Où va le monde ?

Où va le monde ? – OTAN, Russie, Ukraine, Etats-Unis, guerre nucléaire,

Il se dirige apparemment vers une guerre de tranchées. Les États-Unis d’Amérique voyant perdue la compétition économique et partiellement celle morale qui l’accompagne, ils ne peuvent plus ompter que sur leur supériorité technologique et militaire pour triompher. Quelles dispositions la société algérienne que la guerre de libération a mise dans le camp adverse doit-elle développer pour faire face ? Elle devra renforcer ses arrières probablement, ses contrepouvoirs. Contrepouvoirs dont on a pris l’habitude de parler de ceux internes, mais pas du tout de ceux externes. Les crises économiques et écologiques actuelles et à venir exposent une partie importante des sociétés occidentales au défaitisme et au pessimisme. Leurs mythes les lâchent, leur compétitivité industrielle recule. Elles ont besoin d’un réarmement. Il importe qu’elles rappellent et se rappellent leur supériorité morale, intellectuelle et technologique face aux rivaux qui les menacent de déclassement, aux vagues de populations qui menacent de les submerger. Elles ne le peuvent plus dans que la guerre. Il faut se rappeler que l’on ne gagne plus la guerre militairement, comme lorsque la société vaincue se mettait sous l’autorité de l’armée du vainqueur, mais politiquement, lorsque l’on gagne l’adhésion de la société. L’Ukraine qu’elles arment aujourd’hui contre la Russie est donc un bon champ de bataille, ou demain Taiwan contre la Chine. Pour les sociétés dominées, la défense restera la meilleure stratégie. En engageant peu de forces dans le combat, on assure le moins de pertes. Mais les sociétés dominées ne choisissent pas toujours la défense qu’elles veulent, elles n’en choisissent ni le lieu ni l’heure : quand elles sont prises dans la guerre, comme disent les Chinois, elles l’ont déjà perdue. La guerre n’est pas simplement militaire, il faut savoir où elle commence et où elle finit. La société doit donc développer des dispositions qui lui permettent de passer rapidement d’un état de paix à un état de guerre et inversement. Et cela concerne en particulier la frontière, les échanges entre la société civile, au sens large, et la société militaire.

Dans un récent livre, Yascha Mounk plaide pour une grande expérience qui conduirait les démocraties dont la plupart ont été fondées autour d’une conception monoethnique et monoculturelle d’elles-mêmes à des démocraties de conception multiculturelles et multiethniques : « Nous voilà partis pour une grande expérience, la construction de démocraties multiethniques très diverses, qui passeront l’épreuve du temps et, espérons-le, traiteront équitablement tous leurs citoyens. Cette grande expérience est l’entreprise la plus importante de notre époque. Elle a démarré sans expérimentateur, en l’absence de toute volonté délibérée. Aucun consensus n’existe sur le genre de règles ou d’institutions qui pourraient la faire aboutir. » Il parie sur une progression du principe de l’égalité dans le prolongement des tendances passées : « L’incroyable différence qu’on constate entre les droits et les possibilités dont jouissent aujourd’hui les Afro-Américains, comparés à leur situation d’il y a cinquante ou cent ans, est le témoin de la faculté des démocraties, même les plus imparfaites, à se réinventer. … En dépit des ombres du passé, la plupart des démocraties font de réels progrès pour intégrer leur diversité dans la conception qu’elles se font d’elles-mêmes ». Aussi fait-il appel aux optimistes de tempérament : « Ignorer que nos démocraties ont désespérément besoin de s’améliorer relèverait de l’optimisme béat, mais nous tenir pour incapables de tirer parti des progrès de ces cinquante dernières années ou condamnés, quoi que nous fassions, à rester à jamais définis par le racisme et l’exclusion, voilà qui relèverait d’un cynisme plus ignorant encore. Le chemin de la grande expérience vers le succès sera cahoteux, mais le coût de l’échec serait bien trop élevé pour que nous nous contentions de demi-mesures ou que nous abandonnions la course à mi-parcours. » [1] À quel coût faut-il penser, du point de vue des Américains du nord, des Européens ou de l’humanité ?

Histoire fléchée, mais brisée

En vérité, Yascha Mounk se bat pour que ne meure pas le mythe de l’histoire comme progrès qui a assis la domination de la modernité occidentale. Les USA ne succomberont pas à l’histoire européenne et resteront le modèle pour l’humanité, l’histoire ne cessera pas d’être progrès. J’ai envie de l’associer à cet autre optimiste, Elon Musk qui se bat pour prolonger la trajectoire industrielle actuelle. Deux entrepreneurs, l’un idéologue et l’autre global (idéologique, économique et militaire), l’un qui s’adresse aux terrestres qui sont tentés par le pessimisme face à l’accroissement des inégalités et à la menace d’austérité, l’autre aux terriens qui ont tendance à faire sécession, mais sans franchement regarder l’avenir. L’un porté par un cours des choses actuel qui s’essouffle, qu’il faut vivifier, qui veut lui donner des leaders, l’autre qui doit fournir des troupes, une galerie. Derrière Elon Musk, il y a en vérité le complexe militaro-industriel américain.

