes marocains. Ils pointent du doigt la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), les services secrets français. La colère de Rabat contre Paris a commencé le 20 février 2014 lorsque sept officiers de police judiciaire français ont frappé à la porte de la résidence de l’ambassadeur du Maroc à Paris où se trouvait Abdellatif Hammouchi, le chef de la Direction générale de la surveillance du territoire, l’élite de la police marocaine qui assure également des tâches comme la brigade politico-sociale à l’époque de Franco.
Hammouchi avait été accusé de torture par deux Marocains vivant en France et un Sahraoui emprisonné à Salé. Un juge voulait prendre sa déposition. Il a refusé et s’est rapidement enfui avant que le juge n’ordonne son arrestation. Le même jour, le roi Mohammed VI et son cercle restreint de collaborateurs ont pris la décision de couper la coopération judiciaire avec Paris, ce qu’ils ont annoncé dans un communiqué. Ils ont également suspendu la coopération antiterroriste, bien que Rabat n’ait pas rendu publique cette seconde décision. À l’époque, la France était frappée par le terrorisme et bon nombre des attentats étaient perpétrés par des Européens d’origine marocaine. Les autorités marocaines ont alors infligé à la France une sanction similaire à celle qu’elles viennent d’infliger à l’Allemagne et qu’elles envisagent d’appliquer à l’Espagne, pour la deuxième fois. La première a eu lieu en août 2014. Cherkaoui Habboud, directeur du Bureau central d’investigations judiciaires, a confirmé mercredi, dans une interview au journal en ligne » Rue 20 « , l’interruption de la collaboration avec Berlin. Il a également averti que l’hospitalisation en Espagne de Brahim Ghali, chef du Front Polisario, « menace de conduire à la suspension de la coopération dans le domaine de la sécurité entre les deux pays ».
Trois mois après que Rabat a coupé ses relations avec Paris, le 24 mai 2014, » Le 360 « , un journal en ligne marocain, a révélé le nom du chef des services secrets français au Maroc, accrédité à Rabat en tant que deuxième secrétaire de l’ambassade de France. La femme, un lieutenant-colonel surnommé « lionne » par ses collègues, a dû quitter le pays en toute hâte. Le 360 est, selon Le Monde, un média « très proche de Mounir Majidi, secrétaire particulier du roi Mohammed VI ».
Un mois après cet épisode, le 25 juin 2014, Mustafa Adib, l’un des plus farouches opposants à la monarchie alaouite, est interviewé pour la première fois par la chaîne de télévision arabophone France 24, qui a une large audience au Maghreb et lui consacre beaucoup de temps d’antenne. Adib, un ancien capitaine de l’armée de l’air qui a dénoncé la corruption dans l’armée et s’est exilé à Paris, est depuis lors apparu fréquemment devant les caméras de cette chaîne publique française. Trois mois plus tard, le faux profil de Chris Coleman a commencé à inonder Twitter de documents et d’e-mails confidentiels marocains.
Le joyau de ce Wikileaks version marocaine était peut-être la révélation de l’accord verbal conclu en novembre 2013 par le président Barack Obama avec Mohammed VI, qu’il a reçu à la Maison Blanche.
Le joyau de ce Wikileaks dans sa version marocaine était peut-être la révélation de l’accord verbal passé par Barack Obama avec Mohammed VI : Obama a dit à son invité qu’il renonçait à son droit de demander, au Conseil de sécurité, une modification du mandat de la Minurso, le contingent de l’ONU déployé au Sahara occidental, afin qu’il soit compétent en matière de droits de l’homme. En contrepartie, le monarque s’est engagé à établir un programme de visites au Sahara du Haut Commissaire aux droits de l’homme, à mettre fin aux procès de civils par les tribunaux militaires et à légaliser les associations indépendantistes sahraouies. Il n’a que partiellement rempli ses promesses.
Dans la masse de documents postés sur Twitter, plusieurs centaines concernent l’Espagne. Nadia Jalfi, épouse de Gustavo Arístegui, qui fut porte-parole du Groupe populaire au Congrès et ambassadeur en Inde, a échangé 150 courriels entre 2008 et 2011 avec Mourad el Ghoul, chef de cabinet du directeur de la DGED. Il a reçu des commissions de sa part et a également fait des propositions concernant la presse italienne et française et un cinéaste espagnol désireux de « saisir la souveraineté historique du Maroc sur le Sahara ». Par l’intermédiaire d’un de ses proches collaborateurs, Jalfi a expliqué à ce journaliste qu’elle travaillait à l’époque pour une agence de communication et ne connaissait pas El Ghoul.