Tous deux se battent pour une histoire fléchée positivement, laissant croire qu’elle pourrait concerner l’ensemble de la société multiculturelle. La question est : importe-t-il de savoir quelle partie de l’humanité concernera cette histoire fléchée positivement ou pas ? Faudra-t-il préserver une telle flèche du temps quoiqu’il en coûte pour la partie de l’humanité qui en a la capacité ? Qu’en coûtera-t-il pour le reste de l’humanité abandonnée par le progrès technologique ? Une nation imposera-t-elle, par la destruction et la guerre, sa supériorité technologique au reste de l’humanité ? De ce point de vue la Russie, en Syrie et en Ukraine, est une caricature de l’Occident. Car si le cours de l’histoire n’est pas conforme aux dispositions de l’humanité encore sous le règne des mythes des Lumières occidentales (progrès infini, domination de la nature), s’il s’avère fléché négativement au contraire des dispositions humaines, si les individus se retrouvent « ramant » à contre-courant sans y être préparé, les « noyades » risquent d’être nombreuses. La dualisation des sociétés et du monde ne peut que s’aggraver. À moins que l’humanité revienne de l’illusion du progrès infini, refuse de s’engager dans une guerre des riches contre les pauvres.

Si l’on doit attribuer un mérite à Elon Musk, outre le fait d’être intelligent, juif, d’origine sud-africaine par le père et canadienne par la mère, c’est celui de voir les forces en jeu dans le cours actuel des choses et de travailler à renforcer certaines d’entre elles, lui permettant de « défier la science » pour faire sensation en s’appuyant sur des forces actives, mais discrètes, en conscientisant, mobilisant d’autres insuffisamment conscientes d’elles-mêmes et insuffisamment agressives, mais prêtes à ne regarder qu’en avant parce qu’ayant trop à perdre en ralentissant le pas. Les sociétés aiment ce genre de guerrier. « Si le citoyen Musk aspire à un État minimum, l’entrepreneur Musk, lui, excelle à composer avec les pouvoirs publics. Pour obtenir de l’argent tout d’abord. Le ministère américain de la Défense a été le premier client de SpaceX. La Nasa a sauvé l’entreprise en 2008 avec son premier contrat de ravitaillement de la Station spatiale internationale. Et l’agence publique américaine a ouvert à l’opérateur privé son site de lancement de Cap Canaveral. Pour profiter des règlementations ensuite. … » [2]. J’ai envie de le nommer le Chinois des USA pour son intelligence du monde et l’anti-Chinois pour son libertarianisme. À la différence de la Chine à propos de Jack Ma, les USA sont allés le chercher en Afrique du Sud.

Dans la « grande expérience » de Yascha Mounk qui devrait permettre aux sociétés démocratiques de se concevoir et de se réaliser comme multiethnique et multiculturelle, où il oppose les pessimistes et les optimistes quant à la progression de l’égalité et de la justice, il s’agit de convaincre ceux qui commencent à douter, mais voudraient croire, soit les membres de la classe moyenne supérieure menacés de déclassement et la classe moyenne inférieure désireuse de progression. Il laisse la classe supérieure qui est attachée au progrès technologique, la classe moyenne supérieure qui persiste à vouloir le rester, à Elon Musk. C’est que l’optimisme que nourrissaient les mythes des Lumières occidentales commence à s’effriter. L’histoire bégaie, elle hésite à confirmer la loi du progrès continu, la soumission de la nature à des lois objectives et du destin des humains à leur volonté[3]. Il se corrompt par le bas, le pessimisme gagne les classes inférieures, qui ne font plus confiance au marché et demandent une répartition autoritaire des ressources qui ne va pas sans conflits.

Il faut être populistes si nécessaire, aller directement au peuple, mais être enthousiastes, croire au progrès en général à nouveau, pour conquérir le cosmos. On évitera de traiter de « populistes » les entreprises globales qui effacent toutes les intermédiations. On ne traitera pas de même le président français Macron, qui ni de gauche, ni de droite sape les structures de médiations politiques traditionnelles. Il faut aussi défendre plus fermement et plus intelligemment le « solutionnisme technologique»[4] et aller en guerre si nécessaire contre ceux qui se dressent contre le cours de l’histoire dirigé par le progrès technologique. Les USA viennent d’ajouter à la peur occidentale la menace militaire russe à la menace économique chinoise. Il faut maintenant à l’Occident défendre sa position dans le monde, s’attacher à sa suprématie militaire et par conséquent au progrès technologique. La guerre vient au secours du mythe du progrès qui s’effrite. Elle soude l’Occident autour de « sa » valeur de liberté. La lutte pour la liberté, la lutte pour la défense de l’hégémonie occidentale (et la survie de la Russie), surclasse la lutte pour la préservation de l’humanité et de son habitat. Les classes moyennes ont besoin de croire que leur destin est celui des classes supérieures et non celui des classes inférieures et surtout qu’elles n’appartiennent pas à une société déclinante. Elles avaient besoin d’être protégées du déclassement, mais ne voulaient pas de sobriété énergétique, voilà que la guerre qui menace la sécurité de leur mode de vie, ne leur laisse pas le choix. Il n’y a plus à réfléchir. On peut bien décliner, mais non cesser de dominer pour être dominé[5]. Cela pourra se faire (décliner, mais préserver sa position) par la guerre et cela d’une pierre deux coups : d’un côté, imposer la sobriété énergétique aux Européens avec le boycott des exportations d’énergie russe, la décroissance aux Américains avec la stagflation[6], et de l’autre, mettre en place une division du travail industrielle et militaire entre les États-Unis et ses alliés, profitable à la puissance militaire occidentale : aux USA les forces planétaires et aux alliés, les forces locales[7]. Les USA ne se détournent donc pas de l’Europe, de l’Asie ou du Moyen-Orient, ils se construisent comme force planétaire et aident leurs alliés à construire les forces locales d’appoint.

Il faut se rappeler la violence « sans état d’âme » de l’Occident au cours du XIX° siècle et de la première moitié du XX°, convaincu de son indiscutable différence et supériorité pour ressentir ce que la différence signifie aujourd’hui[8]. Il ne se dira plus que l’on part en guerre pour un coup d’éventail. La distinction entre progressistes, ceux portés par l’histoire, et les réactionnaires, ceux condamnés par l’histoire, commence à se brouiller. Les progressistes partisans du progrès technologique deviennent les réactionnaires du progrès social et humain, les réactionnaires du progrès technologique (tels les luddites du début du XIX° siècle) deviennent les progressistes partisans du progrès social et humain. Le progrès technologique qui ne se diffuse plus suffisamment ne se confond plus avec le progrès matériel ; celui-ci ne se confond plus avec le bien-être et le progrès social, il est mal réparti et sa consommation nuit. Le progrès technologique se dissocie du progrès social. Il reste que de telles dissociations ne sont pas, ne seront pas égales sur toute la planète.

Les menaces de crises économique et écologique ne suffisent pas à modifier les habitudes des sociétés. Elles ne suffisent pas à les en dégager, à les mettre à l’heure du monde. Les chocs extérieurs, les guerres autorisent des transformations que les sociétés n’auraient pas tolérées autrement. Quand l’état d’une société se détériore, il importe qu’il se dégrade moins que celui de la société voisine. La Russie sera sans aucun doute l’instrument d’une telle politique de transformation autoritaire orchestré par les USA, l’instrument d’une nouvelle victoire du néolibéralisme. Jusqu’à quand ?

Il faut penser à ce que représente la Russie pour l’Occident : cherchant sa place dans une Europe qui la craint, ses excès mettent à jour les impasses de celle-ci. Elle va à ses extrêmes dans l’espoir de faire sa place. La Russie est européenne, mais rivale. Seulement plus étatiste, encore engoncée dans des propensions impériales. C’est elle qui a adopté le socialisme que l’Europe de l’Ouest a inventé, mais n’a pas su appliqué. Le vaste continent qu’elle représente, riches en ressources naturelles, mais faiblement peuplé sur la plus grande partie de son territoire, a ensuite adopté le marché, pour encore être la victime. La leçon que tirera la Chine du gouvernement de Poutine, pourra-t-elle être dissemblable de celle qu’elle a tirée des gouvernements d’Eltsine et de Gorbatchev ? Le monde n’a pas tort quand il condamne à la fois la Russie et l’Occident, l’agression de l’Ukraine par la Russie et les sanctions économiques occidentales. La Chine se serait attaquée au problème ukrainien à sa naissance s’il en était un, avant 2014 et non en 2022. Comme elle l’a fait avec la place Tian’anmen d’abord, Hong Kong ensuite. Elle fera différemment avec Taiwan. Du point de vue de la Chine, la Russie a encore perdu la guerre que lui mènent les USA. Ils ont divisé l’Europe en fragilisant les rapports de la Russie avec l’Europe et l’Allemagne en particulier et ils ont confirmé une division du travail militaire, et donc industrielle, avec leurs alliés. Mais les USA doivent prendre garde à la défection de leurs fronts arrière.

On ne parle pas de l’effet des sanctions économiques sur les sociétés occidentales, de la remise en ordre qu’elles peuvent et doivent engager à l’occasion. Pour ce qui apparaît aujourd’hui, l’Europe et la Chine seraient plus affectées que les USA, à moins que la stagflation n’y soit qu’à ses débuts. La sobriété énergétique va-t-elle devenir une opportunité ? La décroissance occidentale sera-t-elle acceptée ? Ce qui est sûr c’est que la guerre ne préfigure pas une croissance mondiale autrement partagée between the West and the Rest.

Pessimistes et optimistes, opposition et complémentarité

Il faut distinguer entre opposition négative et opposition positive, autrement dit, l’optimisme accroissant le pessimisme des autres (ils s’excluent, ne s’écoutent plus), le pessimisme des uns accroissant l’optimisme des autres (ils opèrent dans la même direction ; ils se complètent, les optimistes assimilant les pessimistes et contenant leur accroissement).

Dans cette distinction entre pessimistes et optimistes en général, la pensée dichotomique ne voit pas qu’ils peuvent se compléter et se substituer l’un à l’autre, s’opposer et alterner. Les croyances ont été déconnectées de leurs conditions d’existence, de leur compétition et de leur éventuelle conversion.