Ahmed Charai, un homme d’affaires de la presse marocaine, a également été en contact permanent avec El Ghoul pendant des années, selon les e-mails publiés par le faux profil. Les commandes qu’il a reçues étaient plus importantes que celles de Jalfi et comprenaient des paiements à plusieurs journalistes français connus et à un Américain. Il a été arrêté en 2011 à l’aéroport de Dulles (Washington) pour avoir introduit aux États-Unis plus d’argent liquide que ce qui était autorisé.
La même année, Charai a été condamné par l’Audience provinciale de Madrid à verser 90 000 euros pour « préjudice moral » à l’ancien président José María Aznar et à publier la sentence dans trois journaux espagnols et trois journaux marocains, ce qu’il n’a pas fait. « Rachida Dati enceinte d’Aznar », tel était le titre de la première page de « L’Observateur du Maroc », l’hebdomadaire dont il était propriétaire, qui a incité l’ancien président espagnol à le poursuivre en justice. Charai a affirmé qu’Aznar était le père de la fille que la ministre française de la Justice attendait à l’époque. Parallèlement à cette fausse information de l’hebdomadaire marocain, le magazine espagnol « Interviú » a reçu un lot de photos d’Aznar avec Dati à Paris, prises devant un restaurant. « Les photos les plus embarrassantes d’Aznar », tel était le titre de la première page d' »Interviú », qui a tenté de donner du crédit à ce que Charai avait publié. Des années plus tard, on a appris que le père de la petite fille est l’homme d’affaires français Dominique Desseigne. Des sources du renseignement espagnol estiment que cet épisode est une tentative de la DGED de ternir l’image d’Aznar, le chef du gouvernement espagnol qui a eu les pires relations avec Mohammed VI. Interrogé sur l’authenticité de ces emails portant sa signature, Charai n’a jamais répondu à ce journaliste. Un troisième épisode révélé par le tweeteur laisse la diplomatie espagnole sous un très mauvais jour. Le 27 octobre 2013, deux jeunes de Melilla ont été abattus par la marine royale marocaine. Le gouvernement marocain a promis en décembre de transmettre au gouvernement espagnol les résultats de ses enquêtes, mais aucune information n’est jamais parvenue à Madrid.
Le 28 mai 2014, Gonzalo de Benito, secrétaire d’État adjoint au ministère des Affaires étrangères, a rencontré Badreddine Abdelmoummi, le « numéro deux » de l’ambassade du Maroc à Madrid, dans les couloirs d’une conférence sur l’Afrique. « Il m’a indiqué que son gouvernement [espagnol] serait satisfait de toute explication que le Maroc pourrait fournir pour régler cette affaire », a écrit Abdelmoummi à ses patrons à Rabat. Le Maroc est resté silencieux. Le faux profil, fermé à plusieurs reprises par Twitter sur ordre des autorités marocaines, mais réapparaissant sous un autre nom, a disparu début janvier 2015. A la fin du même mois, Mohamed VI entame un séjour à Paris qu’il n’avait pas visité depuis plus d’un an. Bien que son séjour soit privé, il a été reçu par le président de l’époque, François Hollande. Les deux hommes ont souligné leur détermination « à lutter ensemble contre le terrorisme et à coopérer pleinement dans le domaine de la sécurité ». La France a encore des devoirs à faire pour se réconcilier avec le Maroc. En juillet 2015, l’Assemblée nationale française a approuvé un amendement au protocole sur la coopération judiciaire en matière pénale entre les deux pays. Les juges français étaient menottés si les faits reprochés – la pratique de la torture – étaient commis au Maroc. Plusieurs ONG de défense des droits de l’homme ont mis en doute la constitutionnalité du nouveau protocole.
La DGSE, les services secrets français, n’a pas reconnu avoir inspiré les tweets qui ont tant nui aux espions et diplomates marocains. De nombreux indices suggèrent cependant que ce sont eux qui les ont mis en circulation. Mustafa Adib, l’ancien capitaine, si populaire à la télévision à l’époque, s’est confessé sur sa page Facebook en février 2019. « Mes apparitions sur France 24 faisaient partie d’une transaction avec les services secrets français au plus haut niveau (…) », a-t-il révélé. Adib s’est prêté au jeu de la vengeance de la DGSE française contre la DGED marocaine. L’autre, plus puissante, a très probablement été le « piratage » des courriels et des ordinateurs des services de renseignement et de la diplomatie marocains, puis la diffusion d’une petite partie de ce qui a été volé sur Internet.
El Confidencial, 30 mai 2021
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