Au sein d’une société, les pessimistes et les optimistes peuvent avoir des fonctions différentes pour un même objectif : la prospérité relative de la société en question.[9] Il pourrait y avoir ceux qui croient à la victoire du plus fort, à la logique des rapports de force en externe, les battants (Elon Musk, les libertariens) qui partent en guerre, et ceux qui croient qu’en interne l’état de droit devrait être la règle, la logique du rapport de force devant être bannie, les pacifistes (Yascha Mounk), … pour renforcer le rapport de force externe. Un peu comme au temps des colonies, certains ne vivaient que des bienfaits du colonialisme. Un peu comme la viande, on aime la consommer, mais on a pitié des bêtes que l’on égorge ou maltraite … quand on y pense. Aussi les optimistes peuvent-ils s’accommoder d’une distribution des rôles, pourvu que ceux qui vivent des méfaits du progrès ne viennent pas troubler la fête de ceux qui vivent de ses bienfaits, pourvu que méfaits et bienfaits soient bien séparés et ne soient pas mêlés. Pourvu par exemple, que le militaire puisse rentrer chez lui et accéder aux bienfaits de ses méfaits. Pourvu que les conquêtes et guerres extérieures puissent nourrir la paix intérieure. L’idéologue doit donc rabattre suffisamment de personnes qui puissent vivre de l’espoir que demain ils pourront s’assoir à la table des bienfaits du progrès ou que de toute façon il n’y a pas d’autre solution, il faut se battre pour y être, pour que la guerre ne se mêle pas à la paix, et qu’en cas d’échec, il ne faudra s’en prendre qu’à soi-même.

En fait il faut distinguer parmi les optimistes, ceux qui réussiront et ceux qui échoueront, ceux qui seront bien servis par le cours de l’histoire et ceux qui ne le seront pas. Ceux qui auront su en lire les propensions, favoriser celles qui leur sont favorables et annihiler les autres. Et ceux qui seront portés sans savoir où. On pourrait distinguer trois groupes : ceux donc qui font corps avec le cours des choses et tirent avantage de ses propensions, ceux qui réussissent à se maintenir en équilibre sans se préoccuper du reste, tanguent, mais ne se brisent pas, et enfin ceux qui doivent se délester ou sombrer. Car, parmi ceux qui veulent, tous n’ont pas les moyens de leur volonté, les moyens ne se convertissent pas en fin, l’espoir les fait vivre et … périr. Il faut distinguer entre ceux qui se donnent pleinement, à moitié ou insuffisamment les conditions de la réussite.

Dans le cours des choses actuel, que je caractériserai à la suite d’autres comme une archipélisation du monde[10], on peut distinguer entre trois groupes. Il y a ceux qui se battent pour être du bon côté d’une société d’apartheid (voilà pourquoi la Palestine pourrait annoncer le futur de l’humanité), ce serait comme la partie émergée de la société mondiale. Il y a ceux ensuite qui sont l’autre côté et serait comme la partie immergée, parce qu’ils rêvent d’une société juste et ignorent le sol qui les portent et qui se dérobent sous leurs pieds. Enfin je distinguerai ceux qui se tiennent à la frontière de ces deux mondes, qui ne peuvent pas se faire à l’idée d’une telle division de l’humanité, mais pour qui l’avenir reste indéterminé.

La structure d’une société peut-être stable, bipolarisée en équilibre ou en déséquilibre : la tendance qui l’anime pouvant être à la progression de bas en haut et/ou de régression de haut en bas de la structure. Il y a problème quand la société est tirée dans deux directions opposées. Elle a alors tendance à se désolidariser et à se diviser en deux sociétés antagoniques, certains voyant leur condition terrestre se dégrader sans espoir de se reclasser, glissant sur une pente négative et d’autres décollant de cette pente, envisageant de survivre à leur condition terrestre, poursuivant le rêve de domination et de conquête du cosmos. Soit lorsque ceux qui descendent refusant le mouvement s’accrochent aux autres et que ceux qui montent décident de faire sécession parce qu’ils refusent de partager le sort des premiers. Les optimistes décident d’abandonner les pessimistes à leur destin, de leur faire la guerre si nécessaire. Le progrès technologique ayant alors besoin de la guerre pour persister et stabiliser sa trajectoire.

Un clivage particulièrement pertinent opposait dans un passé récent les sociétés : progressistes contre réactionnaires, ceux bénits par l’histoire, et ceux qu’elle condamnait. Le progrès technologique se confondait alors avec le progrès social. L’Occident conquérait le monde, les classes inférieures voyaient leur avenir dans les classes moyennes inférieures, celles-ci dans les classes moyennes supérieures et ces dernières dans les classes supérieures. Les pays retardataires dans celui des pays avancés. La croyance en une loi émancipatrice de l’histoire – toujours plus d’égalité et de justice, était entretenue par une expérience historique fléchée positivement. Bien qu’une telle croyance ne concerna au départ qu’une partie de l’humanité, les croyances des autres mondes ne purent lui résister. L’innovation et la liberté n’étaient plus des péchés. Il fallait en faire l’expérience. La catégorie des gagnants recoupait alors celle des progressistes, celle des perdants coïncidant avec celle des réactionnaires. Il n’y avait alors pas de problèmes, les réactionnaires devaient se résoudre à se convertir, on ne pouvait rien contre la loi de l’histoire, la loi de la domination de l’homme sur la nature, la loi du développement des forces productives. La domination des gagnants, le reclassement des perdants étaient aisés. Aujourd’hui cette croyance tenace, mais mise en doute, est confrontée à des crises sociales et écologiques. La domination de la nature paraît plus destructrice que bienfaisante, le développement technologique creuse les inégalités sociales plutôt qu’il ne les résorbe. Pour les sociétés retardataires, des révolutions qui espéraient raccourcir l’histoire en faisant table rase du passé se sont révélées illusoires.

Démocraties multiculturelles dans un monde multiculturel

C’est d’un autre optimisme dont nous avons besoin en vérité, celui d’humains qui ne seraient plus des dieux dans le système Terre, au sein du règne des vivants. Celui d’une humanité qui prenne soin d’elle-même et de l’habitat qui lui est donné. Le bonheur n’est pas dans le consumérisme des uns et la puissance des autres, il est dans la santé, dans la qualité de la vie.

Il est possible de concevoir et de réaliser de telles sociétés multiethniques et multiculturelles à condition que dans le monde elles renoncent à se faire la guerre, qu’une compétition pacifique fasse que la circulation des individus entre ces sociétés soit possible en fonction de la participation que les individus souhaitent. À condition qu’il puisse y avoir libre circulation et association des individus en nations concurrentielles, mais pacifiques. Ce serait comme vouloir refaire le monde. Y pense-t-on encore ? Il est plus facile de faire confiance aux sociétés de conception monoethnique et monoculturelle à la manière des empires et à leurs traités de paix. Ces derniers ont mieux traité les minorités religieuses et culturelles que les démocraties, n’ignore pas Yascha Mounk. C’est un autre totalitarisme que d’envisager l’humanité entière derrière une loi, plutôt que d’accepter son pluralisme culturel. On ne peut extraire de l’humanité la compétition, mais on peut l’organiser. Une démocratie de conception multiculturelle peut s’organiser en supposant ou pas un monde de conception multiculturel, une compétition pacifique ou violente des cultures, en recherchant ou pas l’hégémonie. Mais une société de conception multiculturelle dans un monde de conception non multiculturel ne peut être stable. Elle n’accorde ses cultures que lorsqu’elle triomphe de la compétition extérieure et assure une paix intérieure, ce qui ne peut être chose éternelle.

Yascha MONK envisage la « conception multiculturelle » des sociétés seulement à l’intérieur des démocraties sans la considérer au sein du monde. Un peu comme John Rawls qui conçoit sa justice dans le cadre d’une société nationale et non celui des relations internationales. Autrement dit, sans considérer la capacité de ses démocraties à « comprendre » le monde et à être « compris » par lui. Il est toujours possible de réaliser la paix intérieure par des conquêtes extérieures. De séparer une ethnie en l’une qui profite des bienfaits des conquêtes d’une autre qui en souffre. Mais cela n’est pas aisé. Il faut des conquêtes extérieures, à défaut desquelles les « conquêtes intérieures » prendront le pas. Le gâteau qui s’accroit peut accueillir plus de convives, un gâteau qui se réduit fait que certains ne pourront y prendre part. Il reste que l’optimisme ne produira pas les mêmes effets dans des sociétés conquérantes et celles qui ne le sont pas. Il armera les premières et désarmera les secondes.

En fait il s’est agi de réaliser des connivences, des résonnances entre différentes ethnies au travers de la conquête. Au plan national ou mondial. Il ne s’agit pas de détruire les ethnies pour leur substituer des nations, ce qui n’est autre qu’une manière d’affaiblir la nation face aux inégalités. La France à la différence des pays anglo-saxons. La nation contre l’ethnie à l’image de la société française est la cause des problèmes que l’Afrique a avec l’État et le marché. Il faut que des tribus, des ethnies résonnent autour d’un même objectif. Elles ne se mobiliseront pas séparément et leurs frontières passeront en arrière-plan, quand elles ne seront pas temporairement oubliées. Qu’une coopétition honnête s’établisse entre les différentes ethnies et nations du monde, telle serait une condition plus sérieuse de la paix. La lutte pour l’hégémonie est l’ennemi d’une telle coopétition. L’ennemi, la cause du désordre est le champion qui veut rester l’éternel champion. Les nations d’Afrique ont du mal à s’organiser, on continue de penser pour elles des organisations qui accroissent leur désordre. Pour ce faire, on accuse leur culture d’être la cause. Pourquoi refuser à ces nations le droit d’expérimenter et de comparer leurs expériences pour trancher la question ? Pourquoi croire que les moyens d’organisation d’une société sont supérieurs à ceux d’une autre sans en avoir fait la preuve expérimentale ? Probablement pour perpétuer leurs échecs et préserver l’hégémonie de la Raison occidentale.

Un exemple, les rapports des Algériens et des Français en France et dans le monde. Pourquoi les Français voudraient-ils dissocier les immigrés algériens de l’Algérie et les Algériens en réaction, s’opposer à une telle dissociation ? La même histoire ne serait plus partagée entre les immigrés d’origine algérienne et les Algériens ? Mais qu’est-ce qui fait vivre une telle histoire commune au lieu de la faire oublier ? N’est-ce pas la vie que ces immigrés mènent en France ? Ils revivent en France la colonisation. Pourquoi ceux qui ne la revivent pas ne pourraient-ils pas appartenir aux deux sociétés, eux deux histoires, à une histoire commune de la France et de l’Algérie ? Pourquoi ne seraient-ils pas le fer-de-lance d’une « réconciliation » des deux sociétés par leur écriture d’une nouvelle histoire et non par une écriture commune de l’histoire passée qui n’aurait pas d’objectif en vérité que de demander aux Algériens de se ranger derrière la France. On ne réconciliera pas les deux sociétés en écrivant l’histoire du passé, mais en « écrivant » l’histoire du futur. Mais prête-t-on suffisamment attention, de part et d’autre, à l’histoire que l’immigration est en train d’écrire aujourd’hui ? Je suis fier des binationaux qui ont réussi, bien que je ne les approuve pas tous, ils prouvent que dans certaines conditions, nous ne valons pas moins que d’autres. Ils nous ont relevé la tête en quelque sorte, mieux que beaucoup des nôtres. Je leur dis soyez fiers de vous !

La guerre en Ukraine, stratégies américaine, chinoise et russe.

L’interprétation que je préfère de la guerre en Ukraine est la suivante : les USA ont utilisé l’Ukraine contre la Russie pour faire avorter les plans de la Chine au moment où celle-ci se tourne vers son marché intérieur, mais compte encore sur la technologie occidentale. Les USA ont refusé la compétition loyale que la Chine leur a déclarée. Je ne peux pas dire que c’était la réaction attendue par la Chine, mais cela ne doit pas être exclu. Il faut donc remettre le conflit entre la Russie et l’Ukraine dans le cadre de la « rivalité systémique » sino-américaine. Après les sanctions économiques contre les entreprises technologiques chinoises, les sanctions économiques contre la Russie visent à réduire les ressources de la Chine pour la réalisation de son programme de puissance rivale. L’angle d’attaque de Mounk vise moins à réaliser l’égalité sociale aux USA, que l’objectif d’affronter idéologiquement et technologiquement la concurrence et le modèle chinois.

Pour le moment, la guerre idéologique menée par l’Occident oppose régimes autoritaires et sociétés démocratiques. On voit bien que cette opposition n’implique pas le reste du monde démocratique ou non. L’Ouest est démocrate chez lui, mais pas en dehors, pas au Conseil de sécurité, ni chez les dictatures ou monarchies alliées. Une bonne part des sociétés démocratiques vivent des bienfaits des dictatures dans le reste du monde. Elles ne vivent pas, ne souffrent pas de leurs méfaits. Elles ne s’en plaignent pas. Ecce homo.

En fait la guerre en Ukraine, n’est pas sans résonnance avec la guerre civile aux USA : il s’agit de protéger les blancs américains du déclassement en comprenant les Américains d’origine africaine et hispanique dans la lutte pour la liberté. La défense de la supériorité américaine étant confondue avec la lutte contre l’autoritarisme. Mais cela ne changera probablement rien au fait que les conquêtes extérieures de la société de classes ne sont plus là pour acheter la paix sociale. Ils mènent une guerre interne et externe contre la menace des non-héritiers. Voilà pourquoi le sujet d’une démocratie de « conception » multiethnique et multiculturelle importe davantage qu’un combat contre les injustices mondiales et locales. Voilà pourquoi il faut séparer la justice à l’intérieur et à l’extérieur. Parce qu’il faut un combat idéologique qui égare les uns et conduit les autres plutôt qu’une lutte contre l’humainement insupportable, plutôt que des pratiques de transformation. Le monde ne viendra pas à bout de ces luttes, mais il réduira les dégâts, empêchera ceux qui sont irréversibles.

Et c’est pour cela que la Russie par son intervention militaire provoquée par les USA aurait pour dessein selon les USA de brouiller pour la Chine les données de la compétition avec eux. Elle ajoute de « nouvelles sanctions » économiques contre l’économie chinoise. Mais pourquoi les médias occidentaux s’efforcent de faire croire à l’efficacité des sanctions économiques dans les sociétés dites autoritaires ? Pourquoi devrait-on penser qu’elles permettraient d’affaiblir et de détruire l’autorité des gouvernements autoritaires en accroissant leurs difficultés économiques ? Parce que l’on pense que ces sociétés, n’ont à l’image des sociétés riches, que le souci de leur condition matérielle ? Et partagent avec elles les mêmes croyances ? Même si la Russie se désolidarise de la Chine dans sa lutte pour la suprématie, ce de quoi on ne devrait pas douter, même si elle lui vole un moment la vedette, il ne faut pas s’étonner si la Chine s’efforce de retourner l’arme des sanctions contre ses promoteurs. En ce moment, on décrit le redoublement de son autoritarisme pour imposer sa politique de zéro Covid, on rechigne à parler du mal que l’atelier du monde occasionne à l’industrie occidentale. L’Ouest entre en guerre contre la Russie en lui fournissant des armes pour afficher sa supériorité, qui sait et dira comment la Chine y participe ? L’Ouest ne nous le dira pas, il faut fabriquer des armes contre le rival et non lui en donner, il faut fabriquer de l’optimisme dans le corps social et non du défaitisme. Il s’efforcera d’en souffrir le moins possible, il faut rassurer en ayant l’air d’être toujours le maître du monde.

L’alternance de la progression et de la régression.

Une histoire de cycles. Pourquoi épuisons-nous les ressources naturelles ? Parce que nous ne respectons pas les conditions de leur renouvèlement, le cycle de leur reproduction. Il s’avère que notre consommation ne peut plus continuer à croître, elle rencontre des limites en amont, du côté de la production des ressources naturelles et en aval du côté de ses effets sur la biosphère. Ainsi beaucoup d’économistes soutiennent aujourd’hui qu’il faut investir dans la transition écologique et que pour ce faire il faut nécessairement moins consommer, contrairement à la tradition où la consommation était un moteur de la croissance de la production.

Du reste d’où vient la violence ? Elle vient de ce que nous voulons obtenir des autres plus qu’ils ne peuvent consentir, en d’autres termes pour parler comme les économistes, du fait que la demande d’égalité ne rencontre pas d’offre, que les courbes d’offres et de demandes sont inélastiques. Elles ne peuvent pas s’aligner, l’échange des droits est asymétrique. La violence vient de ce que l’on veut plus d’égalité et que l’on a pour réponse un accroissement des inégalités, de ce que l’on veut plus de pouvoir d’achat et que l’on en a moins. Si les courbes d’offre et de demande d’égalité ont des pentes différentes, l’une croissante et l’autre décroissante, si la société veut des droits qu’elle ne peut s’offrir, leur ajustement se fera au détriment de la demande qui aura tendance à réagir par la violence pour « redonner à l’offre son élasticité », mais que ne pourra contenir qu’une plus grande violence si l’offre rigide risque de se rompre plutôt que de s’ajuster. Ou pour parler comme P. Bourdieu, la violence apparaît au moment où des dispositions qui se sont développées indépendamment du cours des choses se heurtent avec lui et le contestent violemment. Comme depuis le colonialisme, nous continuons à souffrir d’un désajustement de nos dispositions et de leur espace de réalisation, d’une désynchronisation entre ce que nous voulons et ce que nous pouvons.

On se trompe donc quand on combat pour l’extension du principe de l’égalité dans un contexte de régression, le résultat sera contreproductif. Combattre pour plus d’égalité conduira à plus de dégâts et moins de bénéfices. Vouloir maximiser un profit alors qu’il s’agit de minimiser des pertes aggrave les pertes et ne les réduit pas. L’humanité est toujours possédée par l’espoir d’une vie meilleure. Mais il y a une différence entre objectiver le paradis de notre imagination dans le cours de sa vie et dans une autre, sur terre et au-delà. Les croyants dans le paradis d’un au-delà ont une plus grande force que ceux qui s’en sont passés ou que ceux qui lui ont substitué un paradis sur terre et rêvent d’une cité idéale. Faut-il considérer les martyrs qui ont donné leur vie pour une autre, celle dans l’au-delà ou celle de leurs descendants, qui ont passé le seuil qui sépare les révolutionnaires des réformistes comme le répète souvent Lakhdar Bentobbal[11], comme des fanatiques ? Faut-il leur abandonner le cri de guerre « Dieu est le plus grand » ? En rêvant d’une cité idéale nous avons substitué à l’idée du paradis dans un au-delà un paradis ici et maintenant.

Ce n’est pas un hasard, si des théoriciens de la justice, tels Amartya Sen, remettent en cause le combat pour une société idéale qui finit par opposer les sociétés en faveur d’un combat contre les inégalités insupportables pour les humains et les non humains. Lorsque l’égalité régresse et se développe l’injustice, ce ne sont pas les principes qu’il faut leur opposer, mais l’examen des conditions qui sont à la base du désajustement des courbes d’offres et de demandes d’égalité et de justice. Rappelons comme dans l’esprit de la langue arabe et beaucoup moins dans celui de la langue française, qu’un droit est au bénéfice d’une partie et à la charge d’une autre. Il y a balance, pas de droit sans devoir. Il faut examiner comment se différencient les courbes d’offres et de demandes ? Pourquoi certaines sont ignorées et d’autres validées ? Il faut rester au plus près des conditions de production de l’offre et de la demande pour les transformer et non pas vouloir les changer en partant de principes abstraits qui ignorent ces conditions. L’Etat n’accorde des droits aux uns que s’il oblige la charge, les devoirs de ces droits, à d’autres.

Le vrai problème qui est à l’origine de ce désajustement de l’offre et de la demande de justice sociale réside dans une certaine schizophrénie sociale : les gens ne font pas ce qu’ils disent, ne regardent pas ce qu’ils font. Ils veulent des choses, leurs désirs sont sans limites disent les économistes, mais confient à d’autres, les économistes, ce qu’il faut faire pour les obtenir. Ce qui leur permet de regarder ailleurs. Ils ne s’attachent pas à accorder leurs désirs collectifs et leurs capacités. Comme les Français, mais pas comme les Allemands et les Nordiques. Ils refusent de s’associer quand ils sont individuellement impuissants. Tout ne dépend pas de « la » volonté, une volonté abstraite séparée des conditions d’émergence et d’investissement. Il faut aussi le pouvoir. Pour que le vouloir s’accorde avec pouvoir, il faut que le premier reste au plus près du second, n’oublie pas de quoi il dépend, comprenne son sentier de dépendance et les nouvelles conditions qui permettent la transformation de sa trajectoire. Il faut vouloir ce que l’on peut, désirer le meilleur de ce que l’on peut, ce qui suppose une connaissance du champ des possibles, une adéquation des capacités et des ressources. La question n’est pas en général de sincérité ou d’hypocrisie. Nous énonçons des principes à réaliser au lieu de nous attacher aux conditions de production de l’offre et de la demande, nous laissons nos désirs se réfugier dans des principes sans se déployer dans des conditions concrètes, sans les garder solidaires de leurs conditions de production et de transformation. Nos théories ne sont pas la théorisation de nos pratiques réussies, elles sont le moyen qui nous permet de prendre nos désirs pour des réalités.

S’il y a régression possible avec les crises écologiques et économiques, s’il doit y avoir baisse de la consommation pour investir dans la transition écologique, s’il faut faire preuve de sobriété, le point de départ des réformes n’est pas dans des principes abstraits et généraux, mais dans les injustices réelles que l’on ne pourra pas supporter et les moyens de les atténuer ou de les empêcher. Il faudra transformer aussi bien les conditions de l’offre que celles de la demande et que leur ajustement permette leur progression globale. Il faudra être mieux que les autres certes, mais de quel point de vue ? Il faut pour cela faire confiance à l’expérience plutôt qu’à quelque théorie qui on ne sait par quelle magie réalisera ce que nous voulons. La Théorie ne doit pas prendre la place de la Révélation. En vérité nous importons des théories pour le décor, dans la réalité nous bricolons sans esprit de suite. Au lieu de nous poser les bonnes questions, en conduisant des expériences maitrisées à l’aide de théories éprouvables, pour leur donner les bonnes réponses. Qu’est-ce que l’on ne peut pas accepter collectivement et individuellement, comment y remédier concrètement ? Nous sommes d’accord pour qu’il n’y ait pas de chômeurs ? Comment alors nous donner du travail les uns les autres ? Nous sommes d’accord pour l’augmentation du pouvoir d’achat, mais comment obtenir son accroissement sans nous référer d’abord à autre chose qu’à nous-mêmes ? Notre pouvoir d’achat ne nous est pas concédé d’abord par l’État ou la providence, mais par ce que nous concédons au monde et à nous-mêmes. Ce qui compte, c’est de ce qui nous est acquis, ce que nous nous concédons les uns aux autres comme droits.

Notes :

[1] La grande expérience. Les démocraties à l’épreuve de la diversité. Éditions de l’Observatoire. 2022. Il est l’auteur d’un best-seller précédent, le peuple contre la démocratie. Humensis, 2018. Dans cet ouvrage qui est comme le second volet du premier, il engage le combat contre les « populismes ».

[2] « Elon Musk, l’homme qui voulait sauver l’humanité, la planète et la démocratie », les Échos du 03.05.2022.

[3] La cosmologie occidentale du naturalisme (Ph. Descola) qui sépare nature et société.

[4] Courant de pensée originaire de la Silicon Valley qui souligne la capacité des nouvelles technologies à résoudre les grands problèmes du monde, comme la maladie, la pollution, la faim ou la criminalité.

[5] Les deux humeurs qui diviseraient l’humanité selon Machiavel : ceux qui veulent commander et ceux qui refusent d’être commandés. De ce point de vue tout le monde voudrait commander aussi se font-ils continuellement la guerre. On oppose désormais souvent à tort les passions aux intérêts pour expliquer les conflits. Après avoir privilégié les intérêts on privilégie les passions, pourquoi ne les associe-t-on pas parfois au lieu de les opposer toujours ?

[6] La stagflation est la situation d’une économie qui souffre simultanément d’une croissance économique faible ou nulle et d’une forte inflation (c’est-à-dire une croissance rapide des prix).

[7] Déjà en 1979, le ministre américain de la Défense n’écartait pas la possibilité de proposer aux partenaires des États-Unis, en matière de sécurité internationale, « un accord visant à instaurer « une division du travail « entre alliés, aux termes duquel « ceux-ci assumeraient une plus grande part du fardeau de notre puissance militaire commune, dans leur propre région, alors que nous nous orienterions davantage vers la constitution de forces militaires de caractère planétaire « ». https://www.lemonde.fr/archives/article/1979/09/13/le-ministre-americain-de-la-defense-suggere-une-division-du-travail-entre-allies-pour-la-protection-des-lignes-de-ravitaillement-maritime_2783768_1819218.html

[8] Le passage de l’arrogance à la repentance, à la reconnaissance des crimes, aux réparations. L’un des plus grands scandales, qui n’en était pas un il y a encore peu de temps, du colonialisme occidental et de l’histoire du Canada que rapportent les médias occidentaux serait le suivant : pendant un siècle et demi, entre 1831 et 1996, plus de 150 000 enfants autochtones ont été arrachés à leurs parents, placés de force dans des pensionnats, avec interdiction formelle de parler leur langue ou de pratiquer leurs rituels. La politique était de les « sédentariser, civiliser et christianiser ». https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/pensionnats. Mais ne voient-ils pas que les scandales qu’ils dénoncent aujourd’hui chez les autres étaient les leurs il y a peu ?

[9] Dans un autre registre, on peut rapporter d’Antonio Gramsci, la maxime suivante : « le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté ».

[10] Les géographes définissent un archipel comme un ensemble d’îles relativement proches les unes des autres, la proximité se doublant le plus souvent d’une origine géologique commune. Cette image permet de bien rendre compte des processus en cours et au sein de la société française. (L’archipélisation de la société française. Jérôme Fourquet. Commentaire 2019/2).

[11] In Daho Djerbal, Lakhdar Bentobbal, mémoires de l’intérieur. Chihab éditions. 2021.

par Arezki Derguini

Le Quotidien d’Oran, 15 mai 2022

